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La collectivité locale, la ville et l’école : quelle relation ?

La veille éducative dans les municipalités, avec Stéphanie Lestrat, de Montataire (Oise) (Rencontre OZP)

2004

-----LES RENCONTRES DE L’OZP-----

Observatoire des zones prioritaires - www.ozp.fr

n° 38 - mars 2003

La veille éducative dans les municipalités

Compte rendu de la réunion publique du 12 mars 2003

La veille éducative a été instaurée à l’initiative du ministère de la Ville en application de la loi de lutte contre les exclusions. À l’initiative de municipalités en contrat de ville, les partenaires réunis dans une cellule de veille éducative s’efforcent de repérer tous les jeunes en rupture scolaire et de construire avec chacun d’eux un parcours scolaire ou non.
Le 12 mars 2003, Stéphanie Lestrat et Christelle Leclercq, responsables de la veille éducative des villes de Montataire (Oise) et de Gonesse (Val d’Oise) ont décrit leur mission et leur projet dans une rencontre animée par Martine Fournier. Les responsables des villes de Meaux, Gennevilliers et Nanterre ont aussi participé à cette rencontre.
Ce nouveau dispositif a provoqué des interrogations. Pourquoi est-il nécessaire ? Le débat nous a renvoyé sur les carences des différents acteurs sociaux, à commencer par l’Éducation nationale.

L’opération nationale

Stéphanie Lestrat, chargée de mission à la veille éducative à la Ville de Montataire rappelle les objectifs du dispositif national. Il est justifié par les 8% de jeunes qui quittent l’école sans qualification. Il s’agit de repérer le plus en amont possible le jeune qui décroche du parcours scolaire, de voir les situations individuelles, de proposer au cas par cas des solutions au jeune pour qu’il s’intéresse à nouveau à son avenir scolaire pour l’aider à construire un projet personnel.
On rassemble les compétences pour proposer à celui qui « décroche » des parcours éducatifs classiques, les moyens de s’y réinsérer ou des alternatives, pas nécessairement scolaires, qui évitent les ruptures ou les abandons. Il s’agit d’instaurer une continuité éducative lorsque le parcours scolaire est interrompu et d’apporter des réponses concrètes à des situations individuelles de jeunes. Après des expériences pilotes à Gonesse et Castanet (Haute-Garonne), l’opération a été étendue aux communes en contrat de ville avec le plan d’action du 29 novembre 2001 et la circulaire interministérielle du 11 décembre 2001.

Le démarrage

À Montataire, on a une expérience de partenariat dans le cadre du contrat local de sécurité (CLS) à l’intérieur de l’agglomération de Creil. Une cellule d’appui a été créée. C’est une réunion inter partenariale qui traite tout particulièrement de la prévention de la délinquance. Dans d’autres communes, la veille peut être reliée au conseil communal de prévention de la délinquance (CCPD). Un groupe de travail composé de partenaires locaux s’est réuni de mars à juin 2002 et a émis des propositions pour le fonctionnement de la cellule, qui ont été validées en juillet par la préfecture et les institutions concernées.
La ville de Montataire a désigné comme coordonnatrice la chargée de mission du service Citoyenneté, Prévention, Médiation de la Ville. Ce service est directement rattaché au maire. La première réunion opérationnelle avec examen de situations individuelles s’est tenue le 7 octobre dernier et depuis elle se réunit toutes les 3 semaines. Une vingtaine de situations a été traitée.

Gonesse, pour sa part, a été ville pilote pour l’expérimentation de la veille éducative, mais à la suite de départs l’opération n’a repris qu’en décembre 2002. Christelle Leclercq décrit sa mission. « Actuellement, nous travaillons à une charte déontologique, nous recensons les ressources associatives et nous faisons un premier diagnostic quartier par quartier. Nous élaborons un cadrage. Nous viserons tout le public de 0 à 18 ans. Il y a déjà un groupe de travail pour les crèches et les haltes garderies, les crèches familiales, les maternelles. Nous travaillons en direction des ATSEM (agents techniques des écoles maternelles), des gardiens d’immeubles pour le repérage. Pour les « décrocheurs » ou les jeunes envoyés à 16 ans en lycée professionnel, mais qui n’intègrent pas, nous travaillons à mettre en place un atelier qui pourrait les accueillir pour offrir une alternative à la re-scolarisation Au niveau des collèges, on met en place, bien que le collège freine des 2 pieds, une action de lutte contre la violence ( la violence forte à l’extérieur du collège, mais pas à l’intérieur). Une éducatrice de la PJJ commence à intervenir à la sortie du collège, mais c’est très difficile de rentrer ».

