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Continuité pédagogique. Témoignages de 3 professeurs des écoles (dont 2 en REP+), volontaires pour des classes d’enfants de soignants (le Café)

26 mars 2020

Professeurs des écoles volontaires : Qui sont-ils ?
Alors que le confinement aborde sa neuvième journée, de nombreux enseignants se sont portés volontaires pour prendre en charge les enfants de soignants mais aussi ceux des travailleurs sociaux. Leur accueil est assuré depuis lundi dernier. Sans masque, ni gel hydro-alcoolique, ni gants, dans l’incapacité de garder un mètre de distance avec les enfants, ils sont tout de même plus de 20 000 à avoir répondu présent à l’appel. « On est dans notre rôle d’enseignant. De personne engagée, d’enseignant engagé ». Nabil, volontaire et directeur d’une école de Seine-Saint-Denis, même s’il réfute le terme de guerre employé par le président, n’hésite pas à en emprunter le champ lexical « Les parents soignants sont au front, on gagne une guerre avant tout grâce à la logistique qu’il y a derrière… On les seconde en les soulageant des temps scolaires »

Myriam, Hervé et Nabil sont tous trois enseignants volontaires pour l’accueil des enfants du personnel soignant et des travailleurs sociaux. Volontaires de la première heure, ils racontent les conditions dans lesquelles s’est organisé cet accueil mais aussi les raisons qui les ont poussées à être volontaires.

« Ma situation m’invite à une solidarité totale »
Myriam est professeure des écoles (PE) depuis 6 ans dans une école REP + à Stains en Seine-Saint-Denis. Le volontariat est une évidence pour cette jeune enseignante. « J’ai eu connaissance de l’appel aux volontaires le lundi 16 mars, le directeur nous a exposé la situation : il s’agissait d’accueillir des petits groupes d’élèves dont les parents sont soignants. Aussitôt je me suis portée volontaire. Je n’ai pas d’enfants et je suis véhiculée, ma situation m’invite à une solidarité totale pour les personnes qui doivent aller travailler ». Elle a, bien entendu, tout de suite questionné les conditions de cet accueil. « Allions-nous bénéficier de protections pour accueillir ce public tout de même exposé davantage à une éventuelle contagion ? ». La réponse négative n’a en rien entamé sa motivation. « La mise en place des mesures de protection me semble quelque peu irréalisable surtout avec des élèves de maternelle. Mis à part leur demander de se laver les mains régulièrement, les contacts et la promiscuité dans la classe sont inévitables ».

« Cela me semblait naturel, mes enfants sont grands, je n’ai pas de contraintes particulières »
Hervé est directeur en Savoie dans une école rurale. Dès vendredi 13 mars, tous ses collègues et lui s’étaient portés volontaires pour l’accueil des enfants de soignants. « Cela me semblait naturel. Mes enfants sont grands, je n’ai pas de contraintes particulières. Nous avons une dizaine de familles concernées, donc des élèves sans doute particulièrement inquiets ». Hervé bénéficie d’une décharge syndicale et à ce titre, il partage sa classe avec « une collègue extra qui assure vraiment » ce qui lui a permis de se décharger de la partie continuité pédagogique de ses CM. Dans son école, sur 171 élèves, une dizaine seulement est concernée, « même si nous n’en avons pas accueilli plus de trois ». Très vite, Hervé et ses collègues mettent en place un calendrier, en lien avec la mairie pour les temps périscolaires. Des conditions d’accueil qui apaisent les parents selon lui. « Ils sont tendus, fatigués mais clairement rassurés qu’on puisse les soulager par cet accueil en local ». Comme pour Myriam, ni gel hydro-alcoolique, ni masques ne sont proposés aux volontaires. Concernant les distances de sécurité, peu de chances de parvenir à les respecter… « Quand on est sur du contenu scolaire, je prends une photo de l’exercice et puis je m’éloigne. Si c’est individuel, on utilise le vidéoprojecteur. Plus difficile pour les jeux... ou en récréation ».

