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Portraits de ZEP - Présentation de la ZEP de Hem (Bulletin OZP n°1, avril 1992)

13 avril 1992

Bulletin de l’association OZP, n°1, avril 1992

Portraits de ZEP - Présentation de la ZEP de Hem

Intervention de Bernard Dupisson

Monsieur Dupisson, coordonnateur de la ZEP de Hem, dans la banlieue de Roubaix, a au cours d’une réunion publique de 1990, présenté le travail conduit dans cette ZEP.

Cet article, s’il est maintenant ancien, nous permet cependant de nous situer dans une perspective historique et dynamique. On voit ainsi que les problèmes posés dans les ZEP en 1990 ne sont pas très différents de ceux qui se posent à nous aujourd’hui.

Souvent, j’ai eu l’occasion de parler de la ZEP de Hem dans une perspective historique et de raconter comment peu à peu les choses ont pris corps. Il est temps aujourd’hui de cesser de parler du passé, pour partir d’une description au présent. Je vais donc vous présenter ce que nous appelons " Zone d’Education Prioritaire " dans un lieu précis, Hem, au cours de cette année scolaire 1989/1990. Bien sûr, cette situation est différente de celles que nous avons connues antérieurement et elle évoluera encore.

Hem est une commune de 20 000 habitants, située dans la banlieue d’une ville industrielle en déclin : Roubaix. C’est une ville dortoir qui hébergeait la main d’œuvre roubaisienne à l’époque révolue du plein emploi.

La Zone d’Éducation Prioritaire concerne cinq groupes scolaires soit environ 2 000 élèves et deux collèges, c’est à dire un petit millier de collégiens. Il s’agit des établissements publics : vous savez qu’il y a dans le Nord de nombreux établissements privés. La ZEP ne les prend pas en compte : il y a eu dès le début un refus réciproque de coopérer, pour des raisons qu’il serait intéressant d’analyser. C’est peut être un thème à ajouter à la liste que j’ai préparée.

Il est facile de délimiter la ZEP physiquement, territorialement. Du point de vue de l’organisation, c’est moins simple car on ne sait pas très bien où commence cette chose et où elle finit. Si vous passez un jour à Hem interrogez donc les personnes que vous croisez dans la rue. La plupart vous diront " la ZEP ? connais pas ! ". Alors que, à lire certains écrits, on pourrait concevoir la ZEP comme une entreprise tentaculaire, poussant un peu partout ses ramifications.

Pour avancer quand même, je vous propose un organigramme.

Pour nous la ZEP c’est essentiellement l’Équipe d’Appui Locale (EAL), un groupe qui comprend actuellement 68 personnes : le maire, 3 de ses adjoints, les principaux des deux collèges, l’inspecteur, 28 enseignants, 12 militants associatifs, 11 travailleurs sociaux et 10 parents. Je suis volontairement précis à l’excès pour vous donner une idée de l’éventail des personnes qui figurent sur la liste. Mais d’une part cette réalité est provisoire puisque la liste est mise à jour chaque année, d’autre part, 68 convocations se traduisent en une trentaine de présents à la réunion, ce qui n’est pas si mal. D’autant que l’EAL se réunit le soir, trois ou quatre fois par année scolaire.

Autour de l’EAL gravitent actuellement neuf groupes de travail : ce nombre est variable puisque les groupes se font et se défont en fonction des évènements, des opportunités et de l’évolution des problèmes. Nous dirons qu’ils sont " biodégradables ". Je les énumère rapidement.

 Le groupe Balad’Art a préparé, tout au long de l’année scolaire, la " Semaine des Arts ". Celle-ci a eu lieu fin mai : le groupe s’est donc dissous, comme le groupe Bicentenaire l’an dernier. Mission accomplie.

 Le groupe Aide au travail personnel cherche à mettre en place, dans le cadre du Développement Social Urbain, une certaine harmonisation - et non une normalisation - des activités qu’on nomme en Belgique " École de devoirs " c’est à dire le travail à la maison plus ou moins hors de la maison.