Composition de la cellule de veille éducative

À Montataire :
 Éducation nationale : Inspecteur de l’Education nationale, assistante sociale, médecin scolaire, coordonnatrice REP, principal du collège, proviseur du lycée, conseillers principaux d’éducation, Centre d’information et d’orientation
 Protection judiciaire de la jeunesse
 Ville de Montataire : Service Citoyenneté, Prévention, Médiation
 Circonscriptions d’interventions sanitaires et sociales
 Mission locale de la vallée de l’Oise
 Association Jade : Service de prévention spécialisée
 Association départementale pour la sauvegarde de l’enfance et l’adolescence de l’Oise

La cellule de Gonesse a à peu près la même composition. La Ville est représentée par le directeur du service Éducation et enfance.
La responsable de Gennevilliers donne quelques informations sur le démarrage de la veille. Trois cellules légères ont été créées, sectorisées autour des collèges, avec les directeurs d’écoles du secteur. Puis certains cas sont évoqués devant une seconde instance, au niveau de l’ensemble de la ville où tous les partenaires sont présents. Pour chaque cas, un référent est désigné, qui est informé de tout ce qui se passe. La veille est reliée à un autre projet, sur la parentalité.
Les responsables de cellules ne souhaitent pas une cellule trop nombreuse, en particulier pour recevoir les parents. Le milieu associatif n’est pas très dense et les familles des cités ne se sentent pas forcément représentées par les associations de parents d’élèves. Chaque membre de la cellule a ses propres contacts, participe à d’autres structures et peut agir en relais, faisant appel à d’autres institutions ou associations selon les cas individuels.

La confidentialité, le respect de la vie privée
À Montataire, on s’est vite rendu compte qu’il était difficile de parler des situations individuelles, en raison du nombre des acteurs qui participent à la cellule. Le problème du secret professionnel s’est immédiatement posé. On a décidé de faire une charte éthique.

La charte éthique de Montataire :
Les membres de la cellule « veille éducative » s’engagent à respecter les principes suivants :
1 - Les parents et leur enfant sont informés de l’examen de leur situation en cellule de veille éducative et de son contenu par la personne qui la présente.
2 - Les parents et le jeune (si majeur) peuvent s’ils le souhaitent être associés aux travaux de la cellule de veille éducative pour ce qui concerne leur situation.
3 - Les échanges sont limités à ce qui est strictement nécessaire pour aider ensemble à la résolution d’une situation « bloquée », c’est à dire en lien direct et immédiat avec le but poursuivi. Ils respectent la vie privée des personnes concernées, ce qui exclut les jugements de valeur et les informations qui ne font pas progresser vers la résolution.
4 - Les échanges dans le groupe ne peuvent être utilisés à d’autre fin que d’aider à la résolution d’une situation.
5 - Monsieur le Maire est garant des règles édictées.

À plusieurs reprises, la question du secret professionnel provoque la discussion. On rappelle que le secret professionnel au sens strict ne concerne que les médecins et les avocats. Par exemple les psychologues scolaires ne sont pas soumis au secret. L’invocation du secret professionnel par certaines institutions est souvent un refus de coopérer. Plutôt que de secret professionnel, il faut parler de confidentialité et de respect de la vie privée. Quand un partenaire parle de questions personnelles il est important de savoir quand s’arrêter et ce n’est pas facile : quand un jeune se démotive à l’école, on est amené à parler de problèmes familiaux, de vie privée. C’est la confiance que l’on peut établir progressivement avec les partenaires qui permet de savoir jusqu’où on peut aller. Dés le début, on précise que la veille n’est pas un dispositif de signalement. (On cherche le mot juste pour désigner ce passage en cellule de veille : à Montataire, on parle d’interpellation, à Gonesse d’évocation.)

