Voir à gauche les mots-clés liés à cet article
L’enseignement explicite au prisme de l’éducation prioritaire
Lundi 12 mai 2025, Marina Tual, docteure en Sciences de l’éducation, maîtresse de conférences à l’INSPE de Paris pour la partie enseignement, chercheuse au LabPsydé, nous a fait l’honneur de participer au dernier rendez-vous inter académique francilien des cafés de l’éducation prioritaire. Ayant poursuivi ses recherches sur les divers apports de l’enseignement explicite et son efficience sur l’acquisition des apprentissages, au niveau des savoir fondamentaux notamment, Marina Tual a été professeure des écoles pendant de nombreuses années, avant de rejoindre l’Université notamment auprès d’élèves à besoins éducatifs particuliers. Ses travaux actuels portent sur l’implémentation de dispositifs pédagogiques relevant de l’enseignement explicite.
Après être rapidement revenue sur les différentes phases de l’enseignement explicite (modélisation, pratique guidée et autonome, révision et consolidation), Marina Tual va préciser ses constats et ses préconisations au prisme des besoins pédagogiques spécifiques à l’éducation prioritaire, dont le référentiel insiste d’ailleurs sur la nécessité d’enseigner « plus explicitement ».
L’enseignement explicite et le développement de l’autonomie des élèves : quels effets ?
Marina Tual commence son propos en revenant sur les représentations, nombreuses et parfois contradictoires, que l’on associe à l’enseignement explicite. Ces représentations influencent sensiblement les enseignants qui peuvent parfois redouter sa mise en place. La prétendue « verticalité » de cette pédagogie transparaît selon certains détracteurs dans un guidage trop directif. De fait, les critiques qui sont le plus souvent opposées à ce type d’enseignement concernent une prétendue « passivité » des élèves qui est loin d’être confirmée et encore moins pour les élèves issus de milieux défavorisés. Comme le souligne la chercheuse, certes, l’enseignement explicite permet de maintenir un fort guidage, mais ce dernier maintient l’engagement cognitif de l’élève, dans sa tâche, et ce, de façon encadrée et rassurante, notamment pour les élèves les plus fragiles ou qui présentent des besoins éducatifs particuliers.
L’enseignement explicite : quelle efficacité dans le contexte scolaire des réseaux d’éducation prioritaire ?
Marina Tual souligne à quel point l’enseignement explicite se révèle efficace dans les réseaux d’éducation prioritaire. Elle détaille ainsi les différents travaux de recherche-produit, fondés notamment sur l’observation des enseignants, ainsi que sur des travaux de recherche expérimentale, fondés sur des recherches sur le terrain. Les échecs, somme toute relatifs, sont à mesurer à l’aune de la pertinence de l’implémentation des séances qui peuvent poser problème. La chercheuse souligne alors la nécessité d’une approche progressive qui respectera autant le rythme des élèves que des enseignants qui s’engagent avec appréhension dans cet enseignement jugeant le rapport entre le temps investi et les effets observés peu encourageants. La logique des « petits pas » prévaut dans ces contextes socio-scolaires surtout si elle est couplée à un accompagnement ténu des équipes enseignantes.
Les défis associés à l’implémentation de l’enseignement explicite
De fait, les défis liés à la mise en place de l’enseignement explicite sont complexes et nombreux. Pour les enseignants qui souhaiteraient mettre en place l’enseignement explicite dans leurs classes, il est difficile de se construire une vision objective de sa pratique, à fortiori quand la gestion quotidienne de la classe vient se superposer aux questions purement didactiques. Marina Tual préconise alors un protocole d’observation qui peut se faire en autonomie par l’enseignant. Ce dernier peut recourir à une caméra pour se filmer et analyser, à posteriori, la pertinence de sa démarche et de ses gestes. Elle cite également les travaux de Marie Bocquillon, et plus précisément « Le miroir des gestes » pour vérifier la compréhension des élèves notamment, en termes de contenus pédagogiques et de stratégies. Cependant, comme le nuance Marina Tual, les grilles de fidélité, qui sont précises, exigent des choix qui nécessitent, de part et d’autre, pour les élèves et les enseignants un travail d’appropriation. L’aide d’un formateur, au niveau des observations reste précieux.
