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« Une discrimination positive à la française ? Ethnicité et territoire dans les politiques de la Ville », de Milena Doytcheva.
Une dimension ethnique cachée dans l’histoire des ZEP ?

8 octobre 2007

Extrait du « Monde des livres » du 04.10.07 : Milena Doytcheva : cette inavouable discrimination positive

Et si les politiques visant à agir de façon ciblée en faveur des territoires les plus éprouvés constituaient finalement un assez bon compromis entre le sol et le sang, entre le respect de "l’universel républicain" et le recours à des catégories "ethniques" ?

Force est de se demander si en mobilisant, non pas des données ethniques (les Noirs, les Arabes), mais des catégories sociales (les pauvres) et des critères territoriaux (les quartiers), certaines formes contournées - et inavouées - de "gestion de l’ethnique" ne sont pas déjà en vigueur en France. Et ce, alors même que le pays en refuse le principe ! Tel est le constat paradoxal que dresse la sociologue Milena Doytcheva au fil d’une passionnante enquête réalisée entre 1998 et 2001 dans deux communes de la région parisienne, Garges-lès-Gonesse (Val d’Oise) et Vitry (Val-de-Marne).

Comme le remarque cette élève de la sociologue Dominique Schnapper, les modes d’intervention de l’Etat ont beaucoup évolué : "Le travail social s’ethnicise, la discrimination positive se banalise et les acteurs "communautaires" sont cooptés par les institutions." Mais pour quels résultats ? Et comment interpréter cet infléchissement ? Naissance d’un multiculturalisme à la française ou nouvel exemple d’hypocrisie républicaine ? L’auteur concentre son analyse sur trois domaines : l’institutionnalisation de la "discrimination positive territoriale", l’arrimage à la géographie des mesures en faveur de l’intégration et de la lutte contre les discriminations et, enfin, le soutien public aux associations locales.

On découvre d’abord l’invraisemblable foisonnement de dispositifs qui accompagnent, depuis une quinzaine d’années, l’extension des politiques dites de "développement social des quartiers". A côté des ZEP (zones d’éducation prioritaire), on navigue ainsi entre les ZUS (zone urbaine sensible), les ZRU (zones de redynamisation urbaine) et les ZFU (zones franches urbaines). Un arsenal pourtant évalué comme "très modeste", en 2003, par les experts européens...

Si ces outils visent à soutenir les lieux où se concentre une forte population immigrée, leur limite viendrait justement de ce que la dimension ethnique est systématiquement édulcorée par une rhétorique de l’"urgence" et de la "priorité". Comme si le territoire servait de "voile d’ignorance" ou de "faire-valoir pour une politique en manque de cohérence".

Face à ces faux-semblants, la solution serait-elle à rechercher du côté d’un concept en vogue comme celui de "passerelles", selon lequel il conviendrait de mieux connaître son identité pour mieux participer à la société française ?
Selon Doytcheva, assez radicale sur ce point, cela reviendrait à instrumentaliser l’"ethnique" pour le mettre au service de "valeurs légitimes", telle la citoyenneté. Loin d’encourager une représentation positive de la diversité, cette démarche ne ferait que perpétuer une défiance à l’égard de la différence culturelle. On comprend l’agacement de l’auteur qui, d’un côté, constate que l’ethnique fait aujourd’hui l’objet d’une prise en compte accrue sur le terrain, tout en déplorant, de l’autre, son déni officiel. Du coup, elle en tire cette leçon : les euphémismes ne font pas une politique.

Une discrimination positive à la française ? Ethnicité et territoire dans les politiques de la Ville, de Milena Doytcheva. La Découverte, 1977, 220 p., 21,50 €.

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Extrait de « La Lettre de la DIV » du 12.10.07 : Une discrimination positive à la française

Ethnicité et territoire dans les politiques de la ville

Auteur : Milena Doytcheva

Préface : Dominique Schnapper

Editions : La Découverte - Collection : Alternatives sociales

Septembre 2007 - 232 pages - 21,50 euros

Cet ouvrage explore plus particulièrement trois champs problématiques : le développement et l’institutionnalisation des pratiques de discrimination positive territoriale, l’arrimage au territoire des politiques d’intégration puis de lutte contre les discriminations, et enfin le soutien public aux organisations « communautaires » des migrants et de leurs descendants.

A partir d’une enquête de terrain, l’auteure met notamment en évidence le caractère incertain des catégories territoriales, construites de manière aléatoire au fil des transactions politiques. Et elle montre comment, dans les interventions publiques, l’ethnicité est souvent contournée, occultée ou instrumentalisée, mise au service de valeurs « légitimes » comme la citoyenneté, la culture, le lien social. Alors qu’il se pose en faire-valoir d’une République soucieuse d’équité et de diversité, le territoire perpétue de fait un phénomène de déni républicain.

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