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La relance des ZEP : le rapport Moisan-Simon (Rencontre OZP avec les deux auteurs)

novembre 1997

 -----LES RENCONTRES DE L’OZP-----

Observatoire des zones prioritaires
www.ozp.fr

n° 5 - novembre 1997

 La relance des ZEP : le rapport Moisan-Simon (*)

Compte rendu de la réunion publique du 12 novembre 1997

(*) Le titre originel du compte rendu était « La relance des ZEP »

Le rapport de l’Inspection générale et de l’Inspection générale de l’administration de l’Éducation nationale, établi sous la direction de Catherine Moisan et Jacky Simon, inspecteurs généraux, constitue un élément de référence important pour le plan de relance des ZEP.
L’étude qui a donné lieu au rapport a été menée à deux échelons.
Le premier était macroscopique et national. Des informations assez générales ont été recueillies dans 410 ZEP ( la quasi-totalité des ZEP avec collège(s) ) : concentration en population défavorisée (ouvriers ou chômeurs), résultats à l’évaluation en 6e...
Le second échelon était l’étude en binôme (un inspecteur général de l’éducation et un de l’administration) de 36 ZEP sélectionnées à partir des informations précédentes.
La synthèse du travail a pris un an.
Une trentaine d’inspecteurs généraux y ont participé.
Les deux rédacteurs du rapport, Catherine Moisan et Jacky Simon, sont venus le présenter à l’OZP.

I - L’étude macroscopique

Les données recueillies, correspondant aux années 1994 et 1996, ont permis d’établir un modèle de performances statistiques. Ce modèle représente les résultats que devrait obtenir une ZEP, compte tenu, d’une part, des résultats de l’ensemble de l’échantillon, et d’autre part, de sa population.
Les ZEP se sont révélées très disparates : par exemple, on trouve moins de 30 % d’ouvriers et de chômeurs dans certaines ZEP et 90 % dans d’autres. Ce constat confirme l’importance du travail à effectuer sur la carte des ZEP qui, à l’évidence, n’est plus pertinente.
La disparité existe également sur le plan des résultats, bien au-delà de la seule corrélation avec le pourcentage de population défavorisée. Cela peut s’expliquer par deux motifs, éventuellement cumulables : les indicateurs sont trop grossiers et/ou le système n’a pas un niveau de performance homogène (et il s’agit de comprendre pourquoi).
L’étude n’avait pas pour objet de procéder à une évaluation de la politique des ZEP (car cette évaluation n’est pas possible), mais celui de comprendre ’’pourquoi on réussit à certains endroits et pas à d’autres, avec la même concentration de public défavorisé.
Il est important de noter au préalable qu’il n’y a pas a priori de différence de nature entre les facteurs de la réussite en ZEP et hors ZEP, mais seulement des phénomènes d’amplification ou quelques spécificités marginales.
On peut établir l’existence d’une corrélation négative entre la taille de la ZEP et les résultats. Les ZEP géantes (celles qui comprennent quatre ou cinq collèges) ont moins de chances de réussir que les autres.
Cela permet de déduire que le pilotage local de la ZEP peut avoir des incidences sur les résultats des élèves (il est plus difficile de piloter une ZEP géante).
Ce constat est d’autant plus important que la taille des ZEP n’est pas prédéterminée. On reste libre du découpage : quelle que soit la taille d’un quartier défavorisé, il est possible de le découper en plusieurs ZEP.
Enfin, on a constaté de grandes disparités de performance entre les académies, les académies les plus en difficulté étant celles d’Ile-de-France, de Marseille, et à un degré moindre celle d’Amiens.

II - L’étude qualitative : analyse de 36 ZEP

II a été procédé à l’analyse d’une série de déterminants, nommés les "déterminants de la réussite". Aucun d’entre eux isolément ne suffit bien sûr à expliquer une réussite ou un échec : seule l’interaction de tous ces déterminants est susceptible de faire réussir les ZEP.
Les ZEP sont performantes lorsque tous (ou presque tous) les éléments de la chaîne sont favorables. 13 éléments locaux ont été isolés : la population, l’histoire de la ZEP, le pilotage, les moyens, la nature des projets, le rôle des leaders, les enseignants, les structures pédagogiques, le rôle des familles, le rôle des partenaires, le respect de la loi, les élèves, la taille de la ZEP.

La population et l’environnement de la ZEP
Le niveau de chômage est un facteur essentiel.
Il peut conduire à des décalages entre le discours produit par les enseignants, axé sur l’importance du travail, et sa réception par les élèves (dans certaines zones, 10 % des enfants n’ont jamais vu leurs parents travailler).
La grande pauvreté est une réalité à prendre en compte dans certaines ZEP ; les cas de malnutrition peuvent même y être courants.
Les questions d’urbanisme ont aussi leur importance. Lorsque les collectivités territoriales se remettent à travailler l’urbanisme et rendent les établissements plus agréables, les améliorations obtenues contribuent à la réussite.
D’autres éléments ont été relevés : la proportion d’enfants étrangers ou issus de l’immigration ; l’instabilité et la mobilité scolaire (qui est importante pour les élèves et pas seulement pour les enseignants) ; la violence.
Il convient de se méfier de l’amalgame entre violence et ZEP. Dans certaines ZEP, la violence est forte et permanente, d’autres sont très calmes, d’autres encore sont calmes mais peuvent basculer...

