> VIII- POLITIQUE EDUCATIVE DE LA VILLE > Politique de la Ville (Types de documents) > Politique Ville (Positions politiques) > L’ensemble de la politique de la Ville analysé par « Valeurs actuelles »

Voir à gauche les mots-clés liés à cet article

L’ensemble de la politique de la Ville analysé par « Valeurs actuelles »

26 novembre 2007

Extrait de « Valeurs actuelles » du 23.11.07 : Les mécomptes des banlieues

Selon la Cour des comptes, “l’efficacité de la politique de la ville reste incertaine”, alors que l’État y dépense des milliards d’euros, sans en évaluer vraiment les bénéfices.

Empilement des instances, complexité des procédures, dissémination des crédits, incertitude sur l’emploi des subventions versées aux associations... Cinq ans après une première enquête très critique sur la politique de la ville, la Cour des comptes a rendu un rapport à peine moins sévère sur ce sujet, au début de ce mois.

En 2002, les magistrats de la rue Cambon regrettaient que « l’insuffisance des systèmes de suivi financier » leur interdise d’obtenir « un chiffrage précis et incontestable du montant des crédits publics affectés à la politique de la ville, ni pour l’ensemble des acteurs publics, ni même pour le seul État ». Cinq ans plus tard, malgré quelques « améliorations », l’incertitude demeure, alors que les enjeux financiers sont considérables. Plus de 4,4 milliards d’euros ont été consacrés par l’État à la politique de la ville en 2005 - sans compter les crédits de rénovation urbaine !

« L’efficacité et l’efficience de la politique de la ville restent incertaines », écrivent les magistrats, qui déplorent « la multiplicité des instances et la complexité des processus de prise de décision ». La simple énumération des organismes compétents et de leurs domaines d’intervention suffit à leur donner raison. Le rapport de la Cour des comptes s’achève par la liste des sigles utilisés : pas moins de quatre pages !

Au Comité interministériel des villes (Civ), datant de 1984, s’est ajouté le Conseil national des villes (CNV) créé en 1988, en même temps que la Délégation interministérielle à la ville (Div), qui a transmis ses missions l’an dernier à l’Agence nationale pour la cohésion sociale et l’égalité des chances (Acsé), sans pour autant disparaître. La Div exerce aujourd’hui la tutelle de l’Acsé, conçue comme le pendant de l’Agence nationale de rénovation urbaine, l’Anru : la première est destinée à « piloter les crédits d’intervention », la seconde à « mobiliser les crédits d’investissement ». Le tout coiffé par un ministère dirigé par Christine Boutin (lire page 32), flanqué d’un secrétariat d’État à la Politique de la ville, confié à Fadela Amara.

Tous ces organismes interviennent en faveur de 751 Zus, 416 ZRU et 100 ZFU. Les Zus (zones urbaines sensibles) « constituent l’unité de base de la politique de la ville ». Elles se caractérisent par « la présence de grands ensembles ou de quartiers d’habitat dégradé et par un déséquilibre accentué entre l’habitat et l’emploi ». Les ZRU (zone de redynamisation urbaine) sont des Zus « confrontées à des difficultés particulières ». Les ZFU (zones franches urbaines) correspondent, pour la plupart aux ZRU « les plus en difficulté ». Selon l’Insee, près de 4,7 millions de personnes vivent en “zone urbaine sensible”, soit 8 % de la population nationale : un habitant sur douze ! Ils bénéficieront de l’un des 495 contrats urbains de cohésion sociale (Cucs), qui succèdent aux “contrats de ville” arrivés à terme cette année.

“Les maires, de droite comme de gauche, sont souvent paumés”

Vous êtes perdus ? Rien d’étonnant ! Même les maires se trompent dans ces sigles. Le Parisien a soumis à la torture plusieurs élus franciliens. « Dans les hôtels de ville aussi, on se mélange les pinceaux. Les maires, de droite comme de gauche, sont souvent paumés. » “C’est quoi, l’Acsé ?” « Euuuh... » La politique de la ville « s’est construite en millefeuilles. C’est une spécificité française : on invente un nouveau dispositif sans annuler le précédent », résume Fadela Amara, qui rappelle que « l’État a débloqué des milliards d’euros » en faveur des banlieues, tout en déplorant le « saupoudrage » des crédits. « Moi, je veux faire dans la dentelle. » Elle prépare un nouveau plan, “respect-égalité des chances”, qui sera présenté en janvier.

« Quand on fait le total des moyens disponibles, qu’il s’agisse des villes, des conseils généraux, régionaux, de l’État, etc., il y a des moyens énormes. Mais ils ne sont pas toujours utilisés pour traiter les problèmes de banlieue du début jusqu’à la fin. Autant donc reconcen¬trer les moyens sur les quartiers les plus exposés », déclarait l’un de ses prédécesseurs en 1992 : Bernard Tapie, qui succéda au premier titulaire de ce portefeuille, le socialiste Michel Delebarre. En dix-sept ans, dix-neuf ministres ont été chargés de la politique de la ville ! Mais certains dispositifs existaient avant même la création de ce ministère.

