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18.01.08 - Le texte complet des déclarations de Fadela Amara au Figaro Madame sur son plan « Espoir banlieue »

18 janvier 2008

Extrait du « Figaro Madame » du 17.01.08 : Fadela Amara : « Je veux faire émerger une élite des banlieues »

C’est un grand chantier, un énorme espoir. La secrétaire d’Etat chargée de la politique de la ville nous révèle en avant-première les grandes lignes de son projet, souhaité par Nicolas Sarkozy. Pour mieux en saisir les enjeux, « Madame Figaro » a réuni autour de Fadela Amara des entrepreneurs et des professionnels qui se battent pour les cités. Tous sont persuadés que les banlieues sont un formidable réservoir d’énergies et de talents à exploiter.

Propos recueillis par Viviane Chocas et Dalila Kerchouche

« Madame Figaro » - À diplôme égal, nous dit la Halde (1), il est deux fois plus difficile de trouver un travail quand on est un jeune Français issu de l’immigration et habitant d’un quartier sensible. Comment le plan Banlieue peut-il rétablir l’égalité des chances ?

Fadela Amara. - Dans ces quartiers dits sensibles, où vivent six millions d’habitants, et dont l’opinion publique a souvent une vision négative, les gens sont majoritairement jeunes. Or, ces gamins-là veulent juste la norme : aller à l’école, faire des études, trouver un travail, se marier et créer une famille pour certains... La norme. Je l’entends partout, dans toutes les visites territoriales que j’ai faites, y compris jusque dans les cages d’escalier, où j’ai eu besoin de rencontrer les « casquettes à l’envers », comme on les appelle. Cette agressivité que certains affichent en façade cache un appel au secours. Dans certains quartiers, on compte 40 % de chômage chez les jeunes.

Cette discrimination les détruit de l’intérieur, les empêche d’adhérer aux valeurs de la République et de se sentir pleinement citoyens. Certains partent travailler en Angleterre par exemple, d’autres basculent dans la délinquance, c’est une minorité qui s’impose alors à une majorité qui en souffre. On ne va pas régler le malaise en quarante-huit heures, je rends hommage à tous mes prédécesseurs, car je sais combien cela est dur sur le terrain. Mais nous allons mettre le paquet sur les cinquante quartiers les plus en difficulté. Emploi, éducation, désenclavement seront les trois axes majeurs. L’objectif du plan Espoir Banlieue est de casser les préjugés et de montrer que la banlieue, c’est aussi la France.

Robert Djellal. - À l’université de Paris VIII en Seine-Saint-Denis, où j’ai été secrétaire général, sur 27 000 étudiants, 80 % sont issus des quartiers. Quand ces jeunes diplômés arrivent sur le marché, ils trouvent d’abord des portes fermées, ou se résignent à des métiers peu qualifiés. J’ai vu la détresse chez beaucoup. Pourtant, depuis quelques années, une dynamique est lancée, des entreprises jouent le jeu, sont en train de changer. Pour une première raison simple : elles ont besoin de recruter. Or, où se trouve la jeunesse ?

Fadela Amara. - Dans ce terreau riche qu’on appelle les quartiers ! Nos enquêtes montrent que 50 % des jeunes des quartiers veulent créer leur entreprise, ne serait-ce que pour créer leur emploi. Il y a là un vivier extraordinaire d’entrepreneurs avec des idées innovantes, de la volonté, de la niaque. Or, ils ne peuvent pas réaliser leur projet car ils n’obtiennent pas de prêt bancaire et manquent d’informations juridiques. Nos dispositifs vont coller à cette réalité-là.

Manuella Arulnayagam. - Dans mon école d’ingénieurs, j’étais la seule d’origine étrangère, domiciliée dans le 93. À la fin des études, tous mes copains de promo ont trouvé un job, moi, pendant un an, j’ai envoyé plus de trois cents CV, restés sans réponses positives. Je doutais de moi, je me sentais inutile, seule devant mon ordinateur. Ma solution alors fut de poursuivre mes études.