Le partenariat
Pour C. Leclercq, « le partenariat, chacun le souhaite, mais lorsque les gens ne se connaissent pas, qu’ils ne connaissent pas les missions des autres, ils ne se livrent pas. Chacun a une fiche descriptive détaillée pour que chacun sache qui fait quoi. Par ailleurs, je recense toutes les ressources associatives et autres sur la ville de Gonesse, je vais au devant des associations telles que le Secours populaire, le Secours catholique. Nous faisons un diagnostic par quartier sur différents problèmes tels que la parentalité Des cellules techniques se mettent en place. C’est une phase de mise en confiance pour que chacun coopère. Il faut que chaque institution soit informée de ce que devient un jeune lorsqu’on fait appel à une autre partenaire. Nous mettons en place une technique de suivi. »
On rappelle que des formations et un budget ont été mis en place pour apprendre à travailler en partenariat, mais apparemment ils sont peu utilisés.
La présence des parents ? Dans certaines villes, ils ne participent pas aux réunions, ce serait une épreuve trop difficile, c’est le référent qui contacte la famille et lui donne des informations. Ailleurs, ils sont présents uniquement pour parler de leur enfant, et seulement s’ils souhaitent venir. À Montataire, on demande l’accord des parents pour que la situation soit évoquée en cellule. Certains regrettent qu’on ne fasse pas plus appel aux associations et que les parents concernés ne participent pas plus. D’autres pensent que la cellule de veille devrait former les parents et chercher quels moyens se donner pour qu’ils viennent. Pas des parents obéissants, mais des parents qui vont interroger sur le non-remplacement des enseignants absents, par exemple.
Interpellation citoyenne par des parents informés. D’autres insistent sur la difficulté de cette relation : le partenariat est un face à face entre des personnes dont la parole a la même valeur, or il n’y a pas égalité entre un proviseur et des parents.

Le management du partenariat
Le partenariat est très coûteux : si l’on calcule le coût d’une réunion de cadres, on arrive à des sommes faramineuses. Et c’est dévoreur de temps. Il faut gérer des cultures professionnelles différentes, des rapports différents au temps, à la hiérarchie. Avez-vous toujours les mêmes représentants aux réunions ? comment minimiser les coûts ?

Le repérage
À Montataire, la cellule est centrée sur les élèves de collège, sans exclure les cas lourds du primaire et du lycée. La cellule traite les cas d’absentéisme répétitif et d’exclusions temporaires et définitives. La personne qui présente une situation informe les parents et demande leur accord. À la fin de chaque réunion, les situations à examiner à la réunion suivante sont listées pour que chaque partenaire puisse collecter les éléments d’information dont il dispose. Depuis octobre, on a vu une vingtaine de situations. Au début, on a traité des situations lourdes où la rupture était déjà consommée, on n’agissait pas en prévention. Depuis, nous abordons des cas plus légers. Récemment nous avons réuni les directeurs d’écoles primaires du REP pour être capables d’intervenir aux premiers signes de décrochage. On a des réussites, des échecs, c’est le long terme qui dira si ça marche.
Les cellules s’intéressent-t-elle aux élèves « présents-absents », présents mais peu participants, par exemple à des filles discrètes, mais mettant leur santé en danger ou tentées par le suicide ? Il est important de ne pas se focaliser sur les jeunes perturbateurs, qui savent se rendre visibles. Réponse : on n’en est pas encore là. Le repérage sera difficile.
Peut-on construire une typologie de cas fragiles avant qu’ils ne deviennent lourds ?

Chercher où et quand ça décroche ? Identifier les signes avant coureurs ? Repérer ceux qui devraient être à l’école et qui n’y sont pas, ceux qui sont en train de partir : ce sont eux qui sont le plus en danger. Parfois, deux rencontres avec un éducateur de PJJ permettent de recadrer les choses ou le suivi par un psychologue scolaire. Plusieurs responsables de cellules rappellent qu’ils ne traitent pas des cas lourds, qu’ils font de la prévention, qu’ils ont des interventions nombreuses mais légères et qu’il ne faut pas vouloir tout traiter. Le travail de prévention peut concerner la fratrie ou le groupe de pairs d’un cas lourd. À Nanterre, on s’efforce de conclure chaque cas par un protocole qui pourra être utilisé dans le même type de situations.

