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L’école n’a pas dit son dernier mot - Le coup de gueule d’un recteur qui refuse de baisser les bras
Christophe Kerrero
Robert Laffont, 360 p.
Date de parution : 13/03/2025
Education nationale : rien ne va mais on peut s’en sortir !
Vendredi 2 février 2024, après trois ans et demi à la tête de l’académie de Paris, Christophe Kerrero démissionne de son poste de recteur. Il vient d’être publiquement désavoué par la ministre en poste dans son projet de réforme des classes préparatoires parisiennes, sans même en avoir été prévenu préalablement.
Professeur, personnel de direction, inspecteur, directeur de cabinet, recteur, Christophe Kerrero a occupé la quasi-totalité des fonctions au sein du ministère de l’Éducation nationale, ce qui en fait un témoin et un acteur privilégié des évolutions éducatives de ces trente dernières années. Mais son témoignage n’est pas le matériau d’un énième livre sur l’École car Christophe Kerrero est un rescapé : lui aussi aurait pu rejoindre la cohorte des exclus puisqu’en échec au collège, il a dû prendre des chemins de traverse, et n’a dû son salut qu’à la confiance accordée par quelques professeurs !
Alternant récit de son expérience et analyse distanciée du « système », Christophe Kerrero livre des anecdotes révélatrices de ses difficultés, de ses doutes, et propose des solutions pragmatiques pour une école plus efficace et plus juste, où les élèves s’épanouissent et réussissent.
Face à une école en crise profonde, qui peine à faire nation, son message est avant tout porteur d’espoir. Les défis qui nous attendent – économiques, sociaux, environnementaux - sont abyssaux, et il ne sera pas possible de les relever sans révéler et réunir tous les talents. C’est à cela que tous les acteurs de l’école de bonne volonté s’emploient aujourd’hui, comme Christophe Kerrero nous le fait partager ici.
Christophe Kerrero, ancien recteur de Paris : « Notre modèle méritocratique s’est replié sur une élite de plus en plus réduite. Il devient perdant-perdant »
Propos recueillis par Violaine Morin et Sylvie Lecherbonnier
ENTRETIEN Cet ex-professeur de lettres modernes, qui a démissionné en 2024 de son poste de recteur de Paris, explique, dans un entretien au « Monde », que l’école est devenue une machine ambitieuse qui, paradoxalement, peine à inculquer aux jeunes des savoirs fondamentaux et le partage de certaines valeurs.
Christophe Kerrero a été recteur de Paris entre 2020 et 2024, après avoir quitté son poste de directeur de cabinet du ministre de l’éducation nationale, Jean-Michel Blanquer. L’ancien professeur de lettres modernes publie, le 13 mars, L’école n’a pas dit son dernier mot (Robert Laffont, 360 pages, 21 euros), un essai dans lequel il retrace son parcours au plus haut sommet du ministère, mais aussi son expérience d’élève médiocre, pour montrer les limites d’un système qui ne parvient pas à faire progresser tous les enfants. Il plaide pour une école « moyenne », débarrassée de l’élitisme scolaire.
Votre livre s’ouvre sur votre démission du rectorat de Paris. Vous critiquez la ministre de l’éducation nationale de l’époque, Amélie Oudéa-Castéra, et « l’incapacité de certaines élites à se remettre en question ». La méritocratie et l’élitisme républicain sont des mythes à vos yeux. Pourquoi ?
Depuis vingt-cinq ans, nous sommes montrés du doigt dans le programme international du suivi des acquis des élèves [PISA] de l’OCDE [Organisation de coopération et de développement économiques] comme étant la société de la reproduction sociale. Notre modèle méritocratique s’est replié sur une élite de plus en plus réduite. Ce modèle devient perdant-perdant : perdant économiquement, car nous avons besoin de tous les talents, et politiquement, parce que cette élite ne représente pas le peuple souverain. [...]