« Madame Figaro » - Comment, Manuella, avez-vous finalement trouvé un emploi correspondant à vos qualifications ?

M. A. - Même à bac + 8, cette discrimination, on la rencontre encore. Pendant mes études, j’ai vécu avec 300 euros par mois, pour me loger, m’habiller, me nourrir. Il faut de la volonté...

Fadela Amara - Ça relève de quelque chose de plus que la volonté !

M. A. - Quand j’ai recommencé ma recherche d’emploi, j’ai opéré différemment. Plutôt que d’envoyer des CV, je suis allée à la rencontre des entreprises. Au culot. J’ai arpenté les forums pour rencontrer les DRH. Ils nous voient, le CV ne fait plus barrière. Grâce à l’association « Nos quartiers ont du talent », j’ai rencontré la DRH de L’Oréal, qui m’a recrutée comme ingénieur.

« Madame Figaro » - Des jeunes cherchent des emplois, des entreprises ont besoin d’embaucher, or les uns et les autres ne se rencontrent pas. Pour les patrons, un nom et une adresse font-ils clairement blocage ?

R. D. - Beaucoup de patrons, à force de voir des voitures qui brûlent dans les médias, s’imaginent à tort que tous ces jeunes des quartiers sont des délinquants.

Étienne Boyer. - Il n’y a pas à discuter du fait qu’il y a discrimination, c’est la réalité. Les rapports de Jean- François Amadieu, de l’Observatoire des discriminations, sont clairs. Et depuis un an, la situation empire pour les jeunes d’origine étrangère.

« Madame Figaro » - Chez Areva, comment avez-vous pris conscience de cette situation ?

É. B. - Quand on a commencé à en parler, j’ai pensé : « Non, pas chez nous ! » Puis je suis descendu à la cafétéria pour voir les salariés. Nous étions dans la monoculture et la monocouleur. Indiscutablement, c’est une source de pauvreté pour nous.

Fadela Amara - Moi qui milite depuis très longtemps pour les droits de l’homme avec un grand H, j’ai toujours considéré que la discrimination est l’une des formes d’injustice les plus terribles dans notre pays. Ces injustices ne sont pas palpables. Vous le dites à travers vos mots avec beaucoup de pudeur, Manuella, mais elles minent de l’intérieur.

Augustin d’Humières. - On assiste à une montée de l’intolérance, mais aussi d’une culture du réseau. Ces jeunes de banlieue ne sont pas favorisés parce qu’ils n’ont pas les parents ou les grands-parents dans les grands réseaux de l’entreprise pour leur donner un coup de pouce décisif.

É. B. - Là aussi, depuis deux ans, il se passe des choses. Mille cinq cents entreprises ont signé la Charte de la diversité, il y une vraie prise de conscience et une volonté politique que les choses changent. C’est une révolution culturelle lourde.

Fadela Amara - L’intolérance marche dans les deux sens, les jeunes des cités ont aussi des préjugés. Il faut absolument les réconcilier avec le monde de l’entreprise. Ça passe par des stages par exemple, dès la troisième, où les élèves sont conviés à passer quelques jours en entreprise. Or beaucoup de gamins des quartiers difficiles n’arrivent pas à trouver de stage. Premier contact avec le monde de l’entreprise et première calotte. Quand on n’a pas de réseau, on ne peut pas téléphoner à quelqu’un qui éventuellement peut aider, vous avez raison. Aussi, avec ce plan, nous allons voir comment organiser la répartition anonyme des élèves dans les entreprises qui les accueillent, quatre ici, cinq là... Ces premiers pas dans le monde du travail ne doivent pas se solder par une frustration et une révolte après. Je suis déterminée.

« Madame Figaro » - L’emploi des jeunes, ce sera donc l’axe fort du plan consacré aux banlieues ?

