Les sénateurs et les ZEP à propos de la Loi Fillon

14 mars 2005

Sur le site du Sénat, le 14.03.05 : le rapport de la commission des Affaires culturelles sur le projet de loi Fillon transmis par l’Assemblée nationale.

Extraits du rapport n° 234 (2004-2005) de M. Jean-Claude Carle, fait au nom de la commission des affaires culturelles, déposé le 9 mars 2005. Ce qui concerne directement l’éducation prioritaire.

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I. RENOUVELER LE PACTE ENTRE LA NATION ET SON ÉCOLE
A. UN DIAGNOSTIC PARTAGÉ : LES FRANÇAIS DANS L’ATTENTE D’UN NOUVEL ÉLAN POUR LEUR ÉCOLE
1. Des performances qui marquent désormais le pas
a) « L’évolution spectaculaire » des « dix glorieuses » (1985-1995)

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Selon une étude du ministère de l’éducation nationale, 15 % des élèves sont en grande difficulté à l’entrée en 6e (ils sont 35 % dans ce cas dans les ZEP) et 3 % des collégiens éprouvent des difficultés particulièrement marquées dans tous les domaines. Cette proportion semble avoir atteint un palier ces dix dernières années.

C’est dès les premières classes du primaire que se constitue ce « noyau dur » d’élèves, qui ne maîtrisent pas les bases nécessaires pour pouvoir tirer un bénéfice des enseignements dispensés dans les niveaux supérieurs. A défaut de dépistage et de traitement précoce de la difficulté, il existe ainsi une corrélation quasi exacte entre les pourcentages d’échec aux évaluations de CE2 et de 6e.

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2. Des inégalités persistantes qui jettent le trouble sur le « meilleur instrument de promotion sociale » qu’est l’école

a) « L’école va bien pour les enfants qui vont bien »
Les résultats scolaires restent très fortement corrélés à l’origine sociale des élèves. Comme l’a souligné le Haut conseil de l’évaluation de l’école (Hcéé) dans l’avis précité, « la pauvreté est la première cause du grand échec scolaire ». Ainsi, selon le rapport du Conseil de l’emploi, des revenus et de la cohésion sociale (CERC) sur « Les enfants pauvres en France », près de la moitié d’entre eux connaissent des difficultés scolaires importantes dès le primaire.

Les jeunes sortants du système éducatif sans qualification appartiennent massivement aux catégories sociales défavorisées : 31 % sont issus de familles immigrées, 30 % sont enfants d’inactifs, 16 % sont enfants d’ouvriers, alors que 2 % sont issus de familles de cadres ou d’enseignants.

La persistance de ces inégalités crée un certain malaise, suscite l’incompréhension et jette un discrédit sur l’institution scolaire, qui n’apparaît plus capable d’assurer l’égalité des chances et la promotion sociale par le savoir : le lien entre l’école et une partie de la population devient de plus en plus distendu.

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Le présent projet de loi tend à les prendre en compte, au travers des trois principaux objectifs cités, complétés et déclinés dans les 10 objectifs intermédiaires figurant au II du rapport annexé.

Ces trois grands objectifs sont les suivants :
 « garantir que 100 % des élèves aient acquis un diplôme ou une formation reconnue au terme de leur formation scolaire » ; le défi est de taille, puisqu’il concerne, comme on l’a vu, 150 000 jeunes chaque année ;
 « assurer que 80 % d’une classe d’âge accède au niveau du baccalauréat »19(*) ; après une forte progression, ce taux stagne depuis 10 ans, voire régresse, autour de 63 % pour les formations relevant de l’éducation nationale (63,1 % en 2003 contre 63,4 % en 2000) et autour de 69 % toutes formations comprises20(*) (69,3 % en 2003 contre 69,9 % en 2000) ; la France se situe, toutefois, dans la moyenne des pays de l’OCDE ; à la session 2004, 79,7 % de ces élèves ont obtenu le diplôme ; cet objectif est complété par celui visant à augmenter de 20 % la proportion de bacheliers généraux parmi les enfants issus des catégories sociales défavorisées ;
 « conduire 50 % de l’ensemble d’une classe d’âge à un diplôme de l’enseignement supérieur » ; actuellement, environ 38 % des élèves y accèdent ; 1 sur 5 poursuivait des études supérieures en 1975.

