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Témoignages de jeunes de Grigny (91)

19 mai 2005

Extrait de « Libération » du 17.05.05 : « Cité dans le texte ».

Chaque mardi, des habitants de Grigny prennent la parole, sous l’œil de Samuel Bollendorf : « Si on me dit : « Défends la France », je n’y vais pas »

Juicy P. et Mamadou, 21 ans. Ils ont enregistré Représente ta rue, un album rap qui doit sortir ce mois-ci.
« On devait effectuer notre journée d’appel de préparation à la Défense, raconte Juicy P. Nous étions convoqués le même jour à Versailles mais on était en retard. Ils nous ont refusés. Vu qu’on était à Versailles, on a décidé d’aller au château. Ça a déchiré.

Mamadou. Les gens, ils nous regardaient bizarres.
Juicy P. Ça choquait.

M. Vu qu’on s’arrêtait devant chaque statue. J’ai reconnu Poséidon. On s’expliquait des trucs dans notre langage. Moi, ce que je connaissais de Poséidon, je lui disais, et lui m’expliquait ce qu’il connaissait de la mythologie grecque. On avait appris ça à l’école mais, on n’a pas forcément tout retenu. Franchement, on a passé une meilleure journée que si on avait été à la journée d’appel. Là-bas, on aurait appris de la merde.

J.P.C’est sûr.

M. Je ne sais pas ce qu’ils nous auraient raconté. Des trucs comme "servir la France, la patrie". Sur cent Français, dites-moi, il y en a combien qui connaissent la Marseillaise par coeur ?

J.P. Même moi, je ne la connais pas.

M. Personne ne la connaît.

J.P. S’il y a une guerre en France, vous pensez que l’on va se battre pour ceux qui nous persécutent tous les jours ?

M. et J.P ensemble. On va créer notre propre milice. Défendre notre quartier, nos familles, on ne va pas aller plus loin.

J.P. Ça peut paraître choquant, mais tous les jeunes dans le quartier ils pensent comme ça.

M. Pour défendre le pays. Encore faudrait-il que le pays me considère comme un citoyen. Est-ce que Chirac il va me considérer si je rentre dans l’armée, si je suis prêt à laisser ma vie pour la France ? Voyez les tirailleurs sénégalais, jusqu’à aujourd’hui, ils sont maltraités. Moi, je suis français d’origine malienne. Si on me dit "va défendre le Mali, j’irai". Si on me dit "défends la France", je n’y vais pas. Pourquoi ? Parce que le Mali me tient à coeur, c’est mon pays, le pays de mes parents. C’est là-bas que tout a commencé. Si mon père n’avait pas pris la décision de venir en France, je serais encore au Mali. Récemment, j’ai regardé un reportage sur les tirailleurs sénégalais, les pieds-noirs, les harkis. On promettait à tous ces gens-là : "Dès que la guerre sera finie, vous vous installerez en France comme vous voudrez." Mais eux, jusqu’à aujourd’hui, ils ont des problèmes ici.

J.P. Ils ne savent pas où ils sont.

M. Le harki, il sort dans la rue, il se fait insulter, c’est son problème. Mais il n’est pas ici pour ça. Sans lui, la France, elle serait où ? S’il n’y avait pas eu les tirailleurs sénégalais, les pieds-noirs, les harkis, les Algériens, les Marocains, les Tunisiens, à cette heure on parlerait allemand.

J.P. On peut aider aujourd’hui la France mais demain elle fera quoi pour nous ? On aura une médaille et puis on nous mettra sur le côté en nous disant "vas-y, retourne vivre dans ta cité" ? Moi, vous me dites "tu vas te battre pour la France mais demain, tu habites dans le seize (le XVIème arrondissement de Paris, NDLR)", ok, là on s’arrange

Ragip DURAN

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