Fadela Amara - Absolument. Nous allons dégager un milliard d’euros pour désenclaver cinquante quartiers prioritaires qui accumulent les difficultés, comme les Bosquets, en Seine-Saint-Denis. Il s’agit d’améliorer les transports - bus, tramway, taxis collectifs - pour ouvrir ces quartiers sur l’extérieur. Nous installerons des bureaux de recrutement au pied des cités, avec des partenaires privés et publics. Pour les jeunes sans qualification, nous proposerons un parcours sécurisé avec du coaching, des formations, le financement du permis de conduire si besoin.

Certains, au bout de deux mois dans une société, abandonnent ou sont licenciés à cause de leur comportement. C’est pourquoi il faut travailler aussi sur le langage, et votre expérience m’intéresse, monsieur le professeur ! On va multiplier les bonnes pratiques, comme les forums pour l’emploi ou le recrutement à partir de CV anonymes. Nous évaluerons enfin avec les maires et les préfets ce qui est nécessaire, au cas par cas.

« Madame Figaro » - À la manière de Martin Hirsch, qui expérimente sur certains départements le revenu de solidarité active (2) ?

Fadela Amara - Oui, c’est tout à fait cela. Nous lancerons des expérimentations. Par exemple, nous voulons multiplier les cafés de parents aux abords des collèges et des lycées, pour que les familles rencontrent les profs et s’investissent davantage dans la scolarité de leurs enfants. Dans certains établissements, nous allons créer des pôles d’excellence, avec apprentissage du solfège, ou du chinois, ou du latin et du grec dans des collèges. On veut brasser les gens, les cultures, les savoirs, créer de la mixité. Je veux faire émerger une élite des quartiers.

A. H. - Chercher un travail et rencontrer des difficultés même à bac + 5, c’est une réalité qui s’impose partout. Je vois des lycéens de banlieue obtenir des mentions, ils sont dans l’excellence dont vous parlez. Mais leur progression patine ensuite, à cause de choses aussi simples que l’information. Ils ne connaissent pas les bonnes filières. Demandez aujourd’hui dans une terminale scientifique à Noisy-le-Sec ce qu’est un X-Mines. On vous répondra que c’est un groupe de rap, quand bien même ces jeunes sont à une année de la prépa math sup. Vous voulez créer une élite, mais la jeunesse des quartiers ne connaît pas ces voies d’excellence !

Fadela Amara - Sciences-Po, par exemple, a fait des efforts qui payent. Je reste optimiste. Quand Richard Descoings, son directeur, a décidé d’élargir le recrutement en créant les Conventions éducation prioritaire avec des lycées de banlieues classées en ZEP, beaucoup l’ont décrié. Moi pas. Ça a donné un espoir phénoménal aux gamins dans les quartiers, ils me l’ont dit.

A. H. - Dans l’univers concurrentiel des prépas, le combat est perdu d’avance si on n’améliore pas les conditions de logement ou de financement des études pour ces jeunes. Quand on cumule un trajet quotidien de trois heures de RER et un travail dans la restauration rapide le week-end, c’est terminé. Vous devez veiller à ce que les règles soient équitables.

« Madame Figaro » - Sur le terrain, comment accompagner concrètement les jeunes ? Tutorat, parrainage peuvent se révéler efficaces. Les utilisez-vous ?

M. A. - Avec l’association « Nos quartiers ont du talent » (3) j’ai suivi des séances de coaching. Le plus important pour moi était d’apprendre à m’exprimer en public. J’ai dû un beau jour parler d’une passion personnelle, dans un amphi rempli d’étudiants, et j’ai fini par lire un passage d’un livre. Parce que j’avais été coachée, j’ai osé cela et senti mon public touché. Ça donne une grande assurance.

