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Rencontre OZP du mercredi 24 septembre 2025
Où va l’éducation prioritaire ?
Territoires, Établissements et éducation prioritaire. Revoir la carte.
Intervention de Marc Bablet,
Dans la suite de ce que Michèle [Coulon] a dit sur le réseau et le sens de l’éducation prioritaire, il faut encore dénoncer plusieurs confusions, plusieurs erreurs entretenues sur l’éducation prioritaire qui tiennent à ce que la France lutte mal contre les déterminismes sociaux comme le rappelle récemment l’OCDE parce qu’elle n’a pas de doctrine gouvernementale stable sur ce sujet si important et parce qu’il y a beaucoup de méconnaissance de ce qu’est l’éducation prioritaire.
Livrons quelques unes de ces pernicieuses confusions qui prétendent soit aller vers la suppression de l’éducation prioritaire, soit aller vers sa dilution par une extension absurde avec les CLA (contrats locaux d’accompagnement) soit aller vers sa généralisation à tout, au risque de supprimer toute idée de priorité pour les élèves des milieux populaires là où ils sont en nombre du fait essentiellement de l’urbanisme et du logement, regroupés de fait en ghettos urbains comme l’a dit Michèle.
Comme le montre très bien Fabienne Fédérini dans son ouvrage récent sur l’enseignement privé catholique, paru aux éditions du bord de l’eau : comment peut-on prétendre lutter contre les déterminismes et laisser perdurer un système qui permet aux plus aisés de mieux pratiquer l’entre soi. Quand on parle ségrégation sociale ou ghetto, le plus souvent on distingue et on désigne les plus défavorisés comme s’ils avaient le choix de leur condition et de leur habitat. En réalité la ségrégation est bien davantage le fait de ceux qui préfèrent éloigner les usines de leurs lieux de vie, qui préfèrent éloigner leurs enfants des enfants de ceux qui font tourner les usines et les services. Ceux que l’on applaudit lorsqu’ils travaillent en temps de pandémie et que l’on vilipende s’ils osent envisager de se révolter. C’est une première confusion qui veut que pour traiter la question des déterminismes sociaux, il faille prioritairement traiter les défavorisés... L’OZP a toujours dit que l’objectif de l’éducation prioritaire c’est sa disparition quand les niveaux de revenus présenteront plus d’égalité, quand les habitats seront plus mixtes, quand il n’y aura plus cette concentration dans certains quartiers et donc des écoles et collèges où les enfants de milieux populaires sont par obligation tandis que d’autres favorisés sont ailleurs par choix. C’est à défaut de mieux qu’existe l’éducation prioritaire pour ces écoles et collèges et elle n’est pas et ne doit pas devenir la réponse à tous les maux du système. Et en attendant que la société ait changé, la politique d’éducation prioritaire reste souhaitable dans une carte raisonnée en appui sur des indicateurs sociaux scolaires pertinents. Les IPS qui sont disponibles permettent une approche très intéressante.
Une deuxième idée prégnante dans l’idéologie dominante et qui entretient volontairement de la confusion consiste à dire que les destins sont individuels et à prôner l’égalité des chances sans se préoccuper de l’égalité des conditions ni de l’égalité des droits. On a vu particulièrement cela avec le développement de toutes ces associations financées par des fondations de diverses obédiences mais toujours liées aux entreprises qui veut que le modèle de l’entreprise néo libérale et de la réussite individuelle en son sein soit porté dans l’enceinte scolaire avec les valeurs de compétition qu’elles portent. Nous pensons au contraire que le système doit bien davantage s’intéresser au destin collectif des enfants de la nation et à la coopération entre les élèves et les personnels qu’aux destinées individuelles de quelques uns qui cachent la forêt de tous ceux qui sont confinés dans la difficulté scolaire. En conséquence nous récusons aussi la vision de la pédagogie qui se prétend individualisante et parfois même médicalisante, comme si les problèmes des enfants des milieux populaires étaient des problèmes individuels, comme si tout un chacun disposait du même potentiel au départ, comme ils disent, et comme si l’école de son coté portait des pratiques dont la valeur serait égale pour tous. Un argument nous est souvent opposé auquel nous devons répondre fortement : 70% des enfants défavorisés sont scolarisés en dehors de l’éducation prioritaire. A cela nous devons fortement répondre d’abord « encore heureux que la mixité sociale existe aussi en France dans l’enseignement public » sinon ce serait à désespérer de la République. Mais il nous faut aussi dire que la mixité sociale que nous appelons de nos vœux ne saurait à elle seule résoudre tous les problèmes et qu’il est très important que la formation des enseignants leur permette de mieux enseigner à tous les élèves de classes hétérogènes, non pas en individualisant mais en sachant prendre en compte dans leur travail avec la classe, le fait qu’ils ont des élèves à des niveaux divers de compréhension des attendus de l’école. Aider les enseignants à mettre en situation de réussite les élèves en difficulté et à mieux comprendre ce que leurs élèves ne comprennent pas dans le sens des activités scolaires.