 A l’origine, le groupe Orientation s’est créé pour donner aux élèves les moyens de construire des projets personnels. La réflexion s’est rapidement élargie : la communication avec les familles, en particulier, se révèle d’une importance déterminante.

 Un quatrième groupe travaille sur la scolarisation précoce. Vous connaissez les instructions officielles et les déclarations de Monsieur Jospin sur l’opportunité de scolariser les enfants dès l’âge de deux ans. Cette volonté pose toutes sortes de problèmes d’ordre pédagogique, mais aussi matériel. Il faut trouver des solutions.

 A Hem, les écoles sont vétustes ; elles ont d’ailleurs été conçues à une époque ou on se contentait de peu : des salles, un couloir, des sanitaires et une cour. Le groupe Espace scolaire voudrait proposer un programme d’interventions sur les locaux et leur environnement pour les adapter à leurs fonctions présentes et futures.

 Comme son nom l’indique, le groupe Évaluation et prospective a un projet plus vague : s’y retrouvent ceux qui souhaitent bavarder, échanger ; à première vue, cela n’est pas très efficient mais cela me permet au moins de parler ce soir puisque les réflexions dont je vais vous faire part viennent directement de ce groupe.

 Notre bulletin de liaison s’appelle la Gazep : nous le publions grâce à une subvention du conseil général du Nord. Le comité de rédaction constitue un septième groupe de travail.

 De son côté, un groupe de collégiens publie le Journal des collégiens.

 Enfin le groupe Vidéozep se préoccupe de l’utilisation, de l’acquisition et de la maintenance du matériel vidéo.

L’ensemble représente une grande diversité d’activités, d’orientations et bien entendu de partenaires. Par exemple : le groupe Scolarisation précoce réunit le personnel de la PMI, les éducatrices des haltes-garderies, des institutrices d’écoles maternelles, alors que le groupe Orientation compte plusieurs parents d’élèves ...

Voilà donc ce que nous appelons à Hem " zone d’éducation prioritaire ". En tant que coordonnateur, je tiens le calendrier des réunions, j’adresse les convocations. Quant au responsable de la ZEP, je ne vous en parle pas encore puisque cette notion n’aura de réalité qu’en septembre prochain.

En plus des groupes de travail, nous avons créé trois associations qui ont, elles, une existence juridique.

 OrdinatHem est née en 1983 : il fallait gérer les matériels mis à notre disposition par la région Nord - Pas-de-Calais dans le cadre du Plan régional d’initiation à l’Informatique. C’est une affaire qui marche : nous avons six sites dans la commune et un animateur rémunéré par la municipalité.

 Liral a été fondée par des habitants qui voulaient ouvrir au quartier la bibliothèque du groupe scolaire Longchamp : en fait, la population n’est pas venue mais les collégiens et les lycéens ont investi le local et Liral s’est spécialisée dans l’aide au travail personnel.

 École et quartier est, pour l’EAL, le moyen d’exister sur le plan légal ; par exemple pour ouvrir un compte en banque ou souscrire une assurance. Ceci est nécessaire, en particulier pour pouvoir gérer des actions dans le cadre du DSU. Et peut-être faudra-t-il d’ailleurs un jour bien distinguer le domaine associatif du domaine institutionnel ?

Je voulais dire tout cela pour planter le décor afin que vous sachiez d’où je parle. Il n’y a là rien de normatif et je ne prétends pas vous avoir présenté une ZEP modèle. C’est simplement l’organisation qui a fonctionné à Hem, et que nous considérons comme une zone d’éducation prioritaire.

Il faudrait, pour être complet, parler aussi de tous les partenaires : municipalité, centres sociaux, clubs de prévention.

Mais j’ai été déjà beaucoup trop long.

Vous m’aviez demandé une lecture des problèmes. Alors moi, bêtement, j’ai fait un inventaire, une énumération. Bêtement parce que j’ai vainement essayé de préparer un exposé bien construit, une synthèse logique. Or quantité de choses ne trouvaient pas leur place ; je me suis donc résigné à vous les présenter en désordre.