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Sur le titre premier, dispositions générales, chapitre premier, Article 2

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Page 49 :
 Il revient également à l’école de favoriser l’égalité, sans pour autant céder à l’égalitarisme. C’est pourquoi il est important que l’école valorise le mérite, le travail personnel et le sens de l’effort.
En parallèle, l’école joue un rôle de promotion sociale, dans le respect de l’égalité des chances. Sans prétendre effacer les inégalités sociales, elle doit permettre à ceux qui sont le plus défavorisés d’aller au plus loin de leurs capacités. Dans l’article « Égalité des chances » publié dans le « guide républicain », M. André Comte-Sponville en donne la définition suivante : « c’est le droit égal, pour chacun, de faire ses preuves, d’exploiter ses talents, de surmonter, au moins partiellement, ses faiblesses. C’est le droit de réussir, autant qu’on le peut et le mérite. C’est le droit de ne pas rester prisonnier de son origine, de son milieu, de son statut. C’est l’égalité, mais actuelle, face à l’avenir. »

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Page 52 :
Article 3 bis (nouveau)
(art. L. 113-1 du code de l’éducation)

Préscolarisation dans les régions d’outre-mer
Après l’article 3, l’Assemblée nationale a adopté un article additionnel qui étend aux régions d’outre-mer le bénéfice des dispositions relatives au développement prioritaire de l’accueil des enfants de deux ans dans les écoles maternelles.

En effet, le troisième alinéa de l’article L. 113-1 du code de l’éducation prévoit que la scolarisation précoce est étendue « en priorité dans les écoles situées dans un environnement social défavorisé, que ce soit dans les zones urbaines, rurales ou de montagne ».

Si la scolarisation dès l’âge de deux ans, qui est une spécificité française en Europe47(*), concerne en moyenne 32 % des enfants, il existe de très fortes disparités d’une académie, voire d’un département, à l’autre.

Or celles-ci ne sont pas forcément liées, comme le prévoit le texte de loi, au contexte économique et social. Comme le constate Mme Claire Brisset, la Défenseure des enfants, dans son rapport de 2003, « ce sont surtout les milieux aisés qui ont souhaité scolariser leurs enfants précocement à 3 ans puis à 2 ans. ».

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CHAPITRE III -
L’ORGANISATION DES ENSEIGNEMENTS SCOLAIRES
Article 11
(art. L. 311-3-1 du code de l’éducation)

Programme personnalisé de réussite scolaire
Le présent article propose d’insérer, au sein du titre relatif à l’organisation générale des enseignements, un nouvel article L. 311-3-1, mettant en place un « contrat individuel de réussite éducative », renommé « programme personnalisé de réussite scolaire » par l’Assemblée nationale.

I. Le cadre existant

La possibilité de proposer un soutien individualisé aux élèves en difficulté a déjà été introduit par la loi d’orientation de 1989.

Celle-ci prévoit un ciblage des moyens du service public de l’éducation selon deux critères (article L. 111-1) :

- un critère territorial : « renforcer l’encadrement des élèves dans les écoles et établissements situés dans des zones d’environnement social défavorisé et des zones d’habitat dispersé » ; le dispositif des zones et réseaux d’éducation prioritaire (ZEP-REP) répond à cette logique géographique : à la rentrée 2003, 20 % des écoliers et collégiens y sont scolarisés ; les collèges de ZEP et REP se voient attribuer 10,4 % d’heures d’enseignement par élèves en plus par rapport aux autres collèges ; le nombre moyen d’élèves par classe y est ainsi légèrement moins élevé (22,3 contre 24,5 hors ZEP-REP) ;

 un critère individuel, afin de permettre, « de façon générale, aux élèves en difficulté, quelle qu’en soit l’origine, en particulier de santé, de bénéficier d’actions de soutien individualisé ».

Par ailleurs, le principe même de l’organisation de la scolarité en cycles a pour finalité d’adapter l’enseignement à la diversité des élèves, « par une continuité éducative au cours de chaque cycle et tout au long de la scolarité » (article L. 311-1). Ainsi, l’article L. 311-3 dispose que les programmes scolaires « constituent le cadre national au sein duquel les enseignants organisent leur enseignement en prenant en compte les rythmes d’apprentissage de chaque élève ».

De nombreuses expériences se sont succédé, depuis 15 ans, pour proposer une déclinaison de ces principes prescrits par la loi.

Une étude publiée en 2003 a tenté de recenser les différents dispositifs d’aide individualisée mis en place au collège, à travers la lecture des circulaires de rentrée, de 1989 à 2002.

Pour n’en citer que quelques uns, on relèvera, notamment, la mise en place des « études dirigées » (circulaire du 19/07/1994), qui deviendront « études encadrées », des « dispositifs de consolidation » ou « dispositifs intégrés » (circulaire du 10/05/1996), du « programme personnalisé d’aide et de progrès (PPAP) » (circulaire du 18/11/1998), du tutorat (circulaire du 27/02/1997), des « dispositifs d’aide personnalisée aux élèves » (circulaire du 23/06/2000), ou encore du « dispositif d’accompagnement du travail personnel » (circulaires du 01/01/2001 et du 10/04/2002).