Les effets de l’enseignement explicite sur la qualité du climat scolaire
L’implémentation de l’enseignement explicite agit-elle réellement sur la question du climat scolaire ? Il paraît évident que la question du climat scolaire est à relier, de façon étroite, à une réflexion plus globale sur l’efficience des pédagogies mises en place, et notamment celle de l’enseignement explicite. Dans quelles mesures ce type de mise en œuvre pédagogique permet-il de maintenir un climat favorable ? Marina Tual commence par revenir sur ce qui peut sembler une évidence : on ne peut attendre d’un élève qu’il maîtrise un savoir si on ne le lui a pas appris au préalable. Il s’agit donc de « modéliser » les comportements et d’assurer un guidage, mais aussi un feedback qualitatif sur les postures des élèves. Par ailleurs, la chercheuse souligne bien l’importance du travail collectif autour des compétences psycho-sociales dans l’espace scolaire qui ne revient pas exclusivement à l’enseignant. Ce dernier est loin d’être le seul responsable de ce qui se passe dans la classe. D’autres enjeux entrent en ligne de compte quand il s’agit de juger de l’efficacité de ce dispositif pédagogique sur le climat scolaire. L’un des enjeux forts reste celui de la consolidation des équipes autour d’un ensemble de valeurs qui fait consensus au sein de l’équipe éducative, telles que le respect, la coopération ou encore la confiance. Les élèves sont encouragés à s’associer et à contribuer à l’édification de ce projet d’établissement pour qu’ils se l’approprient encore mieux.
Différenciation et enseignement explicite : quels bénéfices ?
De prime abord, les objectifs premiers de l’enseignement explicite ne recoupent pas des objectifs de différenciation. D’aucuns pourraient même penser que cet enseignement n’encourage pas la mise en place didactique de la différenciation. Maurice Tual explique que, pourtant, l’enseignent explicite représente un levier puissant au regard de la question de la différenciation. Les étapes de l’enseignement explicite peuvent être modulés selon les besoins. Il s’agit de s’autoriser à déconstruire un pseudo moule qui n’est pas figé mais bien plus souple que ne le pensent les enseignants. Par ailleurs, elle détaille les différents points d’appui sur lesquels les équipes peuvent compter. Il est également possible de cibler quelques compétences uniquement et de ne pas systématiser le recours à cette pédagogie. L’aménagement des emplois du temps et la cohésion des équipes éducatives autour d’axes communs peuvent également jouer en faveur d’une meilleure efficacité de cet enseignement lorsqu’il est accepté et pratiqué par le plus grand nombre. La cohérence peut être assurée si cet enseignement circule dans les classes. A ce titre, il est nécessaire d’agir sur le développement professionnel des équipes-Elle cite les travaux de Maryse Bianco, Jonathan Fernandez et Marie Bocquillon.
L’enseignement explicite : quelle efficacité pour le développement des compétences psychosociales ?
Les compétences psychosociales peuvent -elles s’enseigner de la même façon que les autres types d’apprentissage ? De la même façon qu’on ne peut attendre des éleves de comprendre et de maîtriser Ce qu’on ne leur a jamais appris, en termes de compétences au niveau des savoirs fondamentaux, on ne peut blâmer un élève dont le comportement est jugé inapproprié. La question de l’implicite est sous-tendue dans ces réflexions ; pour le construire, l’implicite, il faut sans doute passer par une explicitation des attentes, des codes, de certaines normes. Le rôle du feedback est également essentiel ; il permet d’installer et de nourrir la confiance qui existe entre l’enseignant et ses élèves.
Pour conclure, Marina Tual insiste bien sur le fait que le terme « enseignement explicite » ne rime pas toujours avec « réussite » et que l’engagement des enseignants et des élèves dans cette pédagogie, mais surtout leur persévérance et leurs capacités d’adaption, sont les gages d’un meilleur accompagnement des élèves au service de leurs performances scolaires.
Vous pouvez écouter cet épisode des cafés de l’EP sur notre chaîne Podeduc ici
00:52:27 https://podeduc.apps.education.fr/video/94489-cafe-de-lep-5
https://podeduc.apps.education.fr/carep-creteil/les-cafes-de-lep/video/94489-cafe-de-lep-5-episode-14-marina-tual-lenseignement-explicite/
23 / 05 / 2025 https://carep.ac-creteil.fr/spip.php?article464