J’ai ainsi récapitulé onze thèmes. Ils sont d’inégale importance, certains sans doute ne sont pas pertinents. Je vous les livre tels quels, charge à vous de faire le tri.

Première question : l’évaluation

On a procédé à des enquêtes, on nous a adressé des questionnaires. Avec des nuances, la question est toujours la même : qu’est-ce que donne la ZEP ? Comment ont évolué les résultats scolaires ? C’est à dire que l’on cherche à juger le produit fini sans trop chercher à comprendre comment est organisée l’entreprise. Or, il y a de telles différences d’une ZEP à l’autre que nous sommes régulièrement amenés à nous poser la question : peut-on légitimement parler de ZEP à propos de ce qui se passe à Hem ? Ce qui nous renvoie immédiatement à une autre question : qu’est-ce qui caractérise une ZEP ? C’est certainement par là que doit débuter une procédure d’évaluation : oui ou non, est-ce une ZEP ?

Second thème de réflexion, sans doute le plus rebattu : les moyens

La plupart des gens qui parlent ZEP pensent moyens supplémentaires ; c’est la formule célèbre prise à la lettre : " donner plus à ceux qui ont moins ". Et c’est vrai qu’il faut des moyens pour mener des actions. Ceux dont nous disposons ne sont pas considérables mais ils sont réels et surtout, ils sont significatifs. Je veux dire par là que quand l’administration nous attribue des postes ou quand les collectivités locales nous versent des subventions, cela atteste la reconnaissance officielle de notre travail. Les moyens supplémentaires prennent ainsi une valeur symbolique, ce qui est déjà un peu paradoxal. Au risque de choquer, j’irai même un peu plus loin : le problème qui se pose à nous, c’est l’utilisation de ces moyens : nous ne savons pas quoi en faire ! Bien sûr, le premier réflexe est de réduire le nombre d’élèves dans les classes, d’augmenter ou d’améliorer l’équipement en matériel pédagogique. Mais on n’a pas d’imagination ou simplement de savoir-faire pour mettre en place des actions associant plusieurs partenaires et reposant sur des montages financiers. Manque de volonté ? sans doute pour une part ; mais aussi manque de disponibilité, parce qu’il faut du temps pour élaborer collectivement des projets et pour négocier des contrats. Si le problème est là, il est facile de lui trouver une solution.

Autre thème traditionnel : le Projet de zone

Dans les circulaires, c’est un concept familier à tous, qui ne demande donc guère d’explications. Quant à son élaboration, elle se fait selon une procédure rigoureuse dont la logique est un régal pour nos intelligences : 1°)Diagnostic - 2°) etc. Nous nous réunissons donc en Equipe d’appui locale, nous nous creusons les méninges et plus nous avançons dans nos réflexions, plus la synthèse, que nous pensions pourtant implicite, se dérobe et s’éloigne. Nous mettons en place assez facilement des programmes d’actions qui tiennent la route. Mais, en revanche, nous ne parvenons pas à réaliser, en amont, un véritable diagnostic. Nous voyons très bien des choses à faire : nous débouchons donc sur des actions, que nous avons d’ailleurs les moyens de réaliser, comme je le disais à l’instant.

Mais tout cela n’est pas forcément cohérent. Ce qui donne de la cohérence à ce que nous faisons à Hem depuis huit ans, ce sont nos groupes de travail, c’est l’Equipe d’appui locale. La cohérence existe de fait, mais ce n’est pas la cohérence logique qu’implique la notion de projet de zone.

