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Une visite à l’école de Véronique Decker à Bobigny, par Claude Vollkringer et François-Régis Guillaume, membres du bureau de l’OZP

19 mars 2007

Propos et propositions d’une directrice d’école de ZEP à Bobigny

En allant à la rencontre de Véronique Decker, directrice de l’école Marie Curie de Bobigny (Seine-Saint-Denis), classée en ZEP, qui les avait invités, les deux visiteurs, membres du bureau de l’OZP, s’attendaient d’abord à la description des obstacles à surmonter pour faire réussir les élèves, des initiatives prises dans l’école pour y parvenir, ainsi que des efforts que l’institution (IEN, IA), et les collectivités territoriales déploient pour soutenir ces initiatives.

C’est dire leur étonnement et leur déception quand ils découvrent :

 une nouvelle sectorisation des collèges, (décidée à la veille du classement en EP1), destinée à « équilibrer les effectifs et les difficultés ». L’école Marie Curie est détachée du collège République, situé à proximité, qui sera le seul collège classé « Ambition réussite ». Ses élèves entrent désormais en 6ème dans deux collèges à l’autre bout de la ville, de l’autre côté de l’autoroute. Cette dispersion empêche toute liaison CM2-6ème. Il est vrai qu’en ayant construit deux collèges côte à côte à un bout de la ville, avec un collège de 1000 élèves au centre, et en laissant une zone excentrée délibérément sans collège à l’autre bout, le conseil général n’a pas fait pour le mieux.

 une carte des ZEP et un classement Ambition Réussite dont la signification va à rebours des intentions ministérielles affichées : le collège République a perdu deux écoles sur les trois classées en ZEP ; ces écoles sont maintenant rattachées à deux collèges auxquels le label a été refusé alors qu’ils accueillent aujourd’hui plus d’élèves d’écoles ZEP que le seul collège qui a obtenu le label. Difficile à comprendre...

 des IEN qui changent chaque année (7 IEN en 7 ans), soucieux de ne pas se compromettre avec la pédagogie Freinet pratiquée dans cette école (le climat régressif actuel incite à la prudence), mais qui tiennent à afficher leur autorité en imposant un livret de circonscription sans tenir compte de celui que les enseignants de l’école ont élaboré.

 un projet de REP qui au lieu de fédérer les initiatives des écoles impose une harmonisation superficielle sous le concept rassurant de maîtrise de la langue.

 des crédits ZEP de 120€. L’argent du contrat de ville reste maintenant à la disposition de l’Inspection pour les projets qui l’intéresse. Avec les tarifs de cantine au plus bas, les tarifs d’étude au quotient familial, l’aide aux départs en classe verte, il n’y a que la mairie et les parents d’élèves avec la coopérative scolaire qui apportent des ressources financières à cette école.

Les ZEP sont souvent caractérisées par un environnement urbain sinistré, mais ici on en vient à se demander si l’environnement administratif et politique n’est pas lui aussi sinistré et s’il n’est pas parfois autant un obstacle qu’un soutien. Pourquoi conseil général, municipalité et inspection n’ont-ils pas été capables de concevoir une sectorisation intelligente ? Peut-être n’ont-ils pas la pratique de la concertation et du dialogue (sans doute, ont-ils tous fait langue de bois première langue avec des diplômes validés avec mention.) ? La première étape de l’éducation prioritaire ne devrait-elle pas être de se donner les moyens humains d’assurer un pilotage efficace ?

Et maintenant, écoutons les commentaires, propositions et demandes de Véronique DECKER, directrice de l’école :

« Nous, cela fait longtemps qu’on a cessé de s’y retrouver : ZEP, REP, ZUS, EP1, contrat de ville, GPV, GPU, projet de ZEP, relance de l’éducation prioritaire, plans d’urgence, autant de sigles creux et vains. La superposition de dispositifs entre eux atteint ici une incohérence extrême. La rotation des personnels, dans tous les secteurs de l’Etat et à tous les niveaux contribue à une déperdition terrible du sens même d’actions menées en dépit du bon sens. .

Quels critères de classement en éducation prioritaire ?
Les résultats scolaires devraient être le critère le plus important. (évaluations nationales, résultats aux diplômes terminaux de scolarité secondaire).
Ensuite, le taux de rotation des enseignants et pas seulement la proportion de débutants.
Enfin, l’absence d’élèves des catégories favorisées : il est en effet plus facile de dénombrer les catégories supérieures, qui ont des emplois identifiés dans les CSP, que les catégories marginales, précarisées, qui n’entrent pas nécessairement dans une organisation CSP datant des années 70. »

NOTE : Véronique Decker ne cite pas la précarité, difficile à mesurer, car elle se réfère aux cas extrêmes de précarité : les familles sans papier ou les familles sans adresse mais « hébergées chez d’autres familles. Mais lorsque, dans les panels d’élèves ou dans les enquêtes, on peut distinguer les enfants de familles précaires, la corrélation avec l’échec scolaire grave devient très forte. (Voir sur le site le compte rendu de la Rencontre n° 58

Quelles demandes pour l’éducation prioritaire ?

