> III- INEGALITES : Mixité sociale, Pauvreté, Ethnicité, Laïcité... > Inégalités sociales > Inégalités sociales (Etudes) > « Comprendre l’échec scolaire. Elèves en difficulté et dispositifs (...)

Voir à gauche les mots-clés liés à cet article

« Comprendre l’échec scolaire. Elèves en difficulté et dispositifs pédagogiques », par Stéphane Bonnéry : une avancée pour connaître les élèves de ZEP

14 décembre 2007

Extrait de « L’Humanité » du 11.12.07 : La construction des difficultés scolaires

Stéphane Bonnéry retrace les spirales de l’échec d’élèves qu’il a observés durant deux ans et invite à réfléchir aux pédagogies.

Comprendre l’échec scolaire

Élèves en difficulté et dispositifs pédagogiques

par Stéphane Bonnéry. Éditions La Dispute, 2007, 224 pages, 20 euros.

Comprendre l’échec scolaire est d’une nécessité criante tant il est onéreux socialement, et subjectivement pour les élèves d’origine populaire qui en sont les principales victimes. Aussi l’immense mérite du travail de Stéphane Bonnéry est-il de nous permettre d’aller loin dans la compréhension des processus qui sont à l’oeuvre dans la production de cet échec, en nous montrant ce qui se passe là où cela se joue fondamentalement, c’est-à-dire dans les classes (ici de CM2 et de 6e).

Qu’il s’agisse de l’apprentissage du schéma électrique, de la notion d’aire, de la respiration, de la carte de géographie, des vertébrés ou du conte, nous sommes conviés à suivre comment se construit pour les élèves concernés l’impossibilité d’accéder à la compréhension des objets d’étude. Cette plongée dans la façon dont les élèves s’y prennent pour essayer de répondre positivement aux attentes de l’école est passionnante et terriblement instructive des difficultés induites par la conception même des séances d’apprentissage, contre lesquelles leur intelligence vient buter. Ce détour par l’observation fine des processus par lesquels ces élèves s’installent dans des postures inadéquates aux exigences intellectuelles des savoirs nous renvoie donc plus fondamentalement aux dispositifs pédagogiques mis en oeuvre, sur lesquels repose la responsabilité objective de l’échec. Une responsabilité qui, faut-il le préciser, ne saurait conduire pour l’auteur à la moindre accusation culpabilisante des enseignants.

Centré sur la nécessaire démocratisation, son objectif est d’interroger les conceptions pédagogiques dominantes aujourd’hui, qui entendent rompre avec les anciennes, moins « libérales », ce qui l’amène à développer l’idée qu’à l’insu même des enseignants ces conceptions à strates multiples les conduisent à penser leur pédagogie en prenant pour référence implicite et exclusive les ressources intellectuelles des enfants des milieux cultivés. La nécessité de transmettre aux autres les moyens de s’approprier ces ressources se trouve alors de fait oubliée. Ainsi, en supposant acquises chez tous les dispositions qu’elle s’abstient de construire, « l’école prend une part très active à la formation de la difficulté scolaire », une difficulté scolaire qui finit le plus souvent par se déplacer vers la relation pédagogique mouvementée, la résistance passive, voire l’escalade conflictuelle.

L’ouvrage débouche sur des axes de réflexion essentiels pour les transformations nécessaires des dispositifs pédagogiques. Les enseignants sont au coeur d’une contradiction majeure : participer à la reproduction des inégalités sociales en sélectionnant malgré eux les élèves qui sont d’avance en phase avec la culture scolaire, et se faire les garants d’un service public d’éducation censé enseigner un corps de savoirs communs à toute une génération. La question de l’école et des pratiques est donc aussi une question politique pour les enseignants : agir pour une réelle démocratisation implique une réflexion de fond collective devant déboucher sur une transformation des pratiques d’enseignement permettant de faire réussir aussi ceux « qui n’ont que l’école pour comprendre l’école ».

D’un enjeu particulièrement fort, ce riche travail s’inscrit au coeur des activités de formation et de réflexion des enseignants, dans les IUFM et bien sûr ailleurs.

