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Parents, associations, enseignants et religions questionnés par « La Croix » à propos des « quartiers »

30 novembre 2007

Extrait de « La Croix » du 28.11.07 : Dans les quartiers, pour éviter encore pire

Les jeunes des quartiers refusent souvent toute forme d’autorité. Parents, associations, enseignants et religions aident les politiques à faire en sorte que la situation ne soit pas totalement désespérée

Les communautés musulmane, juive, catholique et protestante de Saint Fons organisent le dimanche 12 février 2006 une journée portes ouvertes. Une initiative qui fait suite à l’appel interreligieux que ces quatres communautés ont lancé durant la crise des banlieues de l’automne 2005 (Photo Cousin/Ciric).

Les parents

Ils sont en première ligne et souvent accusés de ne pas remplir leur rôle. À l’automne 2005, un sondage CSA pour La Croix révélait que, pour 69 % des Français, « le contrôle insuffisant des parents sur leurs enfants » était la principale explication à la flambée de violence dans les banlieues (1).

Georges Kritchmar, éducateur spécialisé de l’aide sociale à l’enfance du Blanc-Mesnil (Seine-Saint-Denis), estime cependant que « la majorité des parents arrivent à faire face dans les quartiers sensibles, même si on ne parle pas d’eux. Ils exercent leur autorité, avec de belles réussites : il y a des élites qui ont grandi en banlieue, il ne faut pas l’oublier », tient à rappeler ce thérapeute familial.

Georges Kritchmar n’en est pas moins conscient des difficultés rencontrées par certains parents, dont l’influence est mise à mal. Pour des raisons sociales, tout d’abord. « Nous rencontrons beaucoup de mères seules qui travaillent, avec des temps de transport très longs. Leur présence à la maison est réduite de ce fait », souligne l’éducateur, en rappelant que les bandes qui sévissent dans les cités « sont très prédatrices ».

Il évoque aussi la difficulté de certains pères, licenciés au moment des chocs pétroliers, qui ont « perdu leur statut de chef de famille » en même temps que leur statut social. De son côté, Ana Cislaghi, qui dirige la maison des parents de Bobigny, parle de chocs de culture et de générations. Souvent en forme de paradoxe.

« Beaucoup de parents se veulent autoritaires et tentent de reproduire, vis-à-vis de leurs enfants, les méthodes d’éducation très strictes qu’ils ont eux-mêmes subies. Cela produit souvent l’effet inverse, avec des jeunes en rupture, qui dès 14 ou 15 ans, rejettent l’autorité parentale. »Après les violences de 2005, beaucoup de parents ont confié à Ana Cislaghi la crainte que leur enfant leur échappe. « Cette peur est très pressante. Je ne connais pas de parents indifférents, qui ne soient pas soucieux de leurs enfants. Mais des parents qui n’y arrivent pas, oui. » Jusqu’à abdiquer, parfois, parce qu’ils ne trouvent plus leur place.

« Notre rôle, c’est souvent de les revaloriser et d’être des médiateurs avec les institutions comme l’école ou la justice, quand il y a incompréhension », conclut Georges Kritchmar. À la maison des parents de Bobigny, on travaille justement sur cet aspect, afin de replacer les parents dans leur rôle.

Le tissu associatif

En période de crise, le tissu associatif peut se transformer en filet de sécurité. Ainsi, à chaque fois qu’une banlieue s’embrase, bénévoles et permanents se mobilisent nuit et jour pour sauver ce qui peut encore l’être. Mais leur travail, bien sûr, s’effectue surtout en amont. « Nos centres sont souvent le seul équipement de proximité », fait valoir Marie-Chantal Duru, déléguée de la Fédération des centres sociaux en Seine-Saint-Denis.

« Ils sont ouverts tous les jours de la semaine, avec une grande amplitude horaire. Ils accueillent des gens de toutes les générations et essaient de les amener à se rencontrer à la faveur de multiples projets : animations de rue, de bourses aux vêtements, aides au départ en vacances... »

S’ils n’ont guère de prise sur les problèmes de fond que sont le chômage, les discriminations ou le mal-logement, les centres sociaux offrent une caisse de résonance. « Lors de la crise de 2005, plusieurs centres ont réalisé des films pour permettre aux habitants de banlieue de s’exprimer », rappelle Marie-Chantal Duru.

