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Extrait de « RFO info » du 22.11.04 : Pap Ndiaye pour la discrimination positive
Pap Ndyaye est membre actif du Cercle d’Action pour la Promotion de la Diversité en France qui organise, le 25 novembre 2004, à Paris, une conférence-débat sur les discriminations positives en France. Chercheur, spécialiste de l’histoire Nord-américaine, il milite pour que le visage de la France ressemble à ceux qui la font vivre. Rencontre avec un homme dont la vision du monde allie unité et diversité.
Pouvez-vous présenter votre association et ses objectifs aux internautes du site RFO ?
Pap Ndiaye : Le Cercle d’Action pour la Promotion de la Diversité en France (CAPDIV) est une association créée au début de l’année 2004. Elle a l’objectif de réfléchir et d’agir afin que la diversité de la société française soit pleinement reconnue, valorisée, et que, plus particulièrement, les citoyens et résidents français originaires d’Afrique noire et d’Outre-mer voient leur place confortée au sein de la Nation. Le Cercle d’Action pour la Promotion de la Diversité en France désire que la République française, qui s’est voulue à l’avant-garde du combat pour l’Egalité notamment en abolissant l’esclavage en 1794, ne se contente pas de déclarations de principe mais qu’elle agisse concrètement pour remédier aux difficultés et discriminations socio-économiques, politiques et culturelles qui affectent particulièrement les Noirs de France. Enfin, nous voulons travailler à une meilleure connaissance de l’Histoire, en particulier l’histoire de l’esclavage, de la colonisation, de la participation des soldats africains aux guerres mondiales, de la décolonisation et de l’immigration.
La société française a-t-elle du mal à reconnaître sa diversité ?
Pap Ndiaye : Promenez-vous dans les rues d’une grande ville française : vous y verrez des passants de toutes origines ! Paris, en particulier, est une Babel où voisinent des personnes originaires de tous les pays. Historiquement, la France est un grand pays d’immigration, comparable de ce point de vue aux Etats-Unis. Pourtant, la diversité de notre pays n’est pas reconnue pleinement, au sens où les représentations culturelles de la France et des Français se résument encore à un pays de Blancs habités par des Blancs. "Nos chères têtes blondes" disait quelqu’un, en parlant des écoliers de France... Bref, la diversité est un fait social, mais ce n’est pas un fait de culture.
Quelles en sont les raisons, selon-vous ?
Pap Ndiaye : Un certain nombre de mécanismes de reproduction sociale font que la société française n’est pas assez fluide et « méritocratique » au bon sens du terme. Il est bien connu que l’école, sélective et élitiste par tradition, tend à perpétuer les inégalités plutôt qu’à les réduire. A certains égards, on pourrait dire que la société française a conservé des traits d’ancien régime, par contraste avec d’autres sociétés dont les élites ont su promouvoir, et profiter, des réformes démocratiques visant à corriger les inégalités d’accès aux ressources sociales, éducatives, culturelles et économiques. L’action corrective de l’Etat, qui ne s’est manifestée que dans la seconde moitié du 20e siècle, a réduit certaines des inégalités les plus criantes, par la protection sociale et des gains de pouvoir d’achat, mais elle n’a pas profondément affecté la structure sociale des élites françaises.
Les groupes les plus défavorisés, c’est-à-dire ceux qui ont combiné des désavantages de classe et d’origine étrangère, les immigrés venus travailler dans la petite et la grande industrie, ont pâti de cet ordre social sclérosé, de telle sorte qu’ils ont été confinés dans des situations sociales modestes et fragilisées par le chômage et la raréfaction des emplois ouvriers. Ainsi, la diversité "de la rue" ne se traduit pas par une diversité équivalente dans les différentes strates de la vie économique et politique du pays. Le jour où l’Assemblée Nationale ressemblera à la société française dans sa diversité n’est pas encore venu !
« Les minorités françaises s’organisent, c’est un fait »
Comment comptez-vous promouvoir la diversité dans un pays où, bien que les dirigeants la revendique comme constitutive de son Histoire, elle n’est que peu visible dans les institutions, les entreprises et les media ?
Pap Ndiaye : Votre diagnostic est juste : il s’agit bien de promouvoir la diversité là où elle est peu présente. Il y a de nombreuses pistes à explorer, et c’est justement le travail des membres et sympathisants du CAPDIV que de les tracer. Par exemple, à la télévision, plusieurs de nos représentants ont rencontré des responsables de chaînes et de programmes pour discuter d’une meilleure présence à l’écran des personnes originaires d’Afrique et d’Outremer. Les entreprises se montrent aussi plus soucieuses de diversité, comme la signature d’une Charte de la diversité par 40 firmes, le prouve. Reste à passer des déclarations d’intention aux faits.