A. H. - J’ai mis en place avec l’association un atelier de théâtre en banlieue. Lorsqu’ils travaillent pendant dix mois « le Songe d’une nuit d’été » ou « Cyrano de Bergerac », ces élèves sont sur scène dans la peau d’un personnage, et non plus identifiés comme étant nés quelque part. Ils parlent la langue de Shakespeare ou d’Edmond Rostand et acquièrent un rapport à l’oral qui leur donne une aisance formidable. Face à un directeur des ressources humaines, cela est bénéfique, bien sûr...

É. B. - Chez Areva, nous avons créé une fondation qui veut développer des actions de bénévolat de compétences. Un jeune, par exemple, va monter un kebab ou un garage, et quelqu’un de chez nous l’accompagnera pendant un certain temps. Nous voulons créer des passerelles pour que des jeunes ingénieurs du groupe accompagnent des jeunes en classes préparatoires, les aident à se préparer aux concours. Il y a une autre chose à considérer. Dans l’industrie, des centaines de milliers d’emplois sont libres, à occuper immédiatement, des machines ne tournent pas car on ne trouve pas de bras.
Donc je pense que l’école doit former aussi pour répondre aux besoins des entreprises. Je trouve épouvantable qu’en septembre dernier, des centaines de postes en contrat d’apprentissage n’aient pas trouvé preneurs. Car, à la fin du contrat, le jeune avec un bac pro est sûr de trouver du travail. Chaque fois que nous faisons des opérations avec des conseillers d’orientation, je leur demande s’ils connaissent les filières industrielles. Ils répondent non. Les professeurs, encore moins. On a des emplois libres, des filières d’apprentissage qui existent, et pas de connexions.

« Madame Figaro » - Qu’est-ce que l’entreprise a à gagner, selon vous, du mélange des cultures ?

É. B. - Ce n’est pas seulement parce qu’on est bien-pensant et qu’on a de vraies valeurs que l’on agit en ce sens. Il existe un besoin économique de diversité. Avant, mon groupe travaillait essentiellement pour des clients français, l’armée et EDF. Comprendre leurs besoins n’était pas très compliqué. Aujourd’hui, les prochains réacteurs, nous les vendons en Chine, en Afrique du Sud, on espère en Algérie, en Finlande et aux États-Unis. Si on veut comprendre le monde tel qu’il est, il faut qu’à l’intérieur de l’entreprise on ait des gens qui soient du monde. Cette addition des différences apporte avant tout de la richesse.

M. A. - Les entreprises à vocation internationale ont besoin de comprendre comment travaille un Japonais, un Chinois, un Américain, je le constate sur le terrain.

« Madame Figaro » - Depuis trois ou quatre ans, beaucoup d’entre elles communiquent sur leur exigence de diversité. Simple question d’image ou changement réel des mentalités ?

A. H. - La diversité, c’est la face positive du mot discrimination. À part le monde du football, la société française en profite peu. Or, elle a tout à y gagner. Parce qu’il y a là un réservoir d’énergies et de talents formidables et inexploités.

É. B. - L’entreprise est rattrapée par tous les désordres d’une société, c’est peut-être banal, mais pas moins vrai. Donc l’entreprise a un intérêt économique à ce que les banlieues aillent mieux, aillent bien. Ça me rassure, je l’avoue, car s’il y a un vrai besoin économique de diversité, ça veut dire que ça va marcher, que les entreprises vont nous rejoindre, que ça va durer.

Fadela Amara - On est nombreux à avoir plus de 40 ans et à être issus de l’immigration, cela fait un bout de temps qu’on est là, nos parents aussi, et ce mot diversité est apparu, vous l’avez dit, ces trois ou quatre dernières années. C’est un concept politique. Il faut le valoriser, le faire monter en puissance, que partout la diversité existe, dans le monde économique, social, politique et médiatique. Oui, il faut abattre les frontières, ne seraient-elles que virtuelles, et les ghettos mentaux.

(1) Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité.

(2) Permet aux plus démunis de continuer à percevoir certaines allocations, tout en réintégrant le marché du travail.

(3) site Internet

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