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Reportage dans la ville de Soyaux en Poitou-Charente

28 octobre 2006

Extrait de « Sud-Ouest Dimanche » du 22.10.06 : « Champ de manœuvre » : la grande cité retranchée

Soyaux (Charente), 5 000 habitants, 60 nationalités, 30 ethnies se partagent l’espace de cette banlieue

Champ de manœuvre : la grande cité retranchée

Il y a un an, alors que les cités s’enflammaient, ici il ne s’est rien passé. C’est le discours officiel. Pourtant, une grosse dizaine de voitures ont connu le même sort qu’un peu partout en cette France où le béton pousse en hauteur. Bien sûr, ce n’est ni Clichy, ni La Courneuve, ni Sarcelles, mais ... Ici, c’est le quartier du Champ-de-¬Manœuvre, à Soyaux, à 3 kilomètres en ligne droite du centre d’Angoulême et à 3 kilomètres de la campagne, la vraie. Drôle de nom pour un quartier, emprunté à un ancien terrain vague où l’armée s’entraînait. Et puis avec l’afflux des militaires et des ouvriers en provenance des casernes et des usines angoumoisines, le maire sojaldicien, Albert Tournier, a troqué cet espace, après quelques péripéties judiciaires, pour 70 hectares de landes. C’est ainsi qu’est née la cité dont la première pierre du bâtiment J, dans l’aile dite de « la banane », a été posée le 28 février 1959. Pas moins de neuf écoles et le collège Romain-Rolland ouvrent leurs portes à la rentrée de septembre 1961.

Microcosme

« Dans les années 70-80, mes parents étaient très heureux d’habiter dans cette cité HLM. C’était du logement social, à quatre appartements de 70 mètres carrés par niveau, avec chauffage central, grande salle de bains et toilettes à l’intérieur. Puis ils ont déménagé juste de l’autre côté de la rue, dans le quartier résidentiel », raconte Olivier qui a grandi au milieu des tours. Esthétiquement, la cité imaginée par Louis Simon, l’architecte qui a reconstruit Royan auprès de Claude Ferret et repensé Saint-Front à Périgueux, n’a pas beaucoup changé. Seuls des balcons ont été rajoutés lors des quelques réhabilitations. Trois tours d’une vingtaine d’étages dominent les bâtiments de taille bien plus modeste en pierre de Charente. 5 000 habitants (dont la moitié sont des jeunes) sur les 10 800 que compte la commune vivent là, dans 2 008 logements gérés depuis les origines par l’Office des HLM et le Foyer. Les rues aux noms d’écrivains et de peintres sont d’une symétrie « stalinienne ».

Le cœur de la cité bat au ralenti autour de la grande place rectangulaire renommée Jean-Jacques Rousseau mais que tout le monde continue d’appeler « place du kilomètre », comme une revendication identitaire. Ici, les plus anciens se souviennent que des cirques montaient leur chapiteau. Aujourd’hui, elle sonne creux. Le contexte a évolué. L’arrivée massive d’immigrés dans les années 1980 a modifié la donne. On dénombre, à ce jour, près de soixante nationalités différentes pour une trentaine d’ethnies. Dans ce microcosme, les plus nombreux sont les Maghrébins, accompagnés d’une forte et étonnante présence maorie et l’implantation beaucoup plus récente de familles des pays d’Europe de l’Est. Le quartier, où l’on recense 848 demandeurs d’emploi (environ 20 % de chômeurs, soit le double de la moyenne départementale), bon nombre de familles monoparentales et beaucoup de personnes âgées, s’est appauvri au premier sens du terme. Inexorablement, le climat s’est dégradé au point qu’en conseil municipal un élu n’a pas hésité à dire : « Le gris est une couleur qui va bien au Champ de manœuvre ».

Le slogan de la ville le reprend en des termes plus pudiques : « Soyaux, ville d’espaces et de contrastes ».

Densité et vide

A l’instar de Ma Campagne ou de Basseau-Grande-Garenne, autres quartiers de la voisine Angoulême, l’étiquette de « sensible » colle à l’ambiance du lieu densément peuplé mais aux artères désespérément vides à toute heure. Le centre commercial historique vieillit mal avec sa supérette Coop adossée à la mosquée Alfath (siège de l’Association des musulmans de Charente), sa pharmacie, son boulanger, son boucher avec ses viandes 100 % halaI, sa boutique de vêtements, son lavomatic ou son bar tabac. Dans les allées de la galerie marchande, les « points sociaux », une bibliothèque pour tous, la mairie annexe et un petit commissariat ont pris la place d’anciens commerces.

Il faut bien installer la quinzaine d’associations, les structures sociales locales, régionales ou d’État, les assistants, les médiateurs (souvent originaires du quartier mais en emplois précaires) qui finissent par proposer des services d’accompagnement qui se marchent sur les pieds dans la course aux subventions. L’épicerie sociale, qui touche 120 familles, se trouve dans une cave d’immeuble.

