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Elisabeth Bautier parle de la maternelle en ZEP (Fenêtres sur cours)

29 novembre 2004

Extrait de « Fenêtres sur cours » 29.11.04 : Elisabeth Bautier et la maternelle.

Entretien avec Elisabeth Bautier
Professeur de Sciences de l’Education Université Paris 8

« L’école maternelle n’assure pas l’égalité entre les enfants dans les apprentissages dans leur manière de se constituer comme élève »

vendredi 19 novembre 2004

« Ce qui n’est pas simple pour les enseignants c’est justement de savoir quelle mission on donne à l’école maternelle »

 Face aux difficultés d’apprentissage des élèves, notamment ceux des milieux populaires, en quoi y a-t-il ambiguïté à l’école maternelle ?

 La question posée c’est celle de savoir si l’école maternelle permet à tous les enfants d’entrer au CP et de continuer leur scolarité dans les mêmes conditions. Après tant d’heures d’observations, une des hypothèses que nous formulons c’est que l’école maternelle n’assure pas l’égalité entre les enfants dans les apprentissages, d’une part, dans leur manière de se constituer comme élève, d’autre part. On peut identifier au moins deux logiques qui sous-tendent les pratiques en maternelle. L’une, historique, prône des valeurs d’épanouissement, le libre développement de l’enfant, son expression, et en conséquence, les contenus mêmes d’apprentissages, les progressions, peuvent être minorés : rapidement dit, l’enfant est valorisé au détriment de l’élève, peut-être même plus particulièrement en ZEP. L’autre logique, préconisée par les textes actuels, est davantage orientée vers une scolarisation de la maternelle dans la perspective de l’entrée au CP et plus tardivement au collège. Elle met l’accent sur les apprentissages. Ces deux logiques sont contradictoires. Ces logiques ne sont pas les seules à orienter les pratiques ordinaires de classe, il est nécessaire de prendre en considération les contraintes du métier au quotidien, celles de la gestion de la classe, du temps, celles qui conduisent à l’adaptation volontaire ou non des pratiques au contexte social de l’école et des élèves, celles qui sont fondées sur des conceptions de l’apprentissage, des conceptions de l’enfant, etc. On aboutit ainsi à des situations qui sont ambiguës parce que certains moments relèvent plus d’une logique et d’autres de l’autre, sans que les enseignants soient toujours bien lucides dans l’action pédagogique sur ces différences de moment.

 Les enseignants n’ont-ils pas vocation à lever cette ambiguïté ?

 Ce qui n’est pas simple pour les enseignants c’est justement de savoir quelle mission on donne à l’école maternelle. Après un très grand nombre de contacts avec des enseignants de maternelle, je pense que majoritairement, ils sont nombreux à ne pas choisir entre d’une part, le fait que l’école maternelle est lieu d’apprentissages cognitifs et langagiers sur lesquels vont se construire tous les autres et d’autre part, l’idée qu’elle puisse être un lieu de développement spontané et épanoui de l’enfant. Or, si on veut qu’il y ait une relative égalité, il faut peut-être penser que l’école maternelle a cette tâche considérable qui est de scolariser les enfants, de les faire entrer dans des logiques d’élèves. Pour certains enfants, l’école est le seul lieu des apprentissages scolaires. Par exemple le préapprentissage de la lecture peut être assuré dans certains cas par les familles, dans d’autres cas pas véritablement.

 Pour les élèves, comment se traduit concrètement l’ambiguïté sur les enjeux de l’école ?

 L’élève qui accomplit une tâche n’en perçoit pas toujours les enjeux d’apprentissage, il peut n’en comprendre que les enjeux de sa réalisation. Très souvent, les enseignants ne construisent pas clairement les situations et les objets comme étant des situations et des objets d’apprentissage permettant des cumuls et des progressions, mais comme des activités ponctuelles, à charge pour les élèves d’en apprendre quelque chose. Or, dès la maternelle, les élèves interprètent les situations qui leur sont proposées. Pour certains, il s’agira seulement de situations de jeu et d’interactions avec le maître, quand d’autres, plus familiers de l’école et de ses manières d’apprendre, verront dans les activités scolaires des occasions d’apprendre. Comment les élèves identifient les objets d’apprentissage, les critères de réussite et de compréhension reste quelque chose qui fait peu l’objet de préoccupations fortes, qui structure peu les situations. Quand une question est posée, faut-il répondre vite, trouver une bonne réponse (et comment la trouver ?), les élèves ont des attitudes très différentes, certains pensant qu’il est important de « participer », d’autres étant davantage dans une logique finalisée par l’apprentissage de quelque chose de nouveau. Certains enseignants ont tendance à valoriser la participation des élèves. Mais faut-il valoriser la participation ou le contenu de la participation ? la réalisation des tâches ou les acquis durant cette réalisation ?

 Cela signifie-t-il que les enseignants sont eux-mêmes dans l’ambiguïté ?

 C’est autour de ces questions que l’on travaille. On étudie la façon dont les enseignants aident les élèves à interpréter les enjeux d’apprentissage - ou ne les aident pas, voire perturbent (involontairement, bien sûr) l’interprétation - mais également comment ils construisent les objets d’apprentissage et quels sont ces objets. On constate que dans les classes, en petite et moyenne section en particulier, où domine une conception "épanouissante" de l’école maternelle, les enseignants peuvent être peu préoccupés par les enjeux de mise en place chez les élèves de ce qui devra pourtant être très vite mobilisé par eux dès le CP. Le paradoxe c’est que dans les ZEP cet aspect des choses peut justement se trouver accentué et accroître ainsi les différences entre élèves. Quand les élèves inter- prètent les situations comme des situations de jeu sans apprentissage, l’inégalité est très présente. Si on veut compter sur la maternelle pour diminuer les inégalités, il faut se saisir de ses vrais enjeux et penser la façon dont elle s’inscrit dans la question des inégalités scolaires, de leur fabrication ou de leur résolution.

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