« J’ai même dû raisonner certains collègues qui ont des enfants en bas âge »
Dans l’école de Nabil, directeur d’une école élémentaire REP+ de onze classes en Seine Saint Denis, comme dans celles de Myriam et d’Hervé, tous les enseignants étaient volontaires, même si seulement un enfant de leur école est concerné par cet accueil. « J’ai même dû raisonner certains collègues qui ont des enfants en bas âge ».

Dans sa circonscription, l’IEN a très vite pris les choses en main, « il a mis en place un formulaire en ligne à compléter, et finalement il était plein en un rien de temps. Tous les enfants, une vingtaine, ont été regroupés sur une seule école, il y avait donc beaucoup plus de volontaires que de besoins… On est à trois enseignants par jour alors que deux suffiraient largement ».

Pour Nabil, papa de grandes adolescentes, il était tout naturel de se porter volontaire, « c’est une sorte d’effort de toute la Nation ». Nabil qui refuse le terme de guerre employé par Macron estime que tous les citoyens qui le peuvent doivent s’engager à leur mesure, « même si je comprends que certaines personnes puissent craindre d’apporter le virus à leur famille. Cette crainte est légitime ». Toujours selon Nabil, la polyvalence naturelle du professeur des écoles est un atout non négligeable pour l’accueil des enfants de soignants. « Les niveaux sont disparates, c’est une sorte de classe unique même si nous n’enseignons pas à proprement parler. Nous accompagnons les élèves dans les tâches qui leur sont envoyées par leurs enseignants ». Loin de ressembler à une journée de classe classique, les enfants alternent des moments d’aide au travail avec des activités plus ludiques telles que des jeux, de la peinture… Nabil s’étonne d’ailleurs de la posture d’élèves qu’ont tout de suite adopté les enfants « même si nous n’étions pas dans une classe, les locaux du centre de loisirs étaient plus adaptés ».

Sans aucune surprise, là encore, aucun gel, ni masque n’était à disposition des volontaires. Concernant les gestes barrières, « une vaste fumisterie. Comment faire classe à plus d’un mètre des élèves, surtout avec les petits… ».

Du côté des parents qui déposent leurs enfants, Nabil note une certaine culpabilité à les laisser aux volontaires, « comme ce papa qui travaille de nuit et qui ne voulait pas nous déranger en laissant son enfant la journée. J’ai dû le convaincre de laisser sa fille pour qu’il puisse se reposer un peu… »

Une solidarité à toutes épreuves
Hervé tient à saluer la mobilisation des collègues malgré le manque de protection. « On a le sentiment d’être les oubliés, comme beaucoup. J’espère simplement que les collègues volontaires ne rencontreront jamais cette s..... Dans le pays, ça arrivera, il ne faut pas se leurrer, les victimes auront droit aux pensées émues de notre hiérarchie. Dans des circonstances pareilles, j’éprouve vraiment une grande fierté vis à vis des collègues. Avoir été tant chahuté depuis quelques années, avoir été méprisé, humilié par la hiérarchie et finalement, malgré tout, voir une telle mobilisation... ». Myriam résume son engagement à un engagement citoyen, « malgré ce climat anxiogène qui nous pousse à un individualisme crasse, l’âme de gauche qui est en moi reste mobilisée pour faire briller la solidarité. Après cette pandémie tous dans la rue pour le service public ! »

Alors que le confinement semble devoir durer de nombreuses semaines, les efforts des enseignants volontaires pour l’accueil des enfants du personnel soignant mais aussi ceux impliqués dans la continuité pédagogique ne faiblissent pas. Cette crise saura-t-elle leur redonner toute leur légitimité et rétablir leur professionnalisme mis à mal ces dernières années par certains propos…

Lilia Ben Hamouda

Extrait de cafepedagogique.net du 25.03.20

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