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"Avec Anne Genetet, l’éducation face à la tourmente budgétaire" [et à la mixité sociale] (François Jarraud sur son blog Médiapart)

22 septembre 2024

Avec Anne Genetet, l’Education face à la tourmente budgétaire
Nommée le 21 septembre ministre de l’Education nationale, quelle ministre sera Anne Genetet ? Elle aura à concilier sa fidélité à G. Attal avec un budget en nette baisse dès 2025. Mission impossible pour une ministre inexpérimentée ? Perspective inquiétante pour des personnels déjà défavorisés ?

Qui est Anne Genetet ?

Avec la constitution de l’union des droites et la nomination de M. Barnier comme Premier ministre, la valse des ministres reprend Rue de Grenelle. Le 19 septembre, Nicole Belloubet avait gagné face à Annie Genevard et semblait devoir rester en poste même face à V. Spillebout. Finalement, le 21 septembre, c’est Anne Genetet qui est nommée au ministère de l’Education nationale. Elle hérite d’un ministère amputé de la Jeunesse. Elle dispose d’un ministre délégué LR, Alexandre Portier, chargé de "la réussite scolaire et de l’enseignement professionnel".

On sait peu de choses d’Anne Genetet si ce n’est qu’elle est députée Renaissance et proche de G. Attal. Elle n’est intervenue à l’Assemblée que sur des sujets de défense ou relatifs aux expatriés.

Cela a pu surprendre des commentateurs. Mais il n’est pas rare que le ou la ministre de l’Education nationale ne vienne pas de l’enseignement. Ce fut le cas, pour prendre des exemples célèbres et récents, de Monory, Robien, Chatel ou Vallaud-Belkacem. Il est par contre nettement plus rare d’installer rue de Grenelle une personnalité n’ayant exercé aucune fonction de direction importante, ce qui est le cas pour A. Genetet. C’est une ministre doublement inexpérimentée qui arrive dans le ministère qui gère le premier budget et la moitié des fonctionnaires d’Etat.

Un entourage déterminant

Parmi ces prédécesseurs, de qui se rapprochera t-elle ? D’un Gilles de Robien, largement doté d’une expérience ministérielle, mais qui ne s’est jamais emparé des dossiers de l’éducation. Il a laissé son cabinet, dont son directeur adjoint JM Blanquer, diriger de façon brutale et politicienne le ministère en faisant (déjà) beaucoup de dégâts. Ou d’un Luc Chatel, passé de L’Oréal à l’Education nationale, un "vrai patron", comme le décrit son entourage, qui s’est rapidement emparé des questions d’éducation. Il a suivi les contraintes budgétaires fixées par N Sarkozy. Mais il a su s’opposer à de nombreuses idées tordues de l’Elysée et laisser sa marque.

La réponse viendra avec la nomination de son directeur de cabinet. En envoyant A. Genetet rue de Grenelle, G. Attal souhaite sans doute que l’on ne brade pas le "choc des savoirs" et la politique qu’il a menée au ministère. Alors on verra si à la tête du cabinet s’installe une directrice de cabinet ou un directeur de cabinet attalien. Ce serait le début d’une cohabitation entre le ministère et Matignon qui renforcerait l’influence d’E. Macron.

La vision de droite sur l’Ecole

Mais le plus important est ailleurs. D’abord dans la bataille idéologique. La majorité sur laquelle repose le gouvernement Barnier, la nouvelle union des droites, regroupe macronistes et Républicains avec le soutien, derrière le paravent, du Rassemblement national. Elle partage une conception commune des réformes à mener en éducation. A mi chemin entre macronistes et extrême droite, son centre de gravité est la loi du sénateur LR Max Brisson, déjà adoptée par le Sénat. Emmanuel Macron s’est exprimé en faveur d’établissements scolaires autonomes avec des chefs recrutant et rémunérant les enseignants, là où la loi Brisson veut des établissements publics autonomes d’éducation (EPAE) (premier et second degrés) sous contrat avec l’Etat avec des directions détenant ces pouvoirs. Les deux veulent une vraie privatisation de l’école publique sur le modèle anglo saxon. Même accord sur la réforme de la formation des enseignants, qui doit être confiée "à l’employeur" et non à l’université et aboutir à un diplôme spécial pour les professeurs des écoles. Le Rassemblement national s’est reconnu dans ces orientations et dans celles du "Choc des savoirs" reprochant à G. Attal de s’inspirer du programme du RN.

Des réformes plombées par le budget

Mais le problème c’est le budget. Alors que les droites arrivent au pouvoir, elles n’ont pas les capacités budgétaires de changer la donne. Les réformes envisagées par la loi Brisson coutent cher. La rémunération des élèves enseignants et le lancement des EPAE nécessitent plus d’un milliard. Et cela semble maintenant hors de portée.

Les lettres plafonds budgétaires sont maintenant connues. Pour l’Education nationale, le gouvernement envisage de passer de 64.4 à 64.5 Mds de 2024 en 2025. Cette stabilité marque en réalité une baisse relative importante du budget de l’Education nationale. En effet, le budget de l’Education nationale doit suivre l’inflation et aussi l’évolution spontanée de sa masse salariale sous l’effet des avancements par ancienneté ou promotion. Ce dernier effet, le Glissement Vieillesse Technicité, représente près de 500 millions. Il manque environ un milliard à l’Education nationale pour couvrir ses dépenses de 2025 à format égal.

