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Questions sur les conventions ZEP Sciences Po

14 mars 2005

Extrait du site de l’Observatoire du communautarisme, le 14.03.05 : un dossier sur la discrimination positive
Questions autour des conventions ZEP de Sciences-Po

Dans un article intitulé Grandes écoles, la fin du tout bourgeois, le magazine Respect revient dans son n°3 sur les conventions ZEP de Sciences-Po qui permettent à des jeunes de banlieue d’intégrer la prestigieuse école de la rue Saint-Guillaume sans passer par la voie classique du concours. Une occasion pour le magazine de saluer le "volontarisme de Sciences-Po" à travers cette expérimentation de la très controversée discrimination positive.

Lancées en 2001 par Richard Descoings, le directeur de l’Institut d’études politiques de Paris, les conventions de partenariat passées avec une vingtaine de ZEP (zones d’éducation prioritaire) de la région parisienne et du nord de la France permettent aujourd’hui à 37 élèves issus de lycées situés en zone défavorisée, soit 10% de l’effectif de première année, d’étudier à Sciences-Po, école emblématique de la formation des élites françaises. Respect juge ce résultat positif et se réjouit que cette entorse au règlement du concours d’accès ait donné la chance à des jeunes de famille modeste de se mêler aux cadets de la bourgeoisie.

Cette expérience fait d’ailleurs tâche d’huile puisque Respect indique que des écoles d’ingénieurs ont mis en place des quotas faisant accéder des étudiants des filières technologiques à leur cursus et que le Centre de formation des journalistes agit de même au moyen d’une bourse attribuée aux "profils atypiques".

En fondant son analyse positive sur les résultats obtenus, Respect accrédite l’idée que la fin justifie les moyens et considère que la discrimination positive offre une solution au problème de l’homogénéité sociale du recrutement des grandes écoles et du manque de débouchés professionnels offerts aux jeunes issus de l’immigration. Grâce notamment à Nicolas Sarkozy qui l’a popularisée dans les médias, on connaît l’idée de la discrimination positive qui veut qu’une entorse au principe d’égalité soit souhaitable pour parvenir à l’égalité de fait. C’est donc en effet son résultat qui fonde la légitimité de la discrimination positive.

Pour autant, la chance ainsi offerte à quelques dizaines de jeunes qui ne manquent pas de mérite suffit-elle à éluder les nombreuses questions que pose ce type d’initiatives ?

Assurément, non.

Ainsi, on peut tout d’abord s’interroger sur l’égalité de fait à laquelle aboutit un dispositif qui n’est pas ouvert à tous ceux qui pourraient prétendre en bénéficier. Les conventions ZEP entrouvrent peut-être la porte de Sciences-Po à de jeunes beurs du Val-d’Oise, mais ne permettent pas à ceux qui sont issus des Minguettes ou des quartiers nord de Marseille de bénéficier de cette chance. Elles ne remédient donc pas au parisianisme de l’IEP de Paris qui est l’une de ses principales caractéristiques. Il y a donc inégalité dans la correction des inégalités.

Il est encore trop tôt pour en juger mais on peut en outre se demander si les employeurs des diplômés de Sciences-Po considèreront de la même façon les candidats à l’embauche qui auront passé le concours pour intégrer l’école et ceux qui auront été sélectionnés sur un simple oral en vertu des conventions ZEP. En d’autres termes, si un diplômé basané aura la même valeur qu’un autre.

Ainsi, on le voit bien, le résultat de ce dispositif innovant ne peut s’apprécier uniquement en termes quantitatifs en comptabilisant d’une année sur l’autre le nombre de jeunes de banlieue admis au sein de la prestigieuse école où sont passés bons nombre d’hommes politiques et de grands patrons.

Mais surtout, cette initiative sous-estime les conséquences de l’entorse au principe de la méritocratie républicaine. En outre, le résultat obtenu qui, de l’aveu de Respect, reste "une goutte d’eau dans l’océan d’inégalités que représente le système scolaire français", ne pèse pas lourd au regard du problème plus global de l’accès à l’enseignement supérieur et d’une égalité des chances qui demeure, c’est un fait, un voeu pieux.