Un troisième champ de discussion est souvent ouvert concernant le milieu rural que l’on dit abandonné et auquel on oppose les villes qui auraient plus d’opportunités comme on dit aujourd’hui. Le rapport du Sénat qui a déjà été cité par Marc Douaire va bien dans ce sens d’opposer villes et campagnes en disant qu’il faudrait de l’éducation prioritaire dans toutes les campagnes et en confondant volontairement les problématiques sociales qui fondent l’éducation prioritaire avec les problématiques d’éloignement qui créent la principale difficulté des milieux ruraux. Pour nous c’est mieux que le temps où les mêmes par la voix d’un de leurs candidats voulaient la suppression de l’éducation prioritaire. Toutefois c’est parfaitement absurde. Il n’y a aucune commune mesure entre les milieux ruraux isolés et les quartiers concernés par l’éducation prioritaire. Ces gens là devraient réfléchir aux réels problèmes de nos campagnes et cesser de faire croire que les services publics sont la clef du développement des campagnes. C’est bien sûr la question de l’économie qui est au cœur du développement des campagnes et pourquoi croyez vous que les mêmes qui tiennent ces discours sont ceux qui installent leurs entreprises partout sauf à la campagne ? Ne serait-il pas question d’une logique de profit ? Pour l’instant le travail sur les territoires éducatifs ruraux n’en est qu’au début et il devrait être sérieusement approfondi avec l’appui de la recherche pour développer une politique pour le milieu rural qui ne peut pas être l’éducation prioritaire qui doit rester centrée sur les réseaux qui concentrent les difficultés scolaires d’origine sociale. Ce qui ne veut pas dire que de tels quartiers n’existent pas dans certaines petites villes de milieu rural. Et nous travaillons pour ces réseaux ruraux justifiés par les indicateurs sociaux comme pour les autres. Mais cette confusion entretenue par des sénateurs élus par des maires ruraux ne résoudra pas les problèmes des territoires ruraux puisque si on y généralisait l’éducation prioritaire on y donnerait une réponse pertinente dans les quartiers populaires mais qui ne répondrait pas aux problèmes d’éloignement et d’isolement qui font l’essentiel des problématiques rurales. Notons que cette confusion a été sciemment entretenue par un ancien ministre porteur de l’internat d’excellence qui a voulu combiner la logique d’égalité des chances avec l’internat en faisant de l’internat le moyen de « sauver » quelques élèves de l’éducation prioritaire alors que son devoir aurait été de remobiliser les internats comme solutions éprouvées pour les élèves de milieux ruraux éloignés des établissements des villes. Ce n’est pas l’OZP qui travaillera sur une politique pour les territoires ruraux isolés, il faut que d’autres se lancent dans une indispensable action de documentation et de recherche sur les problèmes pédagogiques concernés pour bâtir une véritable politique publique de l’enseignement pour ces territoires. C’est la seule manière d’en finir avec cette confusion entretenue sur le sens de l’éducation prioritaire.
Vient une quatrième question qui nous vaut parfois d’être en tension avec certains collègues enseignants des lycées du fait que les indemnités ont été progressivement retirées dans environ 160 lycées qui étaient en éducation prioritaire depuis les origines de l’EP. Il n’est pas question ici de dire que les lycées n’ont pas besoin de politiques prioritaires en fonction de leurs difficultés propres. Mais les lycées doivent articuler leurs politiques au devenir des élèves au-delà du bac. Et regardons les faits : à l’exclusion de quelques lycées généraux de quartiers populaires qui scolarisent en nombre des enfants de milieux populaires du quartier, et en regard de quelques lycées très favorisés des ghettos de riches, la plupart des lycées généraux connaissent une mixité sociale moyenne pour les lycées. Au niveau du lycée général, il faut se battre pour une politique de mixité sociale plus convaincante. Le problème du système français au niveau des lycées se situe dans la pratique de l’orientation qui fait des lycées professionnels le principal lieu de formation des élèves issus de l’éducation prioritaire et plus largement des milieux populaires. C’est là que sont concentrés les élèves des milieux populaires notamment issus des collèges de l’éducation prioritaire mais pas seulement. Alors oui, il faut donner au lycée professionnel les moyens d’être ce lycée vraiment profitable à ces élèves. Mais c’est vrai partout et pas seulement dans les lycées professionnels à proximité des collèges REP ou REP+ qui le plus souvent scolarisent des élèves du quartier mais très souvent beaucoup de bien au delà. Ce qui rend caduque la logique de réseau et de continuité pédagogique. L’éducation prioritaire en tant que politique conduite dans un réseau école collège ne peut être la solution aux problèmes des lycées et surtout pas à ceux des lycées professionnels qui là aussi appellent d’autres pratiques. Le collectif Langevin Wallon dans son livre récent sur l’éducation prioritaire consacre un chapitre à proposer un référentiel à discuter pour les lycées qui accueillent des élèves des milieux populaires en nombre. Nous sommes aussi ouverts à cette discussion.
Faut-il alors revoir la carte de l’éducation prioritaire ? Comme vous le savez la refondation a revu la carte en 2015. Elle a corrigé des injustices criantes concernant notamment les DOM mais pas seulement. Ça a été très significatif pour Lille et Créteil. Une étude de l’INSEE qui avait été présentée à l’OZP a bien validé le fait que la nouvelle carte comprend plus d’élèves dits défavorisés que la précédente. Et très peu de gens remettent en cause la carte des REP+. Mais la circulaire de la refondation prévoyait de revoir à nouveau la carte en 2019 car nous savions bien alors qu’elle n’était pas encore parfaitement juste. Et de nombreux travaux et demandes locales se font jour pour souhaiter la revoir. C’est parfaitement légitime et le scandaleux développement des CLA qui ont réintroduit le privé ne peut tenir lieu de révision de la carte.
Pour bien faire, il faudrait donc aller vers une révision de la carte. Le problème est que pour réussir une révision de la carte, il faut que l’Etat soit fort et que le gouvernement soit bien relayé par les élus locaux et par les syndicats. Cette condition n’est actuellement pas du tout réunie. Alors peut être vaut il mieux que la carte ne soit pas revue car on risque actuellement de la rendre plus injuste en cédant sous la pression, ce qui a été assez bien évité en 2015.
Voir le texte des trois interventions de cette Rencontre et l’enregistrement vidéo