L’histoire de la ZEP
Les médiatisations fortes d’événements dramatiques peuvent, dix ou quinze ans après, laisser des traces dans la ZEP.
La présence, au cours des années passées, de leaders charismatiques peut également être durablement marquante.
Certaines traditions pédagogiques peuvent exister fortement dans une ZEP.

Le pilotage des ZEP
L’absence de pilotage ou de lisibilité au niveau national a découragé un certain nombre de ZEP.
Le pilotage des ZEP sur le terrain est compliqué, surtout quand la ZEP est immense.
Les modalités de pilotage des ZEP par les recteurs et par les IA doivent changer afin que la priorité donnée aux ZEP ne se limite pas aux moyens. Il faut gérer les moyens de remplacement en priorité pour les ZEP, ou offrir une formation supplémentaire pour les enseignants en ZEP.
Il faut des systèmes de veille dans les académies et des systèmes de traitement des ZEP qui visent à les valoriser quand elles réussissent et à obtenir une vigilance aux alertes. Il faut des plans d’urgence pour certaines ZEP qui cumulent toutes les difficultés internes et externes.

Les moyens affectés aux ZEP
Les ZEP ne manquent pas de moyens. Mais ces moyens ne sont pas toujours utilisés comme ils pourraient l’être. À l’origine des ZEP, les moyens alloués étaient utilisés, avant tout, pour la réduction du nombre d’élèves par classe.
Les moyens sont surtout utilisés à présent pour des actions particulières. Il s’agit d’un changement positif.
Les seuls moyens supplémentaires qui semblent nécessaires concernent les personnels de santé et assistantes sociales, la scolarisation des enfants à deux ans (quand elle est massivement impossible) et un éventuel temps de respiration des enseignants.
Le problème des indemnités particulières semble dépassionné et on découvre aujourd’hui qu’il a sans doute été surestimé en tant que l’une des causes de la prétendue impossibilité à modifier la carte des ZEP.

Les projets
Une diversité immense existe, tant pour l’élaboration que pour le contenu. Sur le plan du contenu, il existe une relation très étroite entre la concision des projets, leur ciblage et leur réalité effective.
La majorité des projets mettent l’accent sur l’acquisition des savoirs fondamentaux, et notamment la maîtrise de la langue.

Les leaders
On n’a pas observé une seule ZEP performante dans laquelle les responsables de la ZEP étaient de mauvaise qualité.
Dans l’organisation de la ZEP, la question de l’équilibre entre autorité et démocratie est épineuse : les leaders solitaires ne peuvent être efficaces ; les ZEP autogestionnaires permettent l’implication d’un grand nombre mais, si personne ne tranche les conflits, l’action est impossible.

Les enseignants

. Le métier, les représentations du métier et de ses conditions d’exercice spécifiques
Enseigner en ZEP n’est pas un métier différent de l’enseignement hors ZEP, bien qu’il existe des
caractéristiques d’exercice.
Le discours fort dans les ZEP qui réussissent tient à la solidarité entre enseignants.
L’exigence (pas d’enseignement au rabais pour acheter la paix) est une donnée fondamentale pour la
dialectique violence-apprentissage dans les ZEP.

. La stabilité
Moins que la question des débutants dans les ZEP, c’est l’équilibre nécessaire entre un noyau stable d’enseignants et un renouvellement régulier qui importe.
Il faut à la fois un noyau stable et un certain renouvellement.
Dans certaines ZEP, il existe un déséquilibre très fort.
Une trop grande stabilité peut entraîner, à l’inverse, un risque de perte de repères.

. L’accompagnement et la formation
L’accueil des nouveaux arrivants, qu’ils soient débutants ou non, est primordial. Il est indispensable que les collègues en place relatent les difficultés rencontrées à leur arrivée et la façon dont ils les ont résolues.
Plus généralement, les forces d’accompagnement sont disponibles dans le premier degré mais, dans le second degré, elles sont soit inexistantes, soit absentes du terrain.

. La reconnaissance des compétences.
L’excellence ou la défaillance n’est pas reconnue dans la carrière des enseignants en ZEP. Dans le premier degré, l’inspection serait pourtant suffisante à cette reconnaissance (ce qui n’est pas le cas dans le second degré) mais cette absence de reconnaissance est un choix politique.
La défaillance est pourtant encore plus grave en ZEP (moins de contrôle des parents, pas de rattrapage possible l’année suivante...) qu’ailleurs.
Plus largement, on a fait passer l’idée que la discrimination positive était possible, grâce aux ZEP.
Une seconde révolution est à faire concernant une discrimination positive sur la qualité des enseignants. Les ZEP sont un révélateur, une loupe, voire un laboratoire. Or c’est dans les ZEP que
la gestion qualitative est la plus nécessaire et la plus urgente.