La vitrine du centre social culturel et sportif, fraîchement restauré, porte les traces de vandalisme. Le découragement guette, mais certains veulent encore y croire.

C’est le cas de Guy Rougerie, prêtre de la petite église catholique qui porte le nom d’une assistante sociale de la région parisienne, communiste et croyante : Madeleine Delbrel. L’évêché l’a nommé à ce poste en 1999, lui qui avait déjà officié dans la cité Crouin de Cognac. Il s’est donc installé dans un appartement du quartier. « J’ai pris le temps de m’insérer. Au début, ce n’était pas évident. Il est difficile de repérer ici des lieux de vie. Pour la plupart, à 17 heures, c’est rideau. Mais ce n’est pas un ghetto. Je n’ai jamais connu la peur. Il suffit de s’adapter au "genre littéraire", je veux dire par là discuter avec des gens qui vous invectivent virilement. La plupart des riverains ont abandonné. La vigilance des adultes n’existe plus dans ce milieu de grande précarité avec tous les maux de notre société concentrés : nonchalance, laisser-aller, enfermement, solitude, alcoolisme, suicide », raconte le prêtre.

En observateur impliqué, il a remarqué que le quartier se refermait sur lui-même. Quelle que soit la proposition de sortie, ne serait-ce que la prise d’un apéritif au pied de l’immeuble, presque personne ne se présente.

« ça peut exploser »

« Le vivre ensemble est toujours à faire et refaire. La grande crainte, c’est que ça peut exploser à n’importe quel moment », poursuit Guy Rougerie. Pour lui, la politique de l’assistanat peut abîmer les gens, les dresser les uns contre les autres. Comment accepter sans broncher que certains partent une semaine à la plage ou à la montagne tous frais payés quand d’autres n’ont jamais pu se le per¬mettre ? Le leurre est de courte durée.

On comprend vite (ou pas) que la gratuité n’est pas un dû, qu’on ne peut pas, en claquant des doigts, obtenir une salle pour fêter le ramadan. De l’incompréhension naît la tension, exacerbée par le comportement de quelques individus. Au Champ-de-Manœuvre comme ailleurs, ils sont une poignée à faire du gymkhana, du rodéo le soir, du vandalisme un mode de vie et du commerce parallèle un mode de subsistance.

« En venant ici, tu rentres dans une zone de totale liberté, mais ce n’est pas celle que tu as envie de vivre », résume une habitante trentenaire qui ne tient pas à ap¬profondir après les événements récents qui ont vu un directeur de collège se faire agresser dans la cour et la directrice d’une structure sociale se faire séques¬trer. Pas plus tard que le week-end dernier, une bande s’en est pris à la devanture de la seule sal¬le de spectacle de la municipalité, l’espace Matisse, où était programmé un concert de hip-hop avec le groupe du « 9-3 », La Caution. Raison invoquée pour ces débordements avec vandalisme sur les voitures en stationnement : les assaillants ne voulaient pas s’acquitter des 6 euros l’entrée.

« Leur attitude est une forme d’expression. Il leur en faut plus et moins cher. Même si je ne justifie pas la violence, cette population pauvre a besoin d’exister. Mais on nous promet des lieux, des aides, et on ne voit rien venir. Quoi qu’il en soit, cela ne remet rien en cause. Le prochain concert de rap aura lieu en ce même lieu très prochaine¬ment affirme l’organisateur Vincent Billy, pour le compte de l’association angoumoisine dédiée aux cultures urbaines, Hop ’Sessions.

Marie-Noëlle Debily, chargée de la culture à la mairie, ne revient pas sur l’incident pour « éviter de leur faire de la publicité », mais ne cache pas un certain découragement. « On propose, mais cela ne suit pas. Au moins une fois par mois, un spectacle de qualité à lieu, certains sont gratuits. Les gens qui veulent sortir à Soyaux le peuvent. Mais, soit ils vont sur Angoulême, soit ils se terrent chez eux. C’est frustrant quand notre but avoué n’est pas de faire salle comble mais de faire connaître des choses aux catégories sociales de tous âges », dit elle.

« Tendre des fils »

Dans cette morosité qui s’est emparée du Champ-de-Manœuvre, l’Education nationale tente de maintenir le « lien » cher aux politiques du « renouvellement urbain » et de da cohésion sociale ». Les conditions sont remplies depuis 1981 avec le classement en zone d’éducation prioritaire (ZEP) des sept écoles (quatre maternelles et trois primaires) du quartier. Quant au collège Romain-Rolland, il bénéficie, comme 249 autres établissements de France, du label Ambition réussite.

« Le Champ de manœuvre possède un tissu associatif et social qui, bon an mal an, a la volonté d’oeuvrer en araignée, de tendre des fils pour s’accrocher. Mais c’est aussi un piège. On ne peut pas parler de ghetto mais de ghettoïsation avec l’absence de mixité sociale. Nous sommes passés d’une logique d’espace collectif à une logique d’individualisation. On nous demande de traiter le soutien à l’enfant et sa famille au cas par cas. Mais les habitants ne comprennent pas cette stigmatisation et