L’étude aboutit au constat suivant : « Les dispositifs peuvent ainsi se juxtaposer, se recouper, s’articuler, et/ou s’emboîter, apparaître ou disparaître, parfois sans qu’aucune circulaire n’en ait fait état, ou enfin partager la même dénomination ».

Cet empilement est le signe de l’absence de cohérence globale et de véritable suivi de ces divers dispositifs, en raison d’un déficit d’évaluation.
En outre, on ajoutera à cette liste les dispositifs plus spécifiques, destinés aux élèves en situation de rupture ou de grande difficulté :

 les sections d’enseignement général et professionnel adapté (SEGPA) ;

 les « dispositifs d’aide et de conseil » pour les élèves au comportement perturbateur ;

 les dispositifs relais (classes et ateliers relais), organisés par la circulaire du 12 juin 1998, accueillent des élèves en situation de forte marginalisation et souvent de pré délinquance ; ils sont organisés avec le soutien de partenaires extérieurs, notamment la Protection judiciaire de la jeunesse (PJJ) et les collectivités territoriales ; le présent projet de loi prévoit, dans son rapport annexé, d’en multiplier le nombre par 5 d’ici 2010 ;

 le programme « Nouvelles Chances » a regroupé une palette de dispositifs déjà existants pour proposer des parcours personnalisés à des collégiens en voie de rupture.
Dans le premier degré, il existe notamment :

 les classes de cours préparatoires dédoublés, ou bénéficiant d’un encadrement renforcé (par un assistant d’éducation notamment) ;

 les réseaux d’aides spécialisées aux élèves en difficulté (RASED), qui ont remplacé, à partir de 199055(*), les classes d’adaptation et les groupes d’aide psychopédagogiques, créés au début des années 1970 ; ils ont une double mission de prévention et de remédiation ; or, une enquête de la commission « élèves en difficulté » de l’IGEN menée entre 2001 et 2003, relève le très faible nombre d’élèves en difficulté (pas plus de 5 % de l’échantillon suivi) qui ont fait l’objet d’un signalement aux RASED.

Cela renvoie à la difficulté pour les enseignants, d’établir un diagnostic précis de la difficulté, condition préalable nécessaire pour proposer le traitement le plus adapté. Leur formation ne leur offre que rarement l’occasion d’aborder la gestion de l’hétérogénéité des élèves ou les questions relatives à la psychologie de l’enfant.

En outre, on citera les opérations mises en place dans le cadre de partenariats ministériels ou locaux :

 l’opération « École ouverte », qui permet d’accueillir les élèves dans les écoles, collèges et lycées pendant les vacances scolaires et les mercredis et samedis, pour leur proposer des activités éducatives, scolaires, culturelles ou sportives ; 100 000 jeunes ont été accueillis en 2003, dans 573 établissements, situés notamment dans les zones défavorisées ;

 les politiques éducatives locales à caractère interministériel, tels que les contrats éducatifs locaux (CEL), mis en place en 1998, ou encore les contrats locaux d’accompagnement scolaire (CLAS), réservés aux réseaux d’éducation prioritaire.

Enfin, la récente loi de programmation pour la cohésion sociale56(*) a mis en place un nouveau dispositif d’accompagnement des élèves en difficulté.
Les dispositifs de réussite éducative sont mis en oeuvre dès la maternelle, par un établissement public local d’enseignement, par la caisse des écoles, par un groupement d’intérêt public ou un établissement public local de coopération éducative, institué par cette loi.

Ils proposent une prise en charge globale des élèves des premier et second degrés et de leurs familles, dans les domaines éducatif, périscolaire, culturel, social ou sanitaire. Ils s’adressent prioritairement aux enfants situés en zone urbaine sensible ou scolarisés dans un établissement relevant de l’éducation prioritaire.
Près de 1,5 milliard d’euros (dont 62 millions dès 2005) seront consacrés, entre 2005 et 2009, à la mise en place de 750 dispositifs.

La création d’un contrat individuel de réussite éducative répond, de par sa dénomination même, à la volonté de s’inscrire dans le prolongement de ces initiatives, en ce qui concerne le suivi scolaire de l’enfant.

Il conviendra de veiller à l’articulation entre ces politiques, afin de mettre en cohérence les actions menées par les différents acteurs, ministériels, locaux ou associatifs.

II. Le texte adopté par l’Assemblée nationale
Le dispositif introduit par cet article constitue l’un des éléments essentiels du présent projet de loi, en vue de parvenir à l’objectif ambitieux de réussite de tous les élèves. Il a vocation à prendre en compte la diversité des élèves, en leur offrant des parcours pluriels, adaptés à leurs difficultés.