Extrait de lemonde.fr du 10.03.25
Comment reconstruire une Ecole républicaine dans une société sans projet ? (Christophe Kerrero, ouvrage)
"Gabriel Attal a entraîné et consumé les derniers feux d’une institution exsangue et désormais, chacun vogue au gré du vent dans une chaloupe à la dérive qui a perdu l’espoir de revoir la terre." C’est peu dire que le regard que porte Christophe Kerrero sur l’état du système scolaire est sévère. Il en a pourtant été, depuis 2009, l’un des acteurs clé. Le livre qu’il publie ces jours-ci témoigne moins de ses difficultés à se situer que de celles d’une société incapable d’offrir des perspectives à sa jeunesse. Lui sait très bien ce qu’il veut, c’est un homme de droite, soucieux de mixité sociale et profondément désireux de voir la République tenir ses promesses d’égalité des chances.
L’ouvrage s’ouvre avec le récit de la crise qui l’a conduit à démissionner de ses fonctions de recteur de la région académique d’Ile-de-France au début de l’année dernière (voir TE ici). Il avait dû longuement batailler pour imposer à son ministre la réforme d’Affelnet à Paris et surtout pour inclure dans le périmètre Louis-le-Grand et Henri-IV, mais il n’a pu fermer quatre CPGE (classes préparatoires aux grandes écoles) "en déficit d’attractivité ou caricaturales dans leur recrutement" pour ouvrir "des classes post-bac d’un nouveau type, accueillant un public moins à l’aise avec l’école". Les "lobbys du conservatisme le plus exacerbé" s’y opposent et il apprend "par un tweet de Force ouvrière" que la ministre, Amélie Oudéa-Castéra annonce "un moratoire sur les fermetures de classes préparatoires à Paris".
Il est désavoué sans même avoir été prévenu, mais c’est sa "volonté de déségrégation sociale et scolaire" qui est mise en cause, alors qu’elle a guidé son action depuis sa nomination trois ans plus tôt à Paris, et qu’elle s’explique par son enfance. Dès lors l’ouvrage mêle, au gré des chapitres, le récit "d’une scolarité chaotique", une analyse critique du fonctionnement du système, "pensé et organisé pour sortir du lot les forts en maths et les forts en thème", un regard sur l’histoire de notre école, lointaine héritière du mandarinat chinois ou des collèges jésuites, et de nombreuses anecdotes sur le fonctionnement des hommes et femmes politiques.
Il évoque notamment une "idylle complète" entre Jean-Michel Blanquer et Emmanuel Macron au début du premier quinquennat et lui-même croit qu’il va être possible de réformer le système scolaire. Mais dès l’année suivante, il est convaincu que son ministre commet une erreur en portant la loi "pour une école de la confiance" et "le tsunami politico-médiatique" créé par la réforme d’Affelnet provoque la rupture. Le ministre, "interpellé par le président", demande des comptes au recteur, il "tempête, tantôt reconnaissant la qualité du travail accompli, tantôt fustigeant une initiative dangereuse" : "Là où il y avait de l’hyperactivité, (il) ne voi(t) plus que de la fébrilité."
Mais au-delà, Christophe Kerrero dessine un projet pour l’école. Elle réalise dans l’action la synthèse des divers courants pédagogiques puisque "les professeurs ne se positionnent pas comme ’pédagogistes’ ou ’républicains’ lorsqu’ils élaborent leurs cours" et lui-même apprécie "les cours très structurés" mais "certaines pratiques plus novatrices" lui ont évité de décrocher lorsqu’il était élève. Il faut "mettre au coeur de nos préoccupations la qualité de la relation pédagogique maître - élève". Quant aux mathématiques, elles doivent cesser d’être l’ "outil de sélection" d’un système "inadapté à une société complexe aux défis considérables", où il faudrait faire "une plus large place à tous les types de savoirs", y compris manuels. Il faut aussi mettre fin à un système qui "isole le professeur". Sur bien des points, les groupes "de besoins/niveaux" notamment, il prend ses distances avec les politiques menées rue de Grenelle, mais c’est "du politique" qu’il attend qu’il fixe à la société des perspectives et qu’il les décline pour son école. C’est que, pour lui, "l’homme sans morale, c’est à dire sans dessein qui le transcende, est une sorte de monstre désolé".
"L’école n’a pas dit son dernier mot", Christphe Kerrero, éditions Robert Laffont, 360 p., 21€