Quelles sont les pistes que vous proposeriez aux Pouvoirs Publics pour lutter contre les discriminations ?
Pap Ndiaye : Du côté des Pouvoirs Publics, nous souhaitons une politique plus volontariste visant à remédier pragmatiquement aux discriminations. Des expériences intéressantes ont été menées ces derniers temps, comme à Sciences-Po, qui accueille aujourd’hui plusieurs dizaines d’élèves venus des ZEP -zones d’éducation prioritaire-, élèves qui sont souvent d’origine maghrébine ou subsaharienne.
Le débat sur les problèmes de la discrimination semble prendre de l’ampleur en France et en Europe, pensez-vous que c’est à l’échelle européenne que les crispations vont se régler ?
Pap Ndiaye : Il est essentiel que le débat se structure à l’échelle européenne, car aucun pays d’Europe n’échappe aux questions de discriminations. Mais cela ne doit pas fournir un alibi aux politiques français pour ne rien faire... au contraire, il conviendrait que la France prenne l’initiative.
Personnellement, que pensez-vous de la discrimination positive ?
Pap Ndiaye : J’y suis favorable ! Ayant vécu et étudié aux Etats-Unis, je suis bien placé pour savoir que la politique de discrimination positive menée là-bas a permis des progrès significatifs pour la communauté africaine-américaine, en particulier l’essor d’une classe moyenne noire importante, bien qu’elle n’ait pas amélioré le sort des plus pauvres. Pour ce qui concerne la France, il faut imaginer des solutions adaptées à ce pays. Mais l’exemple américain est intéressant au sens où il suggère qu’une politique volontariste dans ce domaine peut marcher
Quel jugement portez-vous sur l’action communautaire Afro-américaine ou Antillaise aux Etats-Unis ?
Pap Ndiaye : Aux Etats-Unis, il est clair que la mobilisation des Noirs américains a été un facteur décisif dans la fin des discriminations politiques et de la ségrégation dans le Sud ; sous la houlette de Martin Luther King, notamment, qui a structuré un puissant mouvement. Les grands changements de cette nature ne vont pas sans mobilisation populaire importante, et sans associations pour la structurer et la représenter.
Personnellement, comment jugez-vous la tendance actuelle qui semble être à l’organisation des minorités françaises en lobby ou en communauté ?
Pap Ndiaye : Que les minorités françaises s’organisent au moyen d’associations me semble être une bonne chose. Mais mon avis n’a que peu d’importance ici : elles s’organisent, c’est un fait, puisque ces associations peuvent formuler des demandes et être des interlocutrices auprès des Pouvoirs Publics. Ces associations sont de natures multiples. On peut cependant les ranger en deux catégories, avec des échelles différentes : associations locales ancrées dans des vécus spécifiques : associations de quartier ; associations à vocation plus "nationale" s’apparentant soit à des groupes de réflexion, c’est le cas du CAPDIV, soit à des plateformes de mobilisation, c’est le cas de SOS racisme, par exemple.
Quelles est votre conception de la diversité ?
Pap Ndiaye : Je pense que la diversité, de fait social doit devenir un fait culturel et politique. Par fait politique, je veux dire non point la simple constatation de la différence, mais la valorisation de la différence dans le respect de valeurs communes. De telle sorte que la diversité doit être autre chose qu’une simple proclamation ; elle doit être effective dans les lieux où elle n’a pas droit de cité, c’est-à-dire les lieux de pouvoir économique et politique, de manière à ce que la société française devienne finalement plus ouverte et plus juste.
Existe-t-il, selon vous, une République idéale ?
Pap Ndiaye : Je ne crois pas à la République idéale. Le 20ème siècle a été plein de "politiques idéales" et parfois catastrophiques. Comme le disait Edgar Morin : « il n’y a pas de meilleur des mondes, mais seulement la possibilité d’un Monde meilleur ». C’est pareil pour la République : agissons pour que la République soit meilleure, c’est-à-dire qu’elle reconnaisse pleinement la diversité, tout en maintenant un socle commun et partagé.
Le Cercle d’Action pour la Promotion de la Diversité en France (CAPDIV) organise un débat public le 25 novembre à 19h, à la Mairie du 4ème arrondissement de Paris, dont le thème est : "Discriminations positives en France : réalités, mythes ou cauchemar"
Propos recueillis par Timothy Mirthil à Paris, novembre 2004.