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Reportage auprès de parents d’un RAR à Pantin (Seine-Saint-Denis)

9 avril 2007

Extrait de « L’Humanité » du 08.04.07 : Ici, la politique n’est pas en terre étrangère

Reportage

Rencontres avec des habitants des Courtillières, une cité populaire de Pantin, en Seine-Saint-Denis, à quelques semaines de l’élection présidentielle.

Les Courtillières, une cité de 2 000 logements en voie de réhabilitation, plus accessible depuis Paris que du centre-ville de Pantin dont elle dépend administrativement. Enclavée entre Bobigny, La Courneuve et Aubervilliers. Le marché a disparu. Pas un café à l’horizon. Restent un collège, un groupe scolaire, une crèche. Une maison de quartier, lieu de passage, lieu d’ancrage pour beaucoup de ses habitants, ouverte et lumineuse, où se croisent des mamans qui vont déposer leurs enfants à la halte- garderie, les associations, des élèves qui, à la sortie de l’école, bénéficient de l’aide aux devoirs. Les Courtillières portent les stigmates de toute l’histoire de la banlieue, d’abord industrieuse puis désindustrialisée ; témoignent de l’histoire de la politique de l’immigration, depuis les années soixante jusqu’à nos jours en passant par le regroupement familial, les politiques successives de la ville.

Nous avons rencontré une dizaine de ses habitants par l’entremise de militants communistes. Le plus actif d’entre eux, Jacques, médecin à la retraite, se dit compagnon de coeur à défaut d’avoir sa carte. Simone et lui nous ont présentés à ces hommes et femmes qu’ils ont croisés au cours de leurs pérégrinations dans le quartier. Certains d’entre eux y sont nés. D’autres sont là depuis moins longtemps. Ils sont originaires du Portugal, de Tunisie, d’Algérie, d’Ouganda, du Skri Lanka...

Ils s’appellent Franck, Maria, Radhia, Ben, Vanaja, Sara ou Rahmouna. Leur trait commun : ils résistent à tout ce qui mine leur quotidien. Ils sont fiers de vivre en France, fiers d’être français, fiers de leurs origines. Même si certains jours, c’est plus dur que d’autres. Des hommes et des femmes attentifs aux autres, à leurs enfants. Inquiets pour leur avenir. Alors ils s’investissent dans leur quartier. Pour les uns, c’est le club de foot. Pour quelques-unes, c’est l’association des parents d’élèves. Pour d’autres encore, l’association des femmes médiatrices.

La banlieue devenue un enjeu électoral

Ces temps-ci, les politiques sont venus leur rendre visite à la maison de quartier. Ségolène Royal, Dominique Voynet, et même Olivier Besancenot. Fins observateurs de ce petit ballet très médiatisé, ils ne sont pas dupes, ont conscience que la banlieue devient un enjeu électoral quand eux aimeraient que ce soit une priorité et une préoccupation constantes. « Les politiques ne viennent que pendant la campagne », constate l’un d’eux. Pour autant, ils font la part des choses. Savent que certains élus locaux sont honnêtes, s’investissent. « Mais c’est une question de moyens. C’est la répartition des richesses qui pose problème. » Ils ont appris à jongler avec tous les sigles, toutes les politiques successives de la ville, toutes les astuces pour négocier un peu d’argent ici ou là, pour financer des emplois en CDD, un car pour envoyer les gamins au cirque pendant les fêtes de Noël.

Les parents de l’école primaire Marcel-Cachin ont occupé les lieux plus d’un mois. La seule école de Pantin labellisée ambition réussite. À la rentrée 2007, l’académie prévoit de fermer une classe. Maria se dit, dans le désordre, « choquée, révoltée, fatiguée. On nous parle d’érosion des effectifs mais nos enfants, est-ce qu’ils ont une tête d’érosion ? Les seuls services publics dans le quartier c’est la mairie annexe, la bibliothèque et l’école. Pourquoi s’en prennent-ils encore à elle ? » Maria est une battante : « On ne se laissera pas faire. Je ne suis pas là pour élever un banlieusard, je veux que mon fils devienne un citoyen. Comme les autres enfants, il a droit au meilleur. Pourquoi n’étudierait-il pas à Henri-IV ? ».

D’origine portugaise, marié à un Tunisien, son fils est français, « alors quand l’autre parle d’un ministère de l’Identité nationale », Maria est partagée entre le fou rire, nerveux, et la colère. Radhia parle doucement mais sûrement. « D’où tiennent-ils cette idée que les parents ne s’occupent pas de leurs enfants ? Seraient démissionnaires ? Dans ces quartiers, on se sent humilié et on se dit que la situation peut encore empirer. »

Radhia se dit découragée, envisage d’inscrire son aînée dans le privé « parce que c’est dur. Quel parent n’a pas envie que ses enfants réussissent ? Pourtant, je sais que ce n’est pas la solution. Que ça contribue un peu plus à créer des écoles ghettos. Je crois très fort à l’école de la République, à la laïcité : pour moi, ça signifie la réussite de tous les enfants, quelle que soit leur croix. » Maria évoque la peur, celle de voir son fils mal tourner. Alors elle ne le lâche pas des yeux.