Question d’un Proviseur : qu’est ce qui déclenche l’évocation d’un cas ? Suffit-il que quelqu’un dise : il y a un problème ? Mais des problèmes, il peut en avoir 20 ou 50 ou 100 dans un établissement, selon les critères, surtout si on fait de la prévention.
Réponse : le critère, c’est quand le partenaire souhaite des interventions qui sortent de son domaine, et pour les jeunes pour lesquels on ne peut agir seuls.

Un dispositif de plus ? Pointer les carences des institutions ?
Certains s’étonnent qu’il soit nécessaire de créer un dispositif de plus, alors qu’il existe déjà à l’intérieur de l’Éducation nationale des structures chargées d’un travail de prévention. Pourquoi le groupe de pilotage ZEP ne ferait pas ce travail de coordination ? Réponse : la multitude des intervenants possibles fait que plus il y a d’acteurs moins il y a de suivi. Avec la veille, il n’y aura qu’un acteur qui va suivre, mais il va suivre vraiment. Ce qui fonde la veille éducative, c’est l’idée d’une approche globale sur un jeune, au-delà du découpage institutionnel. On remarque que l’Éducation nationale se soucie peu des élèves qui abandonnent l’école au-delà de l’obligation scolaire. Un enseignant demande : que fait-on dans l’établissement scolaire pour éviter la déscolarisation ? et il regrette la suppression de classes de 4e à profil adapté.

Une question est posée : la cellule peut-elle pointer le dysfonctionnement de certaines institutions ? Les promoteurs de la veille éducative avaient pensé qu’elle le permettrait. Réponses : il n’est pas nécessaire de dire à l’autre qu’il dysfonctionne. Avec le temps, les dysfonctionnements apparaissent et les questions se posent naturellement, par exemple pourquoi autant de conseils de discipline ? Nous n’avons pas tous les mêmes logiques, pas tous le même regard sur les jeunes. Pour l’Éducation nationale, un jeune qui n’est pas perturbateur n’a pas de problème.
Ainsi, une jeune fille qui revient dans son collège après être allée en classe relais et prend beaucoup de médicaments est complètement anéantie, donc pour l’Éducation nationale tout va bien. Chaque institution considère que chaque professionnel a ses compétences et trouve des réponses avec ses compétences. À partir de quand chaque professionnel réagit-il sans attendre de se trouver face à ses propres limites et cherche-t-il en amont des solutions qui ne soient pas celles de sa propre institution ? Chacun ignore ce que peuvent faire les autres. Une institution imagine difficilement que d’autres trouvent des solutions là où elle a échoué, elle ne se dessaisit pas facilement de son élève ou alors elle s’en décharge totalement.
La veille évite des absences de prise en charge. On a des cas de réussite : il a suffit d’aller voir des parents qui n’étaient pas informés que leur gamin s’absentait de l’école. (Ici un proviseur explose : comment est ce possible ? Mais n’est-ce pas là un exemple de carence de l’institution qui rend nécessaire un dispositif de plus ?)

L’Éducation nationale dans la lutte contre les exclusions ?
La loi de 1998 sur la lutte contre l’exclusion, dans ses articles 141 à 147, a recommandé la veille éducative, car l’éducation est le seul moyen de rompre la transmission de l’exclusion de génération en génération. Cette loi prévoit aussi que tous les projets d ‘école et d’établissement doivent décrire les moyens prévus pour lutter contre l’exclusion. La veille n’est pas une affaire de tranquillité sociale mais une affaire de lutte contre l’exclusion. Cette loi est ignorée par les enseignants. Ce rôle de l’école n’est pas mentionné dans la circulaire sur la veille. L’école ne veut connaître que des cas individuels, elle a du mal à reconnaître qu’elle est absente de la lutte contre l’exclusion.

Conclusion : La veille éducative tout comme l’éducation prioritaire ne serait pas nécessaire si les services publics remplissaient normalement leur mission dans toutes leurs ramifications locales. Normalement, c’est-à-dire avec partout les moyens et les personnes nécessaires et une conception large de leur mission. Mais c’est justement à la périphérie de la société que se concentrent et s’ajoutent toutes les carences des services publics. La veille éducative confie aux municipalités le soin de cordonner ces services et de corriger leurs carences. Encore faudrait-il que ces municipalités aient toutes comme priorité politique la mission de lutte contre les exclusions.

Compte rendu établi par François Régis Guillaume

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