Les premiers datent de 1982 : vingt-deux sites bénéficient de “programmes locaux de développement social des quartiers” (DSQ) adoptés après les violences urbaines des Minguettes, en juillet 1981. François Mitterrand se donne alors « cinq ans pour changer la ville ». En novembre 1983, il charge l’architecte Roland Castro de « réparer le désastre des cités dortoirs » : c’est l’opération Banlieues 89. Cent vingt quartiers en difficulté sont concernés. Michel Rocard, qui veut « repeindre les cages d’escalier », installe la Div en 1988, puis crée le ministère de la Ville en 1990, après les émeutes qui ont enflammé l’un des quartiers de Vaulx-en-Velin, le Mas du taureau, qui venait pourtant d’être rénové.

Dès lors, les plans succèdent aux plans, sans que l’on puisse distinguer ce qui relève de l’effet d’annonce de ce qui se fait vraiment. En 1993, la droite adopte un plan de relance pour la ville, doté de 15 milliards de francs sur cinq ans, avant qu’Alain Juppé ne présente son “plan Marshall” pour les banlieues en 1996. Il en coûtera, cette fois, 15 milliards de francs sur trois ans. En décembre 1999, c’est au tour de Lionel Jospin de lancer son plan de rénovation urbaine et de solidarité, doté de 20 milliards de francs sur six ans, mais il ne faudra pas attendre deux ans pour qu’un autre plan voie le jour, en octobre 2001, d’un montant de 5,3 milliards d’euros sur cinq ans !

Alternance oblige, Jean-Louis Borloo lance en 2002 un nouveau programme de rénovation urbaine visant à démolir, construire ou rénover 600 000 logements sociaux en cinq ans. 30 milliards d’euros y seront consacrés sur cinq ans : 2,5 milliards à la charge de l’État, le reste apporté par les collectivités locales, la Caisse des dépôts et consignations et l’Europe.

Difficile d’en déduire le montant des crédits réellement engagés, ni d’en connaître précisément l’emploi. La Cour des comptes s’y perd : « Il n’existe pas, en l’état, de système d’information transversal permettant de disposer de données sur l’utilisation des crédits de “droit commun” dans les quartiers d’intervention de la politique de la ville. » S’agissant des subventions, souvent versées avec retard, la situation n’est pas plus claire, alors que des milliers d’associations sont concernées : rien qu’en Seine-Saint-Denis, « près de 900 associations sont subventionnées par l’État au titre de la politique de la ville ». Les magistrats jugent le « contrôle de l’emploi des fonds lacunaire » et « l’évaluation de l’impact [de ces subventions] sur les quartiers incomplète ».

Une chose est sûre : l’argent investi dans les banlieues n’a pas manqué. Si l’on se fie aux documents budgétaires, les crédits accordés à la ville par l’État, les collectivités locales et l’Union européenne ont atteint 34 milliards d’euros entre 2000 et 2005. Pour quels résultats ?

Selon la loi Borloo du 1er août 2003, « la politique de la ville se justifie par l’objectif de réduction progressive des écarts constatés avec les autres villes ou quartiers, ou de retour au droit commun ». Or, « toutes les zones initialement classées en Zus en 1996 le sont encore en 2007 », constate la Cour des comptes. Dans son rapport 2006, cité par les magistrats, l’Observatoire national des Zus (Onzus) estimait que « le processus de décrochage entamé depuis des années [par ces zones] n’est pas enrayé ».

Le rapport 2007 n’est guère plus optimiste. La relance des zones franches urbaines, en 2003, et les nouveaux dis¬positifs d’emplois aidés ont favorisé l’embauche d’habitants de ces quartiers, mais le taux de chômage y demeure deux fois supérieur à celui des autres quartiers. Un léger mieux est constaté dans le domaine scolaire, mais les taux de réussite restent « nettement plus faibles dans les collèges des Zus, avec près de 14 points d’écart par rapport aux autres collèges », en 2006.

Les faits de délinquance diminuent un peu (- 0,6%), mais les atteintes volontaires aux personnes augmentent nettement : + 7,6 %. « 30 % des habitants des Zus déclarent se sentir souvent ou de temps en temps en insécurité dans leur quartier » : deux fois plus qu’ailleurs. Dans un rapport datant de décembre 2006, l’Institut national des hautes études de la sécurité (Inhes) n’hésitait pas à parler de « déferlante de violences » en Seine-Saint-Denis et de vic¬times « terrorisées et désa¬busées ». Dans un autre rapport sur les banlieues, les sénateurs confirmaient, en octobre 2006, que « la situation n’a [vait] cessé de s’aggraver » depuis 1990, malgré la création du ministère de la Ville.

Évoquant « l’accroissement de la pauvreté dans les cités », le préfet de Seine-Saint-Denis estimait, en juin 2006, que les plus jeunes étaient « fortement travaillés par l’islam, sans doute le plus intégriste ». « Rien ne permet de mettre en doute la volonté d’intégration des populations des Zus, considère pour sa part Bernadette Malgorn, qui préside le conseil d’orientation de l’Onzus, mais on ne peut encore considérer que l’objectif de la loi de 2003 de remettre la République dans les quartiers et les quartiers dans la République soit atteint ».

Fabrice Madouas, le 23-11-2007

------------

Le site de "Valeurs actuelles"

Répondre à cet article