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Un témoignage : « Enseigner la littérature en ZEP »

26 février 2007

Extraits de « Mauritus Times », le 25.02.07 : Témoignage d’un ancien professeur en ZEP

Xavier Garnier, Professeur de littérature comparée à l’Université Paris XIII depuis 1995, n’a jamais oublié ses débuts dans le monde de l’enseignement au niveau secondaire en France et au Kenya. Il a livré ses impressions à Mauritius Times sur un métier passionnant mais aussi difficile notamment, lors de son passage de 4 ans dans un collège dans la banlieue de Melun, une ville à 60 kilomètres de Paris dans une zone ZEP, Zone d’Education Prioritaire. Il s’occupait de deux classes à effectif réduit qu’on appelait à l’époque, un quatrième en pédagogie de contrat et un troisième d’insertion.

Il ressent toujours un profond attachement pour ces anciens élèves même s’il y avait beaucoup d’affect parfois agressif en cours d’année et qu’il rentrait chez lui en se disant qu’il en avait assez. Avec du recul, il considère que c’était une mission assez difficile à réaliser mais ce sont ces classes-là qui l’ont le plus marqué et probablement qui l’ont aidé à mieux progresser au niveau pédagogique.

L’enseignement de la littérature

Que ce soit au niveau secondaire ou au niveau supérieur, un enseignant de littérature tente de faire découvrir des textes à des élèves ou à des étudiants. Il s’agit de mettre le texte à la disponibilité des étudiants. Tout dépend du profil du jeune. D’une certaine façon, le travail est plus facile pour un universitaire parce que à priori les étudiants viennent déjà et qu’ils sont sensibilisés à la lecture alors qu’au collège-lycée, on a affaire à un groupe-classe qui n’a pas choisi d’être en cours de littérature, et c’est quelque fois plus difficile de leur faire découvrir des textes. Un des objectifs majeurs de l’enseignant est donc de motiver ses apprenants en classe de littérature.

1. Etre passionné par son métier soi-même

Si l’enseignant a un amour pour l’œuvre, tout le travail pédagogique sera de communiquer cela : le plaisir de lecture qu’il éprouve lui-même, comment il va essayer de l’analyser, de le comprendre, de l’expliquer et de le communiquer aux étudiants ou aux élèves.

2. Tenir compte des pré-requis de ses élèves

De manière générale, les jeunes au niveau secondaire ont moins lu, ont moins de bagage, ont moins d’arrière-plan culturel ; ils sont plus naïfs quelquefois mais parfois ils sont d’aussi bons lecteurs. Ils lisent parfois plus facilement avec leur cœur et vont avoir des réactions au texte qui sont souvent très spontanées et très intéressantes.

3. Valoriser la réflexion personnelle de l’étudiant

Il est très important de donner une bibliographie assez complète aux étudiants, particulièrement à l’université. Mais la lecture des œuvres critiques ne peut qu’être secondaire à la lecture et à la re-lecture du corpus littéraire principal. L’œuvre elle-même doit être lue et relue car il y a autant de textes que de lecteurs. C’est la force de la littérature : chaque fois qu’une même œuvre est lue par quelqu’un, elle devient une œuvre nouvelle. Chaque étudiant est un lecteur singulier ; il a la clé de la lecture quand il commence à faire son commentaire de la façon la plus personnelle possible. Il s’engage personnellement par rapport au texte.

4. Donner les outils à l’apprenant pour faciliter sa lecture du texte

Réfléchir sur un texte n’est pas toujours facile. L’enseignant agit comme un guide qui peut armer son apprenant, lui faire comprendre comment le texte a été construit, comment il est structuré, s’il s’agit d’un roman, quels sont les problèmes techniques qui ont été résolus par l’écrivain, comment le texte a été organisé,... Les études littéraires demandent un bagage théorique, scientifique et technique et la pratique aide à développer une maîtrise des outils critiques.

