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Mixité sociale : tous d’accord sur l’idée mais personne sur l’application (Agora vox)

11 juillet 2007

Extrait du site « Agora vox » du 10.07.07 : Quartiers : la crainte de déclassement social des classes moyennes

Dans l’analyse immédiate de la crise des quartiers populaires en France, la politique de la ville fait ici figure de coupable facile. Les arguments ne manquent pas qui critiquent l’incapacité des pouvoirs publics à empêcher la constitution de ghettos sociaux et ethniques aux portes des grandes villes françaises. Mais une série de recherches récentes montre que le renforcement des ghettos français s’explique d’abord par le comportement de fuite des classes moyennes et supérieures qui ne veulent pas prendre le risque de la mixité sociale. Par leurs choix résidentiels et scolaires, les Français, et plus précisément les classes moyennes, tentent de conjurer le risque de déclassement social et de maintenir l’espoir d’une ascension future. Et renforcent, bien malgré eux, la ghettoïsation de certains quartiers.

Un rejet social

L’économiste Eric Maurin a montré que toutes les couches de la population s’évertuaient à trouver un "entre soi" protecteur. "De fait, le "ghetto français" n’est pas tant le lieu d’un affrontement entre inclus et exclus que le théâtre sur lequel chaque groupe s’évertue à fuir ou à contourner le groupe immédiatement inférieur dans l’échelle des difficultés. A ce jeu, ce ne sont pas seulement des ouvriers qui fuient des chômeurs immigrés, mais aussi les salariés les plus aisés qui fuient les classes moyennes supérieures, les classes moyennes supérieures qui esquivent les professions intermédiaires, les professions intermédiaires qui refusent de se mélanger avec les employés, etc.", écrit le chercheur dans Le Ghetto français (Seuil, 2004, 95 pages).

Les choix résidentiels s’effectuent dans cette logique mais avec l’obstacle, considérable, du prix des logements, notamment en région parisienne. Les stratégies d’évitement des écoles situées dans les quartiers populaires représentent une alternative plus simple, qu’il s’agisse du recours à l’enseignement privé ou du contournement de la sectorisation des collèges publics dont la suppression de la carte scolaire inaugurée par le nouveau gouvernement ne fera qu’aggraver encore plus les différences de traitement et d’accessibilité à une éducation de qualité. A Paris, au moins 40 % des familles évitaient, avant la réforme du ministre d’Etat Xavier Darcos concernant l’assouplissement de la carte scolaire, leur collège de rattachement de manière légale, tandis qu’une proportion inconnue s’en détournait en usant de moyens illégaux (fausse domiciliation, par exemple).

Le calcul des familles est rationnel, difficilement critiquable, dans la mesure où l’environnement social est un facteur déterminant dans la réussite scolaire. Mais les conséquences de ces décisions individuelles sont désastreuses d’un point de vue collectif. Le sociologue Georges Felouzis a ainsi montré que les stratégies d’évitement scolaire amplifient, de manière considérable, la ségrégation ethnique découlant des politiques d’urbanisme.

A partir d’une enquête sur l’académie de Bordeaux, le sociologue montre que, pour les établissements ghettos, les stratégies d’évitement des familles multiplient par 2, voire 2,5, la proportion d’élèves issus de l’immigration, par rapport à la population des quartiers concernés, pourtant eux-mêmes "ghettoïsés". Au final, 10 % des établissements étudiés par M. Felouzis scolarisent 40 % des élèves issus de l’immigration, tandis que les plus favorisés en comptent moins de 1 %, ce qui conduit le sociologue à parler d’ "apartheid scolaire", titre de son dernier ouvrage (Seuil, 2005, 233 pages).

La fin du melting-pot à la française

Face à l’acceptation théorique de la mixité sociale, mais à son refus concret par les intéressés, les pouvoirs publics ne peuvent pas grand-chose pour redonner confiance dans les établissements populaires. La sectorisation des collèges montrait certes ses limites, mais aucune solution alternative sérieuse n’a jusque-là été proposée, suppression de la carte scolaire y compris. La constitution de classes de niveau, pour retenir les élèves issus de milieux favorisés, est pratiquée dans certains collèges, mais reste interdite par les textes officiels. Les expériences de création de filières d’excellence paraissent intéressantes pour attirer les meilleurs élèves mais n’ont pas, pour l’instant, dépassé le stade expérimental. Le renforcement des moyens attribués aux zones d’éducation prioritaires semble le plus efficace, mais suppose, de l’avis des experts, un recentrage sur le cœur du problème, et non pas, comme aujourd’hui, sur 20 % des élèves.

Au-delà de la gestion de crise, les difficultés actuelles ne se résoudront donc pas dans les cités.

Fondamentalement, la question essentielle est celle de la perte de confiance ou, plus grave, du rejet, par la société, de la mixité sociale. Qui peut encore s’opposer au rejet social de ce principe ? Sûrement pas les élites politiques, intellectuelles et médiatiques qui évitent depuis longtemps de subir les conséquences de la mixité sociale.

Frédéric Duveau

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