Nul ne peut nier que les grandes écoles, conçues à leur création comme un moyen de favoriser l’ascension sociale de jeunes gens méritants quelle que soit leur origine sociale, sont aujourd’hui l’apanage des milieux les plus favorisés et incarnent de plus en plus la tendance de la société française à la reproduction et au cloisonnement. Pour ne prendre que l’exemple de Sciences-Po, il est vrai que cet établissement accueille en grande majorité des cadets de la bourgeoisie et des jeunes issus des couches moyennes intellectuelles (fils d’enseignants et de fonctionnaires).

Il est louable de vouloir diversifier le recrutement de cette école mais, pour y parvenir, il est d’autres moyens que la promotion du concept discuté de discrimination positive. L’un d’entre eux consisterait à remettre en cause le lien quasi-organique qui existe entre Sciences-Po et les prépas privées comme Ipesup qui, moyennant un forfait que peu de familles modestes peuvent se permettre de débourser, offre la possibilité de préparer le concours sous l’égide d’anciens élèves connaissant parfaitement les épreuves à passer, les attentes des correcteurs et anticipent souvent les sujets. S’il fallait établir un quota, il serait peut-être moins choquant de limiter le nombre de places offertes à ceux qui ont assuré leurs arrières en jouant, il faut bien le dire, le jeu d’une forme de sélection par l’argent.

Les conventions ZEP ont aussi l’inconvénient de renforcer l’idée fausse que les jeunes de banlieue et, pour appeler un chat un chat, les enfants d’immigrés seraient incapables d’accéder aux formations les plus prestigieuses sans que l’on revoie au préalable les règles du jeu. C’est non seulement faux, mais c’est aussi dangereux. C’est faux car, si les jeunes beurs obtenant des diplômes, s’arrêtent souvent à bac+2, c’est aussi parce que les lycées qui les forment ne les encouragent pas assez à avoir davantage d’ambition ou parce qu’un soutien financier insuffisant (on connaît la maigreur des bourses) les conduit à privilégier des formations courtes permettant d’entrer rapidement dans la vie active. C’est dangereux car cela contribue à placer ces jeunes dans une situation d’infériorité du fait du "handicap" (dixit Nicolas Sarkozy) dont ils seraient affublés presque par nature.

Le succès médiatique de l’initiative de Sciences-Po reposant aussi largement sur sa dimension visible - des beurs rue Saint-Guillaume -, il est à craindre qu’elle donne du crédit à l’équation simpliste qui veut qu’un jeune défavorisé socialement soit un fils d’immigré. Un jeune blanc vivant en banlieue sera-t-il considéré aussi favorablement qu’un maghrébin par le jury chargé d’arrêter l’effectif du quota de Convention ZEP pour la première année d’IEP ? Il faut le souhaiter mais, dès que l’on manipule les principes universalistes, on s’expose au risque du tri ethnique et de la prise en compte du faciès.

Car, rappelons-le, le problème de fond n’est pas tant de faire une place aux enfants d’immigrés que de favoriser l’accès aux formations supérieures des jeunes issus des classes populaires. Ce qui, mécaniquement, ouvrirait de nouvelles perspectives aux étudiants maghrébins... Après tout, on sait très bien que les fils d’agriculteurs sont largement sous-représentés parmi les effectifs des grandes écoles sans que personne à Sciences-Po n’ait proposé une convention de partenariat avec des lycées situés dans les zones rurales.

Aujourd’hui, la direction de Sciences-Po semble se réjouir que ses cobayes de ZEP aient démontré qu’ils étaient tout à fait aptes à suivre ses enseignements et à s’intégrer parmi leurs condisciples. Qu’ils aient aussi montré autour d’eux qu’il est possible à un jeune de banlieue d’évoluer dans le monde policé et codifié des grandes écoles. Mais était-ce vraiment à démontrer ?

Et si la principale bonne surprise pour les hauts-fonctionnaires et les mandarins universitaires de Sciences-Po n’avait pas été plutôt de découvrir que, malgré leur teint mat et leurs cheveux crépus, ces jeunes n’étaient finalement pas plus bêtes ni moins bien élevés que les fils à papa qu’ils étaient habitués à cotoyer ? Si tel était le cas, alors il ne faudrait plus s’étonner de l’étanchéité des grandes écoles et des obstacles à l’intégration...

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