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Les nouveaux profs de ZEP plutôt favorables au projet de loi Fillon (La Croix)

13 janvier 2005

Extrait de "La Croix" du 12.01.05 : Les profs prêts à suivre leur ministre

Le ministre de l’éducation nationale François Fillon présente mercredi 12 janvier le projet de loi d’orientation sur l’école. La réforme, plutôt bien accueillie sur le terrain, fixe comme priorité la lutte contre l’échec scolaire.
Et voici le CIRE. Autrement dit le contrat individuel de réussite éducative qui se présente comme l’une des principales trouvailles pédagogiques de la réforme Fillon. Sous le sigle se cache un dispositif à l’apparente simplicité. Ce contrat signé par l’élève, les parents et l’équipe enseignante ouvre un droit à des cours renforcés en petits groupes dans les disciplines où sont repérées des lacunes. L’objectif également semble clair : lutter contre l’échec scolaire, priorité numéro un du projet de loi que François Fillon présente mercredi 12 janvier en conseil des ministres.

En ligne de mire : l’uniformité des parcours scolaires. Chez les jeunes enseignants, qui sont très souvent affectés dans les établissements difficiles en début de carrière, cette priorité rejoint bien une véritable attente. Sur le terrain, les équipes éducatives n’ont d’ailleurs pas attendu pour s’adapter à leurs publics. À 27 ans, Julie a déjà cinq ans de métier. Professeur de français dans un collège marseillais à la réputation difficile, la jeune femme explique que des enseignants ont regroupé les élèves par niveau : « Dans le groupe le plus faible, les élèves sont moins nombreux et ont droit à une heure de français en plus chaque semaine. On s’adapte à eux. C’est l’inverse d’une classe « poubelle » et, à tout moment de l’année, les élèves peuvent évoluer d’un groupe à l’autre. »

Enseignante d’espagnol dans les Landes, Maïténa, 30 ans, a exercé deux ans dans un collège de région parisienne. La jeune femme avoue elle aussi des pratiques « hors la loi » destinées aux élèves en grande difficulté. « Par exemple je dispensais certains d’entre eux de mon cours d’espagnol. À la place, ils allaient à la bibliothèque où ils pouvaient bénéficier d’un programme de lecture mis au point avec la documentaliste. » Pour les deux jeunes femmes, l’efficacité des méthodes compte davantage que leur conformité aux normes. Elles accueillent plutôt favorablement l’arrivée du fameux Cire.

La réforme Fillon ne mise pas sur un dispositif lourd. Dans le cadre de l’autonomie pédagogique renforcée des établissements, il revient aux équipes éducatives de s’organiser. Maïténa apprécie : « Enfin des idées simples et pragmatiques. »
"Cela demande du travail, mais ça vaut le coup"
Après seulement trois ans d’enseignement, Julien fait déjà figure d’ancien dans son collège du Val-de-Marne classé en ZEP. À 30 ans, cet enseignant de mathématique déclare pour sa part être là par choix. « Je suis professeur avant d’être mathématicien. Et j’ai la sensation d’exercer mon métier là où tout se joue vraiment. » Comme ses deux collègues, Julien regarde d’un bon œil une réforme qui prétend adapter les parcours scolaires aux élèves. Mais, en l’absence de chiffres sur le dispositif, le mathématicien reste méfiant : « D’année en année, on nous réduit toutes les possibilités d’aides ou d’accompagnement d’élèves. On se bagarre pour des bouts de chandelle. Tout ce qui déborde des programmes est rogné. Et d’un coup, on nous dit qu’on va s’y remettre. Je ne comprends pas ces façons de faire qui découragent les enseignants. »

Maïténa estime que l’école peut tout de même se donner les moyens d’améliorer l’aide individualisée pour lutter contre l’échec scolaire. « Cela demande du travail, mais ça vaut le coup. Même dans un collège où 15 % des élèves sont en difficulté, cela ne représente jamais que deux à 3 élèves par professeur. »

Cette logique de personnalisation des enseignements s’appuie, dans la réforme Fillon, sur la définition d’un « socle commun des connaissances ». Sorte de noyau dur des savoirs que l’école s’engage à apporter à tout élève durant la scolarité obligatoire. L’idée ne choque pas a priori Julien. Le jeune homme témoigne que chez lui, des élèves arrivent en troisième sans connaître leurs tables de multiplication ou sans savoir lire. « En moyenne, 60 % des élèves décrochent le brevet. » Mais le jeune homme craint que ce socle ne cache une baisse des ambitions.

Julie partage cette analyse. « Sur 23 élèves de ma classe, je sais que quatre ou cinq seulement iront en seconde générale. Mais c’est précisément pour cela qu’il ne faut pas baisser les bras. Le collège restera la seule expérience de leur vie de contact avec une culture commune. » N’a-t-elle pas travaillé le Sonnet pour Hélène de Ronsard avec une classe de troisième d’adaptation ? « Il faut adapter, simplifier. C’est plus difficile de travailler avec les élèves en difficulté mais ça vaut le coup. »
"Il ne faudrait pas que l’on pousse les élèves à s’orienter trop tôt"
Anthony, 30 ans, apprécie que la réforme insiste sur le projet de l’élève qui devra être mieux pris en compte dans toute décision d’orientation. Enseignant de français dans un lycée professionnel, il analyse lucidement que « la plupart des élèves sont là par défaut. Ils pensent qu’ils sont « nuls ». On passe une partie du premier trimestre à leur redonner confiance en eux. Il y a une révolution culturelle à faire tant du côté des familles que du côté des collègues de l’enseignement général. Le projet de loi insiste sur l’aide au choix, mais je trouve que c’est encore très vague. Il ne faudrait pas que sous ce prétexte, on pousse les élèves à s’orienter trop tôt. »

Selon la réforme Fillon, la définition d’un socle commun devrait encore permettre de diversifier les parcours scolaires notamment en relançant l’alternance entre travail scolaire et apprentissage. Maïténa est sur ce point très méfiante. « Avant de proposer de l’apprentissage, il faut trouver les patrons qui aient du temps à consacrer au jeune. Trop souvent, les jeunes se retrouvent à faire du balayage et ce n’est pas comme cela qu’on les met sur le chemin de la réussite. »

Maïténa, Julie, Julien et Anthony. Ces enseignants qui débutent dans le métier appartiennent à une génération que tous les sociologues ont décrite comme beaucoup plus pragmatique que les précédentes. Ils ne croient plus au dogme de l’égalité. Ils plébiscitent le travail en équipe, sont capables de s’engager sans compter... au risque de se révéler parfois plus fragiles qu’ils ne le soupçonnaient (1). L’accent mis, dans le projet de loi Fillon, sur la liberté pédagogique des enseignants, sur l’autonomie des établissements, sur les facultés d’adaptation aux publics d’élèves, ne doit donc rien au hasard. C’est bien sûr cette nouvelle génération d’enseignants que semble calée la réforme de l’école à l’horizon des quinze ans à venir.

Bernard GORCE

(1) Lire notamment Enquête sur les nouveaux enseignants de Patrick Rayou et Agnès Van Zanten, Bayard, 2004

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