5. Développer progressivement le savoir-faire sur le plan esthétique

Les études littéraires font appel à une sensibilité, à des perceptions et à un investissement personnel, ce qui rend les choses difficiles pour un jeune. C’est un savoir-faire qui s’acquiert lentement avec l’aide de l’enseignant. Il est important de l’aider à dépasser le stade de l’étudiant appliqué pour atteindre le stade de l’étudiant autonome. Il apprend graduellement à développer cette capacité de faire remonter sa lecture personnelle dans la lecture des œuvres et commence une véritable réflexion. Outre le travail en autonomie, le travail de groupe peut aider à alimenter des échanges : les points de vue s’entrecoupent, s’entrecroisent et apportent à chaque fois un éclairage différent.

6. Développer la curiosité naturelle de l’apprenant

C’est la mission du professeur de donner cette soif de la connaissance aux jeunes. Ils baignent dans un contexte culturel plutôt monolithique. Les médias, l’audio-visuel et la télévision donnent l’impression d’être très ouverts. Même si à la télévision, on voit le monde entier, c’est toujours le même format, c’est toujours présenté de la même façon, ça fait toujours appel aux mêmes pulsions...

L’enseignement de la littérature dans un collège ZEP

Il est évident que l’enseignement/apprentissage de la littérature dans un collège ZEP requiert une approche différente. Les méthodes doivent être adaptées aux jeunes en grande difficulté scolaire, pas forcément motivés, plutôt hostiles car ils en ont assez d’être sur les bancs de l’école estimant que l’institution scolaire ne leur apprend plus rien... L’enseignant doit aussi veiller à ce que leur expression écrite et leur expression orale soient améliorées.

Ecrire est un acte qui demande une sorte de sérénité et de patience sauf pour ceux qui écrivent dans un état de tension. En ce qui concerne les jeunes des ZEP, ils sont souvent en état d’instabilité psychologique et ils éprouvent des difficultés à se mettre dans des conditions de silence et de calme pour pouvoir écrire. Souvent ils s’énervent très vite parce que le mot qu’ils ont écrit n’est pas le bon, ils sont obligés de raturer, ils commencent à s’énerver, le papier devient vite sale et cela les agace. Au début, ils commencent, pleins d’espoir sur une page blanche : ils écrivent le premier mot, puis le deuxième, et dès le troisième, cela commence à accrocher et là, ils commencent à s’énerver. Quand ils butent, ils arrêtent d’écrire. L’énervement vient très vite. Il faut donc trouver des solutions pédagogiques pour les motiver et développer de l’intérêt.

1. Capter l’attention de son auditoire

Il s’agit de développer progressivement les techniques pour se mettre à la portée des jeunes.

2. Aider à comprendre un texte écrit

Sur le plan de la lecture, les jeunes ont des problèmes de compréhension. Ils sont capables de lire certains textes à haute voix ou à voix basse. Mais même pour un texte assez simple, ils ne comprennent pas ce qu’ils ont lu. Il s’agit de trouver, de manière pragmatique et expérimentale, ce qui fonctionne avec ce public spécifique.

3. Adapter les méthodes d’enseignement aux jeunes

Chaque année, il est intéressant de monter un petit spectacle pour le présenter à la fête de l’école à la fin de l’année. En général, cela marche mieux quand les jeunes utilisent un texte de leur composition, élaborés lors de petits travaux d’écriture sur des thèmes. Ensuite, ils composent un ensemble avec l’aide de l’enseignant en reprenant des phrases qui sont personnelles, sensibles et originales. Il y a toujours des énoncés qui peuvent servir à construire un spectacle. L’enseignant reprend des énoncés de chacun pour monter un petit texte et un petit film. C’est gratifiant pour eux.

Tout l’art des ateliers d’écriture, c’est d’amener celui qui écrit à se détendre par rapport à l’acte d’écriture et à se mettre dans une condition de sérénité. A partir du moment où cette condition est créée, où la confiance est établie avec l’écriture, les élèves dits en difficulté peuvent très vite trouver un plaisir fort à l’écriture, et même à ce moment-là, écrire beaucoup. Ce n’est pas quelque chose de très simple à réaliser.