Néanmoins, cette responsable constate qu’il est désormais difficile, voire impossible, d’établir le contact avec la partie la plus violente de la jeunesse. « La priorité est plutôt de faire en sorte que les autres gamins ne se laissent pas entraîner par cette toute petite minorité. »

« C’est tout le dilemme », confie, à regret, une militante associative de Sarcelles (Val-d’Oise). « Soit on va au-devant des jeunes en rupture, avec toutes les difficultés que cela suppose. Soit on se dit que, pour eux, c’est trop tard, et l’on se concentre sur la prévention. Ce qui, hélas, revient à se priver du peu de légitimité que l’on avait encore aux yeux des plus radicaux, déjà engagés dans une démarche d’autodestruction. »

À La Courneuve (Seine-Saint-Denis), dans la cité des 4.000, « Jade » (Jeunes actions dialogue entreprise) essaie de rattraper, parfois in extremis, certains jeunes « qui se sont fâchés avec l’école ». Cette association leur propose notamment de passer leur permis de conduire. « Cet apprentissage nous permet de leur faire réviser les maths et le français, tout en travaillant sur la notion de règles », souligne Marianne Bureau, la directrice. « Pour beaucoup, le permis constitue l’unique diplôme à mettre sur un CV », dit-elle, convaincue que l’intervention d’une association comme la sienne est indispensable pour que certains jeunes puissent trouver le chemin de l’emploi. « Non seulement parce qu’ils ne connaissent pas les codes, mais aussi parce que nous devons amener les chefs d’entreprise à abandonner leurs préjugés. »

Les « femmes-relais »

Elles sont connues dans les quartiers et y créent du lien. Nées en France ou y vivant depuis longtemps, les « femmes-relais » sont issues de l’immigration et tirent leur force de leur double culture en aidant les habitants des cités, notamment ceux qui ne maîtrisent pas la langue française, à se repérer : traduction, lien avec les différentes institutions, etc.

À ce titre, ces femmes ont une influence dans les quartiers sensibles dans lesquels elles résident. « Elles sont un pont culturel », résume Gaëtan Dujardin, éducateur de l’association Jeunesse Feu vert, à Épinay-sur-Seine (Seine-Saint-Denis).

Il y a peu, l’intervention de Mouna Sylla, femme-relais d’origine mauritanienne, s’est avérée décisive. « Elle a mis en place tout un réseau de solidarité auprès d’un père de huit enfants qui venait de perdre son épouse. Grâce à elle, on a compris pourquoi il refusait une aide à domicile extérieure et on a travaillé différemment pour que les enfants, déjà confrontés au décès de leur mère, ne pâtissent pas davantage de la situation. »

Gaëtan Dujardin se souvient aussi du rôle joué par Mouna Sylla à la cité d’Orgemont, où tout le monde la connaît, en 2005, au moment des émeutes en banlieue. « Le contexte était tendu, même si le quartier n’était pas au cœur des soulèvements, car il y avait énormément de CRS », se souvient l’éducateur. Il faut dire que c’est à Épinay-sur-Seine, triste coïncidence, qu’un homme venu prendre quelques photos avait été tué quelques jours plus tôt par quatre garçons récemment condamnés par la justice.

« Mouna arrivait à convaincre les parents de descendre dans la rue et de se joindre à elle pour parler aux jeunes, leur dire de rentrer chez eux et calmer le jeu », raconte-t-il. « Les femmes-relais ont eu une influence à l’époque, confirme Christian Russail, un éducateur spécialisé qui a longtemps travaillé en Seine-Saint-Denis.

Elles ont aidé des parents à garder l’œil sur leurs enfants et à les reprendre en main, du moins les plus jeunes », affirme-t-il. Car, selon l’éducateur, leur influence est beaucoup plus limitée auprès des jeunes adultes. « Elles sont trop peu nombreuses. Je ne pense pas qu’elles aient une véritable prise sur ce qui se passe actuellement à Villiers-le-Bel », confie Christian Russail.

Les enseignants

Même si certains adolescents la considèrent comme l’instrument d’un État prompt à fabriquer de l’exclusion, l’école demeure dans les banlieues un point d’ancrage. « Il s’agit souvent du dernier service public implanté dans les quartiers défavorisés », note Gonzalo Chacon, directeur d’une école maternelle à Villepinte (Seine-Saint-Denis). « Les enseignants sont aussi les seuls adultes à donner des repères aux nombreux enfants qui grandissent dans des familles déstructurées », dit-il.

Aussi, le principal défi reste d’empêcher les élèves de « décrocher », tant sur le plan des résultats scolaires que sur celui du comportement. Les études surveillées, désormais proposées dans tous les collèges situés en zones d’éducation prioritaire (ZEP), constituent « une réponse partielle », commente Nicolas Renard, le principal d’un collège d’Asnières (Hauts-de-Seine) [président de l’OZP, ndlr].