Quatrième thème de réflexion : les pratiques pédagogiques, ce qui se passe effectivement dans les classes

En 1982, les enseignants, particulièrement les instituteurs, s’attendaient à des directives : instruits par les expériences antérieures, ils se voyaient déjà contraints à des contorsions pour ajuster leur savoir-faire aux instructions ministérielles. Ces instructions ne sont pas venues et pour cause : on sait bien, en effet, quelles pratiques pédagogiques ont fait la preuve de leur inefficacité, voire de leur nocivité, auprès de la population scolaire de nos banlieues. On ne sait pas clairement, par contre, ce qu’il faut faire à la place. Provisoirement, nous avons essayé de gagner du temps en tenant un discours à tonalité prophétique : ce qui compte, ce ne sont pas les méthodes, c’est l’investissement des acteurs. Il faut favoriser l’implication personnelle. Et sur ce plan, nous ne sommes pas démunis, puisque nous disposons de moyens nous permettant de financer et de mettre en œuvre des actions, donc de responsabiliser les personnes à l’origine de ces actions. Responsabiliser sans culpabiliser : idée neuve dans l’Éducation nationale.

Las ! huit ans après, il faut bien admettre que cette démarche a ses limites. Ici, à Paris, je pourrais enjoliver un peu et vous présenter Hem comme un lieu d’excellence pédagogique. Ce ne serait pas tout à fait mensonger, mais ce serait très exagéré. Nous sommes pour la plupart bien conscients de nos insuffisances, mais que faire ? La voie royale, pour certains, c’est la sélection des enseignants : une circulaire parlait, il y a quelques années, de personnel " motivé et compétent " (je cite de mémoire). Il est bien évident que cette voie est une impasse : on peut rêver pendant les vacances, mais le jour de la rentrée, il faut travailler avec les collègues qui sont là et qui, dans l’ensemble, n’ont pas de raison d’être moins motivés ou moins compétents que d’autres. La solution doit sans doute être recherchée du côté de l’animation. J’en parle à mon aise dans la mesure où, comme coordonnateur, je n’ai pas de responsabilité de cet ordre. Je suis bien conscient des difficultés et j’ai honte de ne rien avoir à proposer ; mais je suis convaincu que c’est là qu’il faut être inventif.

Thème suivant : le partenariat

C’est une expression séduisante que je retrouve souvent dans les pages économiques de mon quotidien. On y parle du partenariat d’entreprises et je vois bien de quoi il est question : les partenaires sur un pied d’égalité, passent des accords - essentiellement des accords de coopération financière - dans lesquels chacun trouve son intérêt. Ces accords entre des entreprises sont en fait des accords d’états-majors ; ce n’est pas la situation que nous connaissons. Bien sûr, il y a des négociations entre le maire et l’inspecteur ou le principal ; mais ce que nous cherchons à réaliser, et que nous avons réalisé dans une certaine mesure, c’est une prise de responsabilité collective. Cela dépasse largement, sans les exclure pour autant, les accords d’états-majors. C’est pourquoi le terme de partenariat me semble réducteur.

Allons plus loin : ce qui me parait fondamental, essentiel, dans la ZEP que nous vivons à Hem, c’est ce qu’on peut appeler " le tissu relationnel ou le tissu de relations ". C’est le sixième thème que je propose à votre réflexion.

Sixième thème : le tissu relationnel ou le tissu de relations

La ZEP n’est pas, comme on le dit par commodité, un territoire : c’est une collectivité, un groupe d’hommes et de femmes. Ces ont des personnes ! A Hem s’est constitué un véritable réseau. L’organigramme que je vous ai présenté implique de multiples réunions : pendant l’année scolaire, on compte en moyenne deux réunions par semaine. Bien entendu, il ne s’agit pas des mêmes personnes : une bonne centaine au total est concernée, si bien que chacun a, en moyenne, deux à trois réunions par trimestre. Les gens se rencontrent, s’identifient, se connaissent, se reconnaissent : l’habitude vient tout naturellement de travailler ensemble, pour le meilleur et pour le pire. Car les conséquences sont très salutaires sur le plan affectif : on retrouve la notion d’implication personnelle que je soulignais tout à l’heure. Le climat créé est très stimulant. Mais, quand on parle de relations interpersonnelles, il faut s’attendre à des sympathies, des affinités électives, des rivalités, des aversions, des conflits ... Il arrive ainsi que l’on se trouve devant des situations complètement bloquées. Le coordonnateur doit intervenir sur la pointe des pieds pour essayer d’aménager les choses, alors qu’il est lui-même loin d’être neutre, engagé plus que tout autre dans l’enchevêtrement des rapports entre les personnes.