L’Assemblée nationale en a modifié l’appellation, en substituant au « contrat individuel de réussite éducative » la notion de « programme personnalisé de réussite scolaire ».

En effet, le choix du terme juridique de « contrat » avait suscité des inquiétudes chez les représentants des parents d’élèves et des enseignants : crainte d’une stigmatisation et d’une culpabilisation de l’élève et de sa famille, crainte d’un excès de formalisme, voire d’une « judiciarisation » de l’école, en cas de non-respect des clauses du contrat ou de « rupture de contrat ».
Le nouvel intitulé permet de lever cette insécurité juridique et d’échapper à tout risque éventuel d’interprétation ambiguë du dispositif.

Toutefois, il est dommage que la notion d’engagement de l’élève et de sa famille, explicite dans l’idée de contrat, perde ainsi de son intensité.

Néanmoins, le dispositif proposé reste le même que celui initialement prévu. A cet égard, si l’empilement, ces dernières années, des expériences d’aide individualisée sans réels résultats probants invite à la prudence, la plus-value du présent « PPRS » réside dans plusieurs spécificités :

 aucun public n’est ciblé de façon prioritaire : l’aide est centrée sur l’élève, quel que soit son établissement, et non plus sur une zone géographique ; la politique d’éducation prioritaire a en effet montré ses limites ; le rapport annexé prévoit que son efficacité devra être améliorée ;

 sa mise en oeuvre peut se faire « à tout moment de la scolarité », à l’école ou au collège ; cela devra permettre d’inscrire les actions menées dans un cadre plus cohérent, et d’assurer une meilleure continuité entre les différents niveaux, notamment entre l’école primaire et le collège ;
 celle-ci doit par ailleurs intervenir le plus en amont possible, dès que les signes de difficulté apparaissent ; le rôle des enseignants sera essentiel pour réaliser ce dépistage précoce, notamment au moment des évaluations ;

 les parents seront associés à la mise en oeuvre et au suivi du programme, ce qui est le corollaire de la reconnaissance de leur rôle éducatif ; le rapport annexé précise que celui-ci sera signé par les parents de l’élève, le directeur d’école ou le chef d’établissement, le maître ou le professeur principal, voire également par l’élève au collège ; la compréhension et la confiance réciproque supposent un véritable dialogue entre les familles et l’institution scolaire ; l’élève doit pouvoir s’approprier le programme et s’y investir, et non pas le subir comme une sanction ou une mise à l’écart ;

 les établissements bénéficieront de marges de manoeuvre pour définir les modalités de mises en oeuvre ; à cette fin, le rapport annexé dispose qu’une part de la dotation allouée aux collèges comprendra un volet spécifique, calculé en fonction du nombre d’élèves repérés en difficulté lors des évaluations ; en effet, il est essentiel de laisser une certaine souplesse aux acteurs éducatifs, pour ne pas faire de ce dispositif un carcan.
Concrètement, l’aide prendra la forme de trois heures hebdomadaires de soutien en groupes restreints.

Elle sera mise en oeuvre par les enseignants. Dans le second degré, la création du conseil pédagogique a vocation à en assurer la coordination et le suivi. A l’école primaire, l’inspecteur d’académie pourra attribuer des moyens renforcés aux équipes pédagogiques, notamment en faisant appel aux équipes des RASED.

Même si la nouvelle dénomination mentionne la « réussite scolaire » et non plus la « réussite éducative », l’exposé des motifs de l’amendement dispose que le programme pourra comporter un volet éducatif.

En outre, l’Assemblée nationale a ajouté, dans le rapport annexé, que les collectivités territoriales sont associées à la mise en oeuvre du PPRS. De plus, un projet éducatif assure, le cas échéant, sa coordination avec les dispositifs de réussite éducative institués dans le cadre de la loi de programmation pour la cohésion sociale.

Enfin, l’Assemblée nationale a inséré, en tête du présent article, un nouvel alinéa relatif à la personnalisation des temps d’apprentissage, visant à prévenir l’échec scolaire.
Cet alinéa dispose que le temps scolaire est adapté, au sein de chaque cycle, au « temps nécessaire à chaque élève » pour acquérir le contenu du socle commun.

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Interventions au cours du débat de la commission

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M. André Vallet (UDF) a regretté que, malgré l’effort considérable que la France consacre au système éducatif, l’opinion ait le sentiment que l’éducation nationale ne dispose pas de moyens suffisants, et que les résultats obtenus ne soient pas à la hauteur des ambitions, comme en témoigne le nombre d’élèves en situation ; (...) partisan d’une entrée en maternelle à l’âge de trois ans, il a souhaité connaître les raisons qui conduisaient le Gouvernement à envisager la possibilité d’un accès dès l’âge de deux ans pour les écoles situées dans un environnement social défavorisé.

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