Pour débloquer le mécanisme de l’écriture, il est important de mettre entre parenthèses des exigences académiques. Il est plus important pour les élèves d’écrire, de créer. S’il y a beaucoup d’erreurs d’orthographe, si les mots ne sont pas forcément les bons, il est plus important de laisser malgré tout le flux continuer plutôt que de le casser en arrêtant l’enfant, en lui disant : « non, là tu as mal écrit » car c’est justement à ce moment-là que l’énervement et la démotivation arrivent.

Il est certain qu’il y a la nécessité de se mettre à l’orthographe, d’apprendre au jeune à maîtriser son vocabulaire et à être conscient des registres de langue, etc... Mais cela relève d’un autre type d’exercice et vient dans un second temps. Si le jeune est bloqué par rapport à l’écriture, il faut d’abord réussir à le débloquer. Ensuite, une fois que l’écriture devient plus naturelle, il est capable de revenir sur ce qu’il a écrit et de l’améliorer.

En général, l’orthographe n’est pas facile même pour des enfants qui réussissent plutôt bien à l’école. Certains bons élèves ne font pratiquement aucune erreur quand ils écrivent un texte sous la dictée en se concentrant sur l’orthographe. Mais quand on leur permet d’écrire ce qu’ils ont envie d’écrire, les erreurs sont partout. Les parents français peuvent le constater avec leurs propres enfants. Ce sont deux exercices assez différents. D’une certaine façon, la capacité d’écrire et puis, d’autre part, la capacité d’écrire correctement. Mais on ne peut pas exiger que l’enfant écrive correctement si d’abord, il n’arrive pas à écrire.

4. Proposer des projets interdisciplinaires

Dans le contexte des écoles ZEP, il est essentiel que les enseignants travaillent en équipe.

Parfois c’est demandé par la hiérarchie ou par les instructions pédagogiques mais de manière générale, la solidarité entre enseignants se tisse naturellement puisque les situations sont souvent difficiles.

Tel enseignant a un problème de discipline avec un élève d’une classe, il est immédiatement soutenu par toute l’équipe pédagogique. C’est presque un réflexe de survie de la part des enseignants. Il n’y a pas du tout de jugement des uns sur les autres. Il y a une grande solidarité et un travail d’équipe.

Il y a beaucoup d’échanges et de projets transdisciplinaires qui se mettent en place entre les professeurs d’histoire et de français, voire même, des sciences dites dures, les professeurs de maths, de physique et d’histoire, des mathématiques et des professeurs de lettres, ...

Ballgobin Vina

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2 Messages de forum

  • > 26.02.07 - Un témoignage : « Enseigner la littérature en ZEP »

    27 février 2007 11:12, par Ras les pâquerettes

    Quelle belle leçon d’enseignement de la littérature dans "les beaux quartiers" !!!
    Je pense Monsieur qu’il y a bien longtemps que vous n’avez pas mis les pieds dans une classe d’un collège de ZEP.
    Un petit conseil : allez y faire un tour, mettez-y en pratique vos sages paroles et faites nous un retour après expérimentation.
    Bon courage et à très bientôt

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    • Le monde éducatif devrait en principe être une grande famille où chacun s’entraide pour avancer dans la bonne direction. Il est connu qu’une expérimentation ou une méthode pourrait très bien fonctionner dans un établissement et pas du tout ailleurs... L’important, c’est d’avoir accès à ces bases de données pédagogiques afin que chaque enseignant puisse avoir à sa disposition un pool d’outils pour aider au mieux les apprenants en face de lui/d’elle. Il n’y a pas de recette malheureusement ou heureusement.... A mon sens , le plus important, avant tout, c’est la valorisation des apprenants et des enseignants en ZEP auprès du grand public.
      Vina Ballgobin

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