« 1 - Qu’à l’extérieur de l’école, en ZUS ou en ZEP, les pouvoirs publics prennent massivement en charge tout ce qui concerne la santé et la sécurité des enfants, y compris la santé mentale et l’aide psychologique aux élèves jusqu’à l’age de 18 ans comme la PMI le fait pour les enfants jusqu’à l’age de six ans. Les soins dentaires, les lunettes, l’orthophoniste, l’étude dirigée, les garderies matinales et du soir devraient être gratuits.
Les enfants ne devraient pas être laissés seuls : des centres de quartier doivent pouvoir fonctionner à toutes les heures où les parents travaillent : aujourd’hui, beaucoup de parents travaillent de nuit, de dimanche, du soir, font des ménages le matin à l’aube.
La santé et la sécurité des enfants doit être le premier point d’action.

2 - A l’école, la première priorité est de tout faire pour assurer la stabilité des équipes, alors qu’actuellement, on « récompense » les enseignants en ZEP en leur attribuant des points au barème pour faciliter leur départ.

Pour cela, il faudrait
 un accès privilégié à des formations
 un temps de réunion et de concertation sur le temps scolaire : plutôt que la prime ZEP, le travail des enseignants devrait être reconnu en rémunérant le temps de travail collectif, les réunions. Ceux qui ne veulent pas y participer ne seraient pas incités à rester en ZEP pour toucher des primes sans travailler en équipe. Par contre, ces primes doivent être revalorisées pour les enseignants qui ont des classes. 100 euros par mois, cela ne couvre pas les frais de réparation des voitures dans certains quartiers...
- que l’équipe enseignante comprenne des hommes et des femmes, d’age divers, et connaissant et s’attachant au milieu dans lequel ils travaillent.
Qu’il s’agisse des enseignants, des chefs d’établissement, des gestionnaires un département comme la Seine-Saint-Denis joue un rôle de centre de formation pour la France entière, des débutants de toutes sortes viennent y faire leur apprentissage sur le tas.
 que soit favorisé un recrutement local des enseignants, en régionalisant les concours de recrutement, en donnant des bourses, en recréant des IPES pour les étudiants ayant fait toute leur scolarité en ZEP pour qu’ils soient admis en IUFM..
Ici on a besoin d’enseignants qui connaissent la banlieue, ses codes, qui comprennent son « patois », qui n’aient pas peur des jeunes en capuche. Personne ne se choque de trouver des instits bretons en Bretagne, des Alsaciens en Alsace, mais, ici, on regarde encore les enseignants issus des DOM-TOM ou de l’immigration maghrébine ou africaine comme des extraterrestres.

Le besoin de stabilité est aussi fort pour les élèves : ici les enfants font leurs 5 années d’école avec 2 ou au maximum 3 enseignants, car les enseignants suivent leurs élèves pendant un cycle. En outre, les classes sont multi-âges et multi-niveaux, ce qui permet une autre gestion de l’hétérogénéité. En ZEP, plus qu’ailleurs, il est nécessaire de travailler dans la durée car les enfants ont besoin de sécurité.

L’école Marie Curie est une grosse école de 300 élèves, résultant de la fusion de deux écoles jumelles, construites dans les années 70, en même temps que les tours de la cité Karl Marx. Une adresse « plombante », dans une cité bénéficiant d’équipements sociaux à proximité du centre ville et des moyens de transports vers Paris et Saint-Denis, mais au centre commercial, sur la dalle, tout est fermé, il ne reste que la pharmacie, la boulangerie, une boucherie hallal. La population est souvent précaire, aux origines multiples, mais les Français d’origine métropolitaine y sont très minoritaires.

Dans cette école, chaque année, chaque classe est transplantée : classe verte, classe de neige etc. Les élèves acquièrent une connaissance sensible du territoire français, ce qui est le meilleur moyen de s’attacher à leur pays."

Ce mercredi matin où nous venons interroger la directrice de l’école nous croisons aussi la plupart des enseignants de l’école venus travailler ensemble. Ici c’est naturel. L’institution est-elle capable de le voir et d’appuyer ce travail collectif ?

Claude Vollkringer et François-Régis Guillaume

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