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Après le "Café pédagogique", "Tout Educ" fait le compte rendu des deux journées récentes de l’IREA sur le thème "Ecole-formation-territoires", qui a largement traité de la mixité sociale et des ZEP

24 novembre 2011

"Il faut imposer un quota de mixité aux établissements choisis par les parents " : c’est sur cette proposition de François Dubet que s’est achevé, jeudi 21 novembre, le colloque "Ecole-formation-territoires : faire société ?" organisé par l’IREA (institut de recherche du Sgen-CFDT). Pour le sociologue, l’école ne peut pas faire abstraction de "la croissance des inégalités spatiales qui redoublent les inégalités sociales" : l’image du "quartier", de la "banlieue" s’est substituée à celle de "l’usine", emblème des "classes populaires". L’école devrait aider à désenclaver ces territoires afin de lutter contre "une logique de l’assignation".

Or, comme le notait le géographe Alain Frémont en ouverture du colloque, "le territoire de l’école est à l’origine de la formation du territoire pour le futur citoyen". Aujourd’hui, le territoire scolaire est perçu selon une logique bipolaire, le "bon" collège d’un côté, le "mauvais" collège de l’autre. L’école contribue ainsi à la création de "territoires vécus" violemment antagonistes, où la "logique de fuite" côtoie la tentation du repli. "Aujourd’hui les établissements scolaires défont la société autant qu’ils peuvent la faire", constate François Dubet.

Des logiques de fuite

En effet, les élèves des quartiers difficiles peuvent considérer le territoire auquel ils sont assignés comme une protection contre l’extérieur. C’est ce qui peut expliquer pourquoi certains jeunes "tiennent les murs" et ne s’aventurent jamais "au-delà du périphérique", comme le fait remarquer Evelyne Yonnet, 1ère adjointe à la Mairie d’Aubervilliers : "Pour nos jeunes, le territoire n’est pas la ville, c’est le quartier, et le quartier, ils le tiennent." S’enclenche alors un cercle vicieux entre inégalités spatiales et inégalités sociales car, comme le rappelle François Dubet, "le quartier est souvent plus discriminant que le nom" sur le marché du travail.

Les élèves qui veulent "s’en sortir" n’ont qu’une solution : "fuir". "Le collège n’est pas fui pour des images. Les chances objectives de scolarité réussie sont sensiblement plus faibles [dans certains établissements]." Cette logique de fuite aggrave la ségrégation spatiale des établissements scolaires ; pourtant, selon F. Dubet, il est impossible de l’interdire – les parents ressentiraient cette restriction de liberté comme une injustice. Le risque politique de réforme de la carte scolaire est donc "extraordinaire." Pour enrayer ce cercle vicieux , il ne voit qu’une solution : "agir non pas sur la demande, mais sur l’offre". Autrement dit, agir au niveau des établissements et non des parents, déterminer des quotas de mixité et faire en sorte "d’éviter que les parents aient de bonnes raisons de fuir ces établissements". Pour atteindre cet objectif, il attend une meilleure coordination entre l’Etat et les collectivités locales.

Zones et objectifs prioritaires

Marc Douaire, président de l’Observatoire des zones prioritaires, analyse les causes de la relative inefficacité des ZUS et des ZEP. Elles ont d’abord souffert des évolutions de la vie politique : les politiques menées depuis les années 80 n’ont eu qu’un principe en commun, l’extension aveugle de la carte des ZEP, dont le nombre est passé de 363 à plus de 1 000. Les ZEP ont aussi été victimes de l’assouplissement de la carte scolaire, du manque de moyens, de l’absence de formation des enseignants. Marc Douaire évoque des pistes, la redistribution des moyens financiers, l’insistance sur le premier degré, le "profilage des postes clés". Il estime par ailleurs que le programme CLAIR "sert avant tout de levier aux autres propositions du programme présidentiel".

Mais comment l’école peut-elle devenir une "société" demande Françoise Lorcerie qui reprend la définition de John Rawls : "un système de coopération fonctionnelle." C’est l’objectif que visent les propositions de Jean-Yves Langanay, membre du bureau d’Education & Devenir, afin de redonner son efficacité au CA (conseil d’administration) des établissements scolaires. Si l’autonomie des établissements scolaires est souhaitable, elle doit s’accompagner d’un "travail collectif pour établir les besoins réels des élèves." Ce travail coordonnerait plusieurs types d’acteurs.

