Extrait du " Parisien " du 12 mars 2001 : la " José Bové " de l’Éducation nationale.

Portrait : elle a marqué la semaine : Laurence Bras, la " José Bové " de l’ Éducation nationale.

MARDI DERNIER, 15 heures, au siège de l'Unesco à Paris. Le colloque international sur la violence à l'école prend un tour inattendu. Dans l'hémicycle, alors que l'assistance écoute attentivement l'exposé un brin soporifique d'un chercheur québécois, une trentaine d'individus entrés clandestinement se lèvent d'un bloc : les uns déplient une banderole, les autres sifflent à tout rompre et font du tapage.

Ces " sauvageons ", ce sont les enseignants du collège Georges-Pompidou à Villeneuve-la-Garenne (Hauts-de-Seine), en grève depuis plus d'une semaine après l'agression d'un des leurs. Ils veulent raconter leur histoire et être entendus par le gouvernement. Malgré les tentatives des premiers rangs pour les en empêcher - une voix leur enjoint d'aller se rhabiller avec leurs problèmes ! - ils montent à la tribune. Une enseignante se saisit alors du micro et assène sa " sortie " devant les officiels médusés : " Nous protestons contre l'hypocrisie d'un gouvernement qui dit vouloir lutter contre la violence, mais qui en réalité refuse de s'en donner les moyens ".

" Je suis tout bêtement une vieille syndicaliste qui s'entend bien avec tout le monde "

Toussotements gênés d'abord, quelques vivats, puis enfin des bravos plus nourris. La messe de Laurence Bras est dite. En quelques secondes, la bouillante prof de maths de Pompidou est devenue la chef de file de la contestation des enseignants de ce collège, et en quelque sorte la porte-parole nationale du malaise ambiant.

" On était tous d'accord pour que ce soit elle qui parle, explique Jean-François, son collègue d'histoire-géo. On voulait quelqu'un d'à la fois dynamique et rassurant. " L'intéressée se défend : " Je suis tout bêtement une vieille syndicaliste qui s'entend bien avec tout le monde ". Pas si simple.

La violence à l'école, cette fille de comptable et d'employée la côtoie depuis ses débuts. Elle fait son baptême du feu en 1980 dans un collège de la Goutte-d'Or à Paris (XVIII e ).

Un établissement " dur et vétuste ", où l'équipe enseignante, entièrement féminine, l'aide à voler de ses propres ailes. En ZEP (zone d'éducation prioritaire), la jeune prof trouve ses marques. " C'est tellement porteur de travailler avec des gamins en difficulté. Ils sont reconnaissants et attachants ".

Expédiée en Seine-Saint-Denis, elle y reste... dix-sept ans, ce qui en dit long sur sa motivation. Puis elle débarque à Pompidou en 1999. Enclavé dans une cité " chaude ", l'établissement, qui compte 1 100 élèves, fonctionne plutôt bien. En six ans, le taux de réussite au brevet est passé de 30 % à 84 %. Les incidents se sont espacés, mais des dérapages viennent régulièrement pourrir l'atmosphère. Début mars, un élève de 6 e a ainsi donné un " coup de boule " à la professeur de techno qui lui demandait de quitter la salle de classe. D'où le mouvement de grève actuel, qui prendra fin lundi matin, a-t-on appris hier.
Quand il s'agit de tenir ses troupes, Laurence ne baisse jamais les bras. Elle " hurle " contre ses enfants quand elle rentre à la maison, mais parle toujours très calmement à ses élèves. " Quand il y a des trucs qui m'énervent, j'attends en souriant, ça les désarme ". " Je ne l'ai jamais vue en colère, elle sait nous parler, nous écouter même en dehors des cours ", confirme Christelle, 14 ans, élève de 3 e .

" Quand on me dit "Lolo, on a besoin de toi", je finis toujours par céder "

Elle a le même succès auprès de ces collègues. " Je n'irais pas jusqu'à dire que c'est une seconde maman mais nous avons des rapports quasi maternels ", confie Nicolas, 26 ans, prof de physique-chimie. L'arme suprême de Laurence, c'est sa bonne humeur. En salle des profs, ses contrepèteries (salaces) font fureur. Celle qui voue un culte à Boby Lapointe, Boris Vian et Rabelais, son maître à penser, aime " la dérision, le côté cru des choses, tout démystifier, le corps et le pouvoir. " Il lui arrive quand même de se plaindre. De trop travailler. Elle passe des soirées et des week-ends à préparer ses cours et corriger ses copies. " Ça prend la tête, j'y pense quand je me couche le soir, le matin en me levant, c'est usant, mais si j'arrêtais, je serais malheureuse ". Incapable de résister à l'appel des autres, elle s'est laissée inscrire sur la liste Alliance de gauche à Bois-Colombes. " Quand on me dit "Lolo, on a besoin de toi", je finis toujours par céder ", s'amuse-t-elle.

Ces enfants sont sa fierté. Aurélien, 22 ans, vient d'entrer à Louis-Lumière et Camille, 20 ans, sera musicien. Clémence, 12 ans, est son seul souci. La petite dernière étudie dans un collège d'Asnières, où " les chaises et les tables volent, où l'on plante des compas dans le dos des profs ". " J'aurais pu demander une dérogation mais j'ai voulu jouer le jeu en la mettant dans un établissement de son secteur. Je le regrette, car aujourd'hui ma fille vit des choses très dures, elle paie mes idées. "
Mère angoissée, l'enseignante enrage en pensant que dans certains bahuts, des profs en bavent dans leur coin. " C'est intolérable surtout quand on voit comment on s'investit et combien on est payé ", lâche-t-elle. Elle se dit impulsive et révoltée, toujours prête à dire ce qu'elle pense parfois sans réfléchir. " C'est la José Bové de l'Éducation nationale ", résume son mari, à la fois fier et un peu effrayé.

Virginie Sabia