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Les moyens des ZEP seront-ils remis en question ? (Le Monde)

6 février 2005

Extrait du « Monde » du 06.02.05 : les politiques de lutte contre l’échec scolaire restent peu efficaces

Alors que M. Fillon prévoit d’instaurer un contrat individuel de réussite éducative (CIRE) pour les élèves en difficulté, un rapport dresse un bilan critique sur les politiques engagées depuis trente ans. Malgré de nombreuses réformes, 150 000 jeunes sortent chaque année sans qualification

Assurer la réussite de tous les élèves" : le projet de loi d’orientation pour l’avenir de l’école réaffirme cet objectif louable. S’en donne-t-il pour autant les moyens ? François Fillon, le ministre de l’éducation nationale qui est à l’origine du texte, assure que oui. Mesure phare du projet de loi qui devrait être débattu à partir du 15 février à l’Assemblée nationale, le contrat individuel de réussite éducative (CIRE) serait justement là pour ça.

Après quarante années de "massification", l’école française a plus que jamais besoin de s’attaquer à l’échec scolaire. Même si le chiffre a diminué entre 1965 et 1995, quelque 150 000 élèves - c’est-à-dire près de 20 % d’une classe d’âge, selon les classifications internationales - sortent toujours de l’école sans aucune qualification, ni CAP, ni BEP, ni baccalauréat. Depuis dix ans, leur nombre ne diminue plus.

Signé entre les parents, éventuellement l’élève, d’une part, et le chef d’établissement ou le directeur d’école, le professeur principal ou le maître de la classe, d’autre part, le futur contrat précise "les dispositifs de soutien mis en ordre pendant le temps scolaire" et, le cas échéant, ceux "proposés à la famille en dehors du temps scolaire". Il pourra être proposé "à tout moment de la scolarité obligatoire" et apportera à l’élève un soutien de trois heures par semaine, dans le cadre de groupes de huit au maximum, dans les disciplines "où des lacunes graves se feraient sentir".

Remettre à plat

Pour autant, la formule de M. Fillon ne convainc pas. Des syndicats d’enseignants ont déjà exprimé leurs réticences et leurs craintes que sa mise en place, dans un contexte de restrictions budgétaires, se fasse aux dépens des moyens accordés aux zones d’éducation prioritaires. Le ministère assure qu’il n’en est pas question. Ils craignent aussi, comme des associations de parents d’élèves, que la notion de contrat individuel ne fasse trop peser sur l’élève la responsabilité de l’échec.

Plus concrètement, on peut tout simplement se demander pourquoi le contrat éducatif serait efficace alors que, depuis trente ans, les dispositifs destinés à réduire l’échec scolaire s’entassent et se juxtaposent sans donner de résultats concluants. Dans un rapport du Haut Conseil de l’évaluation de l’école sur "Le traitement de la grande difficulté scolaire" qui devrait être rendu public mercredi 9 février, André Hussenet, inspecteur général de l’éducation nationale, et Philippe Santana, inspecteur d’académie, alimentent ce scepticisme. "On peut avoir le sentiment que tout ce qu’il était possible de faire est expérimenté", écrivent-ils.

Ils énumèrent toutes les formules qui ont été successivement inventées, maintenues pour certaines, abandonnées pour d’autres, remises ensuite parfois au goût du jour sous d’autres appellations pour traiter l’échec scolaire. Des heures de soutien, des classes dédoublées, des aides au travail personnel, du tutorat, du parrainage, des classes relais... Autant de dispositifs qui se sont succédé ou côtoyés sans amener d’amélioration notable. Tout comme les nombreuses circulaires qui, depuis quinze ans, encouragent le travail en équipe, la pédagogie différenciée, l’individualisation,...

"La mise en place du contrat individuel de réussite éducative sera l’occasion de remettre à plat ce qui existe, réplique-t-on au ministère, d’évaluer ce qui marche, ce qui ne marche pas, et de faire le ménage." Le futur contrat, qui devrait coûter quelque 720 millions d’euros, se substituera donc aux dispositifs inefficaces, et s’ajoutera à ceux qui ont fait leurs preuves. Telle est en tout cas l’intention du ministère. Pour faire mieux que par le passé, il entend s’appuyer davantage sur l’évaluation. "Il y a des évaluations en CE2 et en 6e. Celles-ci doivent être un élément structurant de la réflexion sur l’élève. Et du travail sur le contrat éducatif", argumente- t-on au ministère. En d’autres termes, elles doivent permettre aux enseignants de diagnostiquer les faiblesses des élèves en difficulté. Et de définir, en conséquence, l’aide dont il aura besoin.

« Des pépites et un râteau »

Au collège, les programmes personnalisés d’aide et de projet (PPAP), instaurés en novembre 1998 et qui devaient justement être établis à partir des évaluations des élèves, relevaient déjà de la même philosophie. Mais ils n’ont pas fait la preuve de leur efficacité. Pas plus que les "modules" mis en place au lycée à partir de 1992 pour les élèves les plus en difficulté, et qui devaient être pensés à partir de l’évaluation qui se faisait alors en seconde. "Les enseignants ne se les étaient pas appropriés", rétorque-t-on au ministère qui l’a, depuis, supprimée.

Alors pourquoi se l’approprieraient-ils cette fois-ci ? Rien dans leur formation ne les y incite. En matière de pédagogie, la formation des enseignants apparaît indigente. "Quand ils ont une notion à transmettre aux élèves, par exemple la proportionnalité, ils n’ont généralement qu’une ou deux manières de l’appréhender", regrette André Hussenet. Et ils ne disposent que d’un très faible encadrement pédagogique : selon un rapport réalisé par le recteur Bernard Dubreuil en octobre 2003, les inspecteurs pédagogiques ont vu leurs tâches se multiplier et ont parfois ainsi été "transformés en collaborateurs permanents" des rectorats. Conséquence, ils consacrent aujourd’hui moins de temps aux enseignants.

A ce tableau s’ajoute une relative faiblesse de la recherche pédagogique française. Ou plus exactement de son influence sur les décisions que prennent les gouvernements en matière d’éducation. La pratique à haute dose du redoublement alors même que tous les travaux sur le sujet ont conclu à son inefficacité en est une illustration. Pourtant, ici ou là, des établissements luttent avec succès contre l’échec scolaire. Profitant de leur autonomie croissante, ils concoctent leurs propres recettes, et cela marche. Mais il n’existe rien en France qui permette de diffuser ces expériences réussies. "On a des pépites au sein de l’éducation nationale, mais encore faudrait-il avoir un râteau pour les ramasser", résume André Hussenet. Quant aux établissements peu dynamiques, ils ne sont pas incités à se lancer.

"L’autonomie est quelquefois vécue comme un renoncement ou un abandon. Il est donc absolument nécessaire de généraliser la mise en place, à l’échelon académique ou départemental, d’équipes très compétentes, capables d’aider les établissements à exercer leur autonomie en disposant de repères et d’un système de références solides", écrivent les auteurs du rapport. Besoin de pilotage, donc, et d’évaluation de ces établissements comme cela se fait notamment dans les pays anglo-saxons. "Nous commençons à le faire", affirme-t-on au ministère, où l’on souhaite étendre cette pratique. La loi Fillon ne prévoit pas d’aller plus loin.

Martine Laronche et Virginie Malingre

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