Pour une "société scolaire décente" et démocratique

L’organisation administrative doit reposer sur une meileure répartition des rôles : il faudrait dissocier les fonctions de président du CA et de chef d’établissement, même si celui-ci est un acteur clé de la vie politique des établissements. Pour Françoise Lorcerie, cela justifie que le chef d’établissement bénéficie de moyens supplémentaires, afin de développer des politiques locales.

Jean-Yves Langanay estime que les élèves et les enseignants sont aussi des acteurs indispensables au bon fonctionnement du CA. Les enseignants pourraient jouer un rôle moteur dans la mise en place de projets spécifiques à chaque établissement. Quant aux représentants lycéens, ils sont trop rarement consultés : il faudrait les considérer comme des acteurs à part entière de la vie démocratique de l’établissement. C’est le seul moyen de former les élèves à la citoyenneté, note Victor Colombani, président de l’UNL (Union nationale lycéenne). Il regrette qu’ "on ne présente jamais l’école comme un outil qui va permettre au lycéen d’être un membre à part entière d’une société." Seuls "30 à 40 % des élèves" connaissent les systèmes de représentation existants. Ce manque d’information va de pair avec une visbilité insuffisante : les représentants des lycéens ne semblent pas pris au sérieux par les décisionnaires. Pourtant, vie scolaire et participation électorale devraient être corrélés. "Lorsque l’école remplira entièrement son rôle émancipateur ...) nous pourrons tendre vers un droit de vote à 16 ans" affirme Victor Colombani, avant d’ajouter que l’ensemble des lycéens serait favorable à cette mesure.

J.-Y. Langanay évoque aussi le rôle des parents et Françoise Lorcerie considère qu’une meilleure communication entre l’équipe pédagogique et la famille de l’élève est indispensable : "un établissement attractif est un établissement où la prise en charge des élèves est comprise par les parents."

Les établissements scolaires ne devraient-ils pas également renforcer l’intégration des collectivités territoriales et des représentants de la société civile dans leur CA ? Pour André Sirota, psychanalyste, la résolution des conflits entre membres de l’équipe pédagogique peut passer par la discussion, à condition qu’une personne extérieure au monde de l’école modère les débats.

La coopération efficace de ces différents acteurs ferait de l’école une "société" plus démocratique. C’est une étape nécessaire au développement de la "société scolaire décente" que Marie-Anne Hugon appelle de ses voeux- une société où "le fonctionnement des institutions ne donne pas à ses membres le sentiment de se sentir humilié". Comme l’a rappelé Françoise Clerc, ce qui est ici en jeu dépasse le cadre scolaire : le fonctionnement démocratique d’un établissement est révélateur de l’état du lien social.

A noter

Plusieurs intervenants ont récemment publié des travaux qui associent monde de l’école et lien social. Marie-Anne Hugon évoque l’idée d’une "société décente" dans un article où elle étudie le décrochage scolaire (ici). Elle emprunte ce concept au philosophe israëlien Avishai Margalit, auteur de La société décente (1996).

Associé à Marie Duru-Bellat et Antoine Vérétout, François Dubet cherche à déterminer dans quelle mesure l’éducation scolaire conforte la cohésion sociale (ici).

Françoise Lorcerie étudie les processus d’ethnicisation des relations pédagogiques en France (ici).

Marc Douaire évoquait dans son intervention un rapport de la DGESCO sur l’état des ZEP : on peut trouver ce rapport, ainsi que l’actualité de l’éducation prioritaire, sur le site de l’Observatoire des zones prioritaires

Le prochain colloque de l’IREA se tiendra en juin prochain et tournera autour du thème de la petite enfance, un sujet au coeur du projet du PS pour l’école (voir ici). D’autres questions d’actualité ont été débattues au cours de précédents colloques de l’IREA : l’autonomie des établissements(ici) et la définition d’un socle commun de connaissances (ici et ici).

Vous pouvez consulter l’actualité de l’IREA sur son site

Extrait de touteduc.fr du 22.11.11 : Les établissements comme révélateurs du lien social (colloque de l’IREA)

 

Lire le compte rendu du Café pédagogique du 23.11.11

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