À ses yeux, l’institution scolaire doit davantage accompagner les enseignants dépêchés dans les ZEP, des professeurs, bien souvent débutants, qui se voient nommés contre leur gré dans des banlieues dont ils ne connaissent pas la réalité.

Pour Nicolas Renard, le rôle des professeurs référents peut être essentiel. Intervenant dans les établissements les plus défavorisés, ces enseignants bénéficient d’une charge de cours réduite qui leur permet de mieux suivre les élèves en difficulté et d’aider leurs collègues confrontés, par exemple, à des problèmes de discipline.

De façon générale, insiste Nicolas Renard, il faut former les professeurs à des missions plus larges. « Il faut leur apprendre à se comporter face à un élève violent, les aider à gérer un groupe, leur donner des outils pour créer des partenariats avec les autres acteurs du quartier », fait valoir ce chef d’établissement, par ailleurs directeur de l’Observatoire des zones prioritaires.

Gonzalo Chacon insiste, lui aussi, sur la nécessité de se rapprocher des associations locales et des services départementaux de l’aide sociale à l’enfance. « Ce qui se dégrade, ce n’est pas tant nos conditions de travail que les conditions de vie des familles, explique le directeur de maternelle. Du coup, nous faisons davantage de “social” qu’il y a cinq ou dix ans, avec souvent un sentiment d’impuissance. Certains de nos élèves auraient besoin de se rendre chez un orthophoniste. Mais leurs parents ne répondent pas à nos appels ou rechignent à consulter parce qu’ils ne bénéficient même pas de la couverture médicale universelle. »

Les acteurs religieux

Le christianisme - catholique et protestant - a une tradition de présence auprès des milieux populaires depuis la fin du XIXe siècle, et notamment dans les banlieues, où de surcroît certaines communautés chrétiennes immigrées font apparaître un nouveau dynamisme.

Secours catholique, Mission ouvrière, Jeunesse ouvrière chrétienne (JOC), congrégations religieuses masculines ou féminines comme les Fils de la Charité ou les Petites Sœurs de l’Ouvrier exercent un apostolat au plus proche des populations vivant dans les banlieues. Elles sont vieillissantes, mais émergent par ailleurs des initiatives nouvelles, émanant notamment de communautés nouvelles. Côté protestant, la Mission populaire évangélique a une quinzaine d’implantations dans les quartiers difficiles.

Quant à l’islam associatif, il a un temps été perçu par le monde politique comme un levier de régulation sociale dans les banlieues. Communautariste peut-être, mais efficace. Et de fait, un certain nombre d’associations offrent des repères religieux et éducatifs aux jeunes. À Villiers-le-Bel par exemple, existe l’Association des Français musulmans qui organise chaque année des rencontres - certaines interreligieuses - sur différentes thématiques, comme la famille.

Mais les émeutes de 2005 ont montré des limites à la capacité de régulation sociale par les « représentants musulmans », constatait un rapport de l’International Crisis Group, publié en mars 2006 après les émeutes de 2005.

« Alors qu’ils avaient tout intérêt à calmer le jeu pour montrer leur capacité de contrôle dans les quartiers sensibles et donc négocier une meilleure reconnaissance des pouvoirs publics, ce fut largement l’échec, poursuivait le rapport. Ils sont des éléments parmi d’autres de l’organisation sociale des banlieues françaises, finalement pas tant “sous influence” que ça. »

Par ailleurs, les associations musulmanes sont confrontées à une double difficulté, estime l’anthropologue Dounia Bouzar. « Elles sont souvent privées de subventions car pas encore bien connues par le monde politique. » Elles ne peuvent donc pas pallier la diminution d’une socialisation par le travail et différentes formes d’organisation collective.

Pour une partie, les jeunes ont grandi « un peu comme des “particules volantes”, sans conscientisation politique, à part un sentiment d’injustice. On n’arrive pas à les rattacher à un projet. Et ce sont eux qu’on peut retrouver chez les intégristes. » Ou dans les faits de violence à l’égard de l’autorité. « Comme dans la majorité des cas, cela n’explose pas forcément aux endroits les plus pauvres, mais là où il y a soit un blessé, soit un mort lié à une autorité, police ou vigile. »

Marine Lamoureux, Denis Peiron et Pierre Schmidt

(1) Sondage réalisé le 8 novembre 2005 auprès de 1 007 personnes.

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