Septième thème : la communication

Dans le même ordre d’idées, si la ZEP est essentiellement un tissu de relations, l’un des ressorts les plus importants en sera la communication. Ce thème, peut-être inattendu, mais qui s’impose logiquement : pour alimenter la motivation, entretenir la mobilisation, il faut faire circuler l’information. Il n’y a pas de prise de responsabilité collective sans transparence. Plus subtilement, vis-à-vis des différents partenaires, vis-à-vis même de l’administration, il est utile d’avoir une politique de communication qui contribue à mettre en place ce qu’il faut bien appeler un rapport de forces. La ZEP en effet s’est constituée à Hem comme un groupe de pression avec lequel il faut compter : notre pratique de la communication y est pour beaucoup. La presse locale parle de nous régulièrement : un article sur la ZEP de Hem passe de temps à autre dans la presse nationale ou internationale, FR3 nous place au centre d’une enquête sur la lutte contre la toxicomanie... Tout cela renforce notre crédibilité dans nos rapports avec les collectivités locales, l’administration, les différents partenaires. Il faut savoir ce que l’on veut : on ne mobilise pas les gens avec des complaintes et des lamentations. On peut donner une information positive sans tomber dans la propagande. C’est une affaire de déontologie. C’est aussi une affaire de technique : je vous citais tout à l’heure le groupe Vidéozep ; il travaille actuellement à un projet que nous avons intitulé Promozep. Certains seront sans doute choquée par cette formulation : nous sommes prêts à en débattre.

Autre thème très voisin : les familles et l’école

On retrouve ici l’insuffisance de la notion de partenariat car les familles ne sont pas vraiment un partenaire organisé : c’est vrai à Hem, ce doit être vrai ailleurs. Elles ne sont pas non plus de plein-pied avec nous. Il y a donc une certaine hypocrisie à dire, comme le fait la circulaire du 1er février 1990, que les parents sont " les premiers partenaires de l’école ". La dite circulaire enchaîne d’ailleurs sur le carnet de correspondance ! D’accord, on peut dire en paraphrasant Monsieur Monory, que c’est un moyen qui a fait ses preuves. Mais sans vouloir le déprécier, on peut penser qu’il faut inventer autre chose. Il y a une réflexion à mener sur le problème de la communication avec les familles, car c’est vraiment un problème : quel dialogue rechercher ? quelle stratégie adopter ? quels détours pour établir des relations en évitant l’habituelle culpabilisation ? Autant de questions qui peuvent sembler banales mais auxquelles, jusqu’ici, nous n’avons pas apporté de réponses satisfaisantes.

Je passe du coq à l’âne pour proposer un autre thème.

Neuvième thème de réflexion : " la nouvelle donne "

Je m’explique : en 1982, nous avons rédigé, dans l’enthousiasme et la fébrilité, un projet de zone que nous avons remis solennellement à l’Inspecteur d’académie. Nous avions organisé pour la circonstance une grande réunion dans la salle des fêtes. Mais, indifférent à l’euphorie générale, l’Inspecteur d’académie s’est montré ferme : " je vous donnerai les moyens, vous avez deux ans pour réussir ". Il se situait dans une problématique qui était celle du dépannage. Le service public d’éducation était localement dans une situation désastreuse et il fallait le faire redémarrer. La ZEP était alors conçue comme une opération de sauvetage, une opération coup de poing.