Janine Reichstadt, professeure de philosophie

---------------

Extrait de « La Lettre du Réseau » du 14.12.07 : Une analyse de Daniel Rome

Note de lecture

« Élèves en difficultés et dispositifs pédagogiques » - Edition La Dispute (2007)

Stéphane Bonnery analyse dans le livre qu’il publie à La dispute les mécanismes de l’échec scolaire. Il part d’observations en classe et tente de mettre en lumière les pratiques pédagogiques, qui parées des meilleures intentions, produisent de l’échec scolaire. Il analyse le décalage entre des pratiques qui veulent permettre l’entrée dans le savoir et ce qu’il en est réellement, ce qu’Elisabeth Bautier et JY Rochex nomment par « les malentendus qui font la différence1 ». Partant d’observations dans des classes Stéphane Bonnery montre comment certains élèves restent dans la « tâche » quand d’autres se mobilisent sur une activité qui fait sens pour eux et qui leur permet de se construire pour de bon des savoirs.

Il précise que : « les inégalités scolaires ne préexistent pas à la scolarité : c’est dans l’école qu’elles adviennent à partir des inégalités sociales entre élèves. Les inégalités statistiques constatées entre les parcours d’élèves issus de classes sociales différentes se construisent (et doivent donc aussi être étudiés) à l’intérieur des salles de classes. Elles ne sont ni jouées d’avance de façon mécanique ni construites dans les classes au hasard d’interactions aléatoires et comme en « apesanteur » sociale. ».

L’ouvrage est structuré en quatre chapitres :

 1°) la difficulté intellectuelle dans le processus d’apprentissage,

 2°) dispositifs pédagogiques et inégalités scolaires, les élèves entre l’école,

 3°) la famille et les pairs,

 4°) la spirale de l’échec,

et questionne la nécessaire démocratisation qui est en panne et il articule de manière dialectique pratique pédagogique et enjeu politique. On peut vouloir la réussite de tous les élèves et avoir des pratiques qui infirment cette volonté et laissent au bord du chemin tous les élèves qui n’ont pas un certain capital culturel à domicile. Toutes les pratiques pédagogiques ne se valent pas et transformer l’acte pédagogique au quotidien dans les classes de la maternelle à l’université nécessiterait une politique de formation autrement plus ambitieuse.

Le système éducatif, le corps enseignant dans sa grande majorité continuent de fonctionner essentiellement pour les enfants des classes moyennes avec qui « on a une connivence intellectuelle et culturelle ». Il ne s’agit pas de stigmatiser les enseignants, ni de rechercher des « coupables » mais de comprendre ce qui se joue dans la salle de classe pour mieux agir et transformer dans le sens de l’émancipation humaine et d’une Ecole de la réussite pour tous les élèves sans exception. Si tous les élèves sont capables de réussir alors ne devons-nous pas changer nos pratiques pour donner crédit à cette affirmation ?

Dans sa conclusion Stéphane Bonnery précise aussi : « Quand l’école délivre un verdict de « grande difficulté » sur un élève, c’est souvent lors de moments de conflits, de décrochages actifs, de comportements inadmissibles dans l’institution. Mais ces événements les plus visibles constituent en fait l’aboutissement de processus bien plus discrets qui se construisent tout au long de la scolarité. Cette construction n’est ni prédéfinie ni irrémédiable. Les difficultés scolaires n’affectent pas les élèves de façon socialement aléatoire, ses victimes se recrutent très préférentiellement dans les classes populaires. Pour autant, la recherche que nous avons menée ici ne permet pas de conclure à quelque déterminisme social implacable. Ces difficultés surviennent dans des contextes précis, elles tiennent aux conditions dans lesquelles élèves et enseignants agissent et interprètent les situations d’apprentissage. Leur construction progressive a à voir avec des dispositifs pédagogiques et des objets de savoir qui sont modelés par l’histoire scolaire et par les évolutions de la vie sociale, qui sont marqués donc par les antagonismes sociaux ».

Un ouvrage très utile pour tous ceux qui ont à coeur la transformation de l’Ecole dans le sens d’une plus grande démocratisation. « Comprendre l’échec scolaire » est une somme de travail utile pour nous tous car le lien est fait entre pratique pédagogique et enjeu politique.

Daniel Rome

La lettre du réseau N°34 - Décembre 2007 Page 15

Répondre à cet article