Cela n’avait pas échappé à N. Belloubet qui avait eu le cran de le dire le 27 août (bien avant les remarques tardives de certains de ses collègues). Elle pointait un budget "insuffisant" et qui "ne répond pas à l’ensemble des besoins". "Ce plafond contraindrait à une particulière rigueur budgétaire notamment quand on connait l’incidence du GVT", ajoutait-elle. Gageons que c’est cette critique qui lui a couté son poste.

Depuis, la Cour des Comptes a dépeint une situation budgétaire encore plus alarmante du pays prévoyant un déficit public à hauteur de 6% en 2024. La Cour estime qu’il faut un effort important pour rééquilibrer les comptes à hauteur au moins de 50 milliards. La lettre plafond de l’Education nationale pourrait être revue à la baisse et des économies plus importantes encore être annoncées prochainement par un Michel Barbier qui fait mine de le découvrir...

Coté positif, cette situation tord le cou à bien des réformes portées par E Macron et G Attal. On ne réforme pas à l’Education nationale quand les caisses sont vides. Le SNU va tomber, victime d’un rapport sans appel de la Cour des Comptes et d’un coût faramineux (plus de 10 Mds à terme et 200 M tout de suite). La labellisation des manuels scolaires devait s’accompagner de leur remplacement financé en partie par l’Etat. On se passera peut-être de cette dépense (une cinquantaine de millions). Les groupes de niveau représentent 4000 postes soit 200 millions. Il sera tentant de les récupérer. Et de compléter le milliard en piochant dans les contractuels et les heures supplémentaires.

Des réformes de structure annoncées

Au delà du milliard il faudra des réformes de structure. Et on sait que le terrain est préparé en ce sens. La Cour des comptes réfléchit depuis des années aux gisements d’économies dans l’Education nationale. Elle les a encore rappelés en 2021 et 2023. Ses rapports ont inspiré les inspections générales des Finances et de l’Education nationale dans un nouveau rapport récent paru très opportunément. Ils ont examiné trois pistes. D’abord changer le modèle d’éducation prioritaire pour un modèle progressif. Revenir sur les dédoublements en relevant le seuil en fonction des objectifs de postes économisés. Ils ont aussi envisagé de réduire le nombre d’écoles et collèges par regroupements notamment en zone rurale. Tout cela permettrait de dégager des milliers d’emplois avec une réforme de structure définitive.

Une autre piste pourrait concerner l’enseignement professionnel. Celui ci est confié au député LR Alexandre Portier, nommé ministre délégué. Alors que le gouvernement va probablement revenir sur les subventions très importantes versées pour les contrats d’apprentissage, ces mesures devraient avoir un effet sur les lycées professionnels. Le gouvernement Barnier voudra t-il les laisser dans l’Education nationale ? Ou ira t-on vers une régionalisation des établissements et à terme des personnels des lycées professionnels ?

Deux questions pendantes

Deux sujets sont déjà sur la table. Le premier concerne l’utilisation de la baisse des effectifs élèves. Les syndicats demandent à ce qu’elle soit utilisée pour réduire le nombre d’élèves par classe. Le gouvernement peut vouloir "préserver le service public d’éducation" et utiliser la baisse des effectifs élèves en interne. A la rentrée 2025 ce sont 86 000 élèves en moins qui sont attendus dans le premier degré et encore 76 000 à la rentrée 2026. On peut ainsi récupérer environ 7000 postes. Et même les réutiliser au collège, comme le permet un décret pris par JM Blanquer. Dans le second degré la baisse n’est que de 10 000 élèves à la rentrée 2025. Mais elle monte à 30 000 à la rentrée 2026, de quoi libérer environ 2000 postes. C’est donc 10 000 postes qui pourraient être économisés par simple réduction démographique très rapidement, soit 500 millions.

Le second sujet pendant c’est la mixité sociale dans l’Ecole. La démonstration a été faite, par exemple par le Cnesco, que c’est un moyen pour améliorer les résultats scolaires des élèves les plus faibles sans abaisser ceux des plus forts. N Vallaud Belkacem avait lancé des initiatives mises sous le boisseau par JM BLanquer. Pap Ndiaye avait relancé des projets et signé un accord avec l’enseignement catholique. N. Belloubet souhaitait appliquer cet accord. Quelle sera la décision de la nouvelle ministre ? Si la droite penche fortement en faveur de l’enseignement privé et l’a dénoncé, elle ne peut pas faire comme si le rapport Vannier Weissberg n’avait pas eu lieu.

Un ministère conflictuel ?

Tous ces sujets sont très politiques. Le gouvernement Barnier n’a pas le poids politique qui lui permette d’ouvrir tous ces chantiers. Si la vision de l’Ecole est la même entre macronistes et LR, les styles de Barnier et d’Attal ne sont pas les mêmes. Le ministère de l’Education nationale pourrait être un lieu d’opposition entre ces tendances gouvernementales, surtout si Attal impose ses affiliés rue de Grenelle.

Les personnels de l’Education nationale pourraient se mobiliser sur la gestion du ministère. La perspective d’une revalorisation va s’éloigner définitivement très rapidement. Inversement , les conditions d’exercice devraient se encore dégrader avec une technostructure ministérielle ayant les mains libres et à la recherche d’une exploitation maximale des ressources humaines. Plus que l’agitation permanente d’Attal, le gouvernement Barnier va s’attaquer aux ressources d’une institution déjà à l’os et à des personnels déjà très défavorisés.

François Jarraud

Extrait de blogs.mediapart.fr du 21.09.24

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