Le 23 mars 1990, Lionel Jospin déclare dans son discours d’Arras, que la politique des zones prioritaires " s’inscrit tout naturellement dans l’action éducative pour la réussite de tous ". Il ne s’agit donc plus d’un dépannage, d’un traitement de choc : au début des années 80, dans un certain nombre de secteurs territorialement repérables, l’ensemble de la population scolaire était en difficulté. En 1990, on a isolé ce que j’appellerai, pour aller vite, le " noyau dur " de l’échec scolaire. Il ne s’agit plus du même public. On a retrouvé le séculaire sous-prolétariat roubaisien, qui revient à la surface alors qu’il était noyé pendant la période de plein emploi. En 1982, on nous rabattait les oreilles avec les enfants des travailleurs immigrés. En 1990, ils sont titulaires du BAFA, ils encadrent les centres de loisirs en attendant la rentrée des universités. Aux dernières élections municipales, ils étaient à deux doigts de présenter une liste ! C’est dire qu’ils ne sont pas résignés ! Les élèves qui, par contre, font le désespoir des instituteurs, sont les enfants de ceux qui, depuis des générations vivaient des miettes de la prospérité roubaisienne aujourd’hui révolue. Le problème qui se pose à nous n’est donc plus le dépannage du système : c’est l’intégration d’une population traditionnellement marginale, qui a toujours échappé, d’âge en âge, à l’influence scolaire. C’est ce que j’appelle la nouvelle donne : nous ne sommes plus dans la même situation qu’en 1980. Il faut donc se poser la question : le problème est différent, la mise en place de zones d’éducation prioritaires n’est peut-être plus la solution pertinente ?

D’autant que la pérennisation ne va pas de soi, ce qui nous amène à notre dixième thème. En 1982-83-85 (surtout en 85), les ZEP étaient un dispositif exceptionnel - je pense aux vraies ZEP - un peu enkysté, presque clandestin.

Il s’agissait de cas particuliers présentant un aspect expérimental, provisoire. Dans toutes les armées du monde, il y a ainsi des éléments d’élite, à moitié réguliers mais spécialistes des coups durs : corps francs, rangers, commandos ... Avec la circulaire du 1er février 1990, les ZEP deviennent un dispositif parmi les autres, un organe de la grande machine : les francs-tireurs vont devenir garnison ! Cette volonté est parfaitement légitime : dans un service public, pérenniser veut dire institutionnaliser. Mais de notre point de vue, c’est-à-dire au ras du sol, l’opération consiste à faire entrer un dispositif local dans un dispositif national préexistant. Or, le réseau ZEP, tel que je l’évoquais tout à l’heure, se déploie en surface, il s’étend horizontalement, tandis que les structures de l’Éducation nationale SONT VERTICALES. On cherche à connecter, à articuler une organisation essentiellement relationnelle, et donc " chaude ", avec une organisation fondamentalement hiérarchique, et donc " froide ". N’y a-t-il pas incompatibilité ? Dans les mois qui viennent, par exemple, va se jouer la dialectique du couple responsable-coordonnateur, l’un ayant un rôle paternel, l’autre une fonction maternelle. La fécondité de cette union ne semble pas assurée d’avance.

Je vais terminer en posant une dernière question qui me préoccupe très personnellement : celle de la dimension politique de la ZEP ...

Dans le Monde de l’Éducation de juin, vous avez pu lire que la réussite scolaire est désormais un enjeu politique, au niveau de toutes les collectivités locales et surtout au niveau des communes. A Hem, nous sommes sans doute dans un cas de figure très particulier : la vitalité de la ZEP lui a donné un poids qu’il ne faut pas exagérer, mais qui est quand même loin d’être négligeable, dans la vie politique locale. La ZEP est un contre pouvoir qui s’est développé et s’est organisé. Le maire doit, selon les cas, le ménager, le circonscrire, voire le combattre. Dans d’autres communes, la municipalité a flairé le danger et a verrouillé au préalable, en accord le plus souvent avec la hiérarchie de l’Éducation nationale : une ZEP mort-née n’empêche personne de dormir. A Hem, ce n’est pas le cas : une ZEP vivante n’est pas facile à contrôler. Elle résulte d’une dynamique sociale mais elle amplifie cette dynamique sociale et lui donne du sens. Enjeu politique, elle se métamorphose en force politique. Maturité ou crise de croissance ? Achèvement ou perversion ? Les avis sont très partagés !

Restons en là pour aujourd’hui : cet inventaire hétéroclite n’est sûrement pas exhaustif mais on doit y trouver matière à débat.

Bernard Dupisson le 25 juin 1990

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