Dans le quartier se côtoient des familles du monde entier, « mais, regrette-t-elle, on ne peut pas parler de mixité sociale. On est tous pauvres, beaucoup vivent d’assistanat, mais on est tous logés à la même enseigne ». Radhia ne votera pas Sarkozy. Elle votera à gauche même si elle constate, amèrement, que « lorsque la gauche était au pouvoir, l’école n’a jamais été une priorité. Ségolène Royal dit mettre l’éducation en avant : on verra si elle tient ses promesses ». Quant à la candidature Bayrou, elle est balayée d’un revers de main par Maria : « C’est quoi le milieu ? Ou tu es de droite, ou tu es de gauche. Y a pas de juste milieu ».

Waslah, Sara et Vanaja sont des médiatrices. En gros, elles assurent la médiation sociale, scolaire, institutionnelle, juridique, hospitalière, familiale, interculturelle et de voisinage. « Nous sommes là pour tisser du lien, aider les habitants dans toutes leurs démarches. » S’improvisent traductrices, accompagnent moralement ou physiquement les personnes. Salariées de l’association Femmes médiatrices (80 % du salaire est financé par l’État, à elles de se débrouiller, via leur structure, pour trouver les 20 % restants), leurs contrats arrivent à échéance en fin mai. Mais ce n’est pas leur principal souci.

Des petits boulots de deux heures

Leur principal souci, c’est les autres, « toutes ces femmes qui décrochent des petits boulots d’une heure, de deux heures, parfois au fin fond du 95 (Val-d’Oise) ou à l’autre bout de Paris, obligées de partir de chez elles avant 6 heures du matin pour aller faire des ménages et de laisser les enfants seuls ».

Cette fameuse France qui se lève tôt, si chère à Sarkozy : peut-être ignore-t-il que cette France-là est de toutes les couleurs... Vanaja pense que « si les 35 heures étaient appliquées, ça donnerait du travail à tout le monde ». Le pire des scénarios : un duel Sarkozy-Le Pen au second tour. « Sarkozy ne parle que d’immigration. Si tout va mal, est-ce la faute de l’immigration ? En quoi sommes-nous responsables du chômage, de l’insécurité ? s’interroge Sara. C’est quoi, l’immigration choisie ? » « Aux États-Unis, ajoute Vanaja, on ne regarde pas la couleur de ta peau. Nos enfants sont nés ici, mais ils sont toujours considérés comme des étrangers. » Waslah avoue se sentir perdue : « Notre fils est ingénieur mais il envisage d’aller travailler en Algérie alors que toute notre vie est ici... » « On peut changer nos noms (les franciser comme l’a fait, dans la douleur, Vanaja) mais pas la couleur de notre peau. Si en plus, tu viens du 93, tu cumules tous les handicaps. »

Préoccupés de l’état du monde

Ben a grandi aux Courtillières. Ancien mécanicien dans une entreprise des Quatre-Chemins, il est érémiste depuis sa fermeture. Et président du club de foot. Comme entraîneur des poussins, ce sont « les valeurs d’amitié, de solidarité, de respect, d’hygiène » qu’il veut transmettre. La politique ? « Ils ne font que parler. On habite ici depuis des années, c’est un quartier qui a souffert, qui a un passé et rien n’avance. Les trois quarts des gens sont au chômage ou exercent des petits boulots. Pour changer les choses en politique ? Il faudrait que les gens s’investissent, mais ils n’y croient plus trop. » Franck, entraîneur du club, évoque la visite de la candidate socialiste : « Mme Royal est passée. Comme élue, elle a une connaissance des besoins du monde associatif. Elle a dit ce que le monde associatif attendait d’elle, sans s’avancer sur les moyens. » Du coup, sa visite est ressentie comme « un coup de pub. J’ai grandi ici, je reste parce que j’ai le sentiment d’être utile, en offrant aux enfants des moments de plaisir, en ayant le sentiment de participer à leur coéducation. Faire de l’humanitaire ailleurs, c’est peut-être plus gratifiant... » Ben, lui, fait son possible pour que les enfants sortent de l’équation mon quartier - mon territoire, « même si l’appel de la rue est très fort. S’ouvrir aux autres, à la vie, aller voir ailleurs, ça compte aussi pour devenir quelqu’un. J’ai la chance d’avoir deux cultures. Je crois aux gens, la religion, je m’en fous. Avant, on était tous différents mais on était ensemble. Aujourd’hui, les gens ont peur et le risque du communautarisme est là. » Quant à Sarkozy, si pour Ben « peut-être qu’il dit ce que certains pensent tout bas », pour Franck « il a insulté toutes les banlieues de France depuis La Courneuve. Faut pas s’étonner s’il n’y met pas les pieds depuis. » Mais de manière générale, il estime que « le plus malheureux chez les politiques, c’est qu’il n’y a jamais d’anticipation, jamais de long terme, toujours au coup par coup dans l’événementiel ».

Aux Courtillières, nous avons rencontré des hommes et des femmes préoccupés de l’état du monde, de leur quartier. Des habitants qui, en dépit de tout, affichent une dignité exemplaire. On ne nomme plus la solidarité, pourtant chacun la pratique au quotidien. On ne nomme plus la politique, pourtant chacun en fait tous les jours, à son échelle. « Mai 1968, le CPE sont de beaux exemples. On est tous dans la même situation, ajoute Radhia, et personne ne bouge. On a peur de quoi ? »

Marie-José Sirach

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