Les structures
La mise en place des structures valorisantes installées dans des collèges de ZEP est difficile à évaluer. Il existe des exemples très contrastés sur ce point.
La question de la perte de population et de l’attractivité mérite l’attention. L’effet ghetto, en effet, lui est étroitement lié.

Les relations entre les familles et les établissements scolaires
C’est un des problèmes les plus conflictuels, notamment entre enseignants. Il existe des tensions entre différentes conceptions du rôle de l’école par rapport aux familles.
L’éducation est une compétence partagée ; il peut y avoir des antinomies entre le monde de l’école et le monde familial ; il peut y avoir des relations agressives.
Les structures familiales complexes créent des situations difficiles pour l’école : les conseils d’école, par exemple, ne savent pas les intégrer. Plus grave, il n’existe pas en pratique de représentation collective des milieux populaires.

Les relations avec les autres partenaires
La politique de la municipalité, notamment l’effort sur la scolarisation à deux ans dans de bonnes conditions, peut avoir une incidence sur les résultats d’une ZEP.
L’état des locaux scolaires est également un déterminant de réussite. Certaines communes pauvres sont asphyxiées et endettées mais le contrat de ville ne permet pas de financer les locaux scolaires car il s’agit d’une compétence non partagée. On aboutit à une aberration : l’Etat fournit une aide qui ne peut aller à l’une des destinations prioritaires.
La redistribution des richesses entre communes riches et communes pauvres ne peut plus être occultée et doit constituer une priorité politique.

Les questions de socialisation, d’éducation à la citoyenneté, de respect de la loi
II s’agit d’un point très important. On a constaté que les collèges environnés de violence qui réussissent à ce que celle-ci n’entre pas dans le collège et qui travaillent efficacement sur l’éducation à la citoyenneté réunissent un certain nombre de conditions : la qualité du chef d’établissement, la façon dont ils se protègent de l’extérieur, leur collaboration avec la police et la justice, le travail sur le règlement intérieur : son élaboration avec les délégués, la façon dont on le respecte et dont il s’applique aussi bien aux adultes qu’aux enfants.

En conclusion de tous ces constats, il est bon de rappeler que toutes les ZEP sont particulières.
L’étude, sans prétendre à généraliser ni à établir une typologie, tente essentiellement d’appréhender les phénomènes de spirale de réussite ou d’engrenage d’échec.

III - Eléments de conclusion pour la relance des ZEP

Parmi les facteurs de la relance des ZEP, il y en a sur lesquels il va être possible d’agir tout de suite (le pilotage, les échanges...) et d’autres en revanche que l’on ne peut pas traiter au niveau déconcentré, notamment ceux qui concernent la gestion du personnel. Il faut engager la réflexion et la consultation nationale sur trois points : les carrières et la prise en compte du mérite, la possibilité d’aménagements horaires temporaires décidés par le chef d’établissement ou l’IEN, la nomination sur profil de tous les responsables (IEN et chefs d’établissements).

La ZEP reste un outil spécifique qui peut ne pas être exclusif d’autres outils complémentaires.
Une ZEP à proprement parler ne peut pas exister s’il elle n’inclut pas de collège. A l’inverse, les lycées dans leur majorité (sauf s’ils accueillent 80 % d’élèves venant de collèges de ZEP) n’ont rien à faire en ZEP.
Ce constat n’exclut pas les lycées du système de discrimination positive. On peut envisager notamment la création de réseaux d’éducation prioritaire
.
C’est en terme de management de l’ensemble du système qu’il convient d’envisager toute réforme ou toute relance. Les ZEP ont constitué une révolution dans l’Education nationale mais, pour certains, elles ont un inconvénient : elles figent les choses, alors que la carte est dépassée.
Beaucoup d’académies et d’inspecteurs d’académie n’ont pas attendu le niveau national pour avoir une gestion différenciée, voire changer la carte.
Les ZEP ont contribué à modifier discrètement et sans passer par une voie normative la conception monolithique que l’on avait du système éducatif.
Il faut essayer d’avoir une approche d’ensemble de la géographie scolaire d’une académie en s’efforçant de décrire mieux qu’on ne le fait actuellement les différences socio-économiques, et parfois de structure, au sein d’une académie. Parallèlement, des modes d’accompagnement, d’évaluation des établissements et de pilotage différencié sont à définir.
Une telle approche permettrait de sortir de la dichotomie ZEP / hors ZEP, et bénéficierait à la fois à
l’ensemble du système éducatif et aux zones en difficulté.

Ci-dessous une version PDF à la mise en page identique à l’original papier

 

Lire le texte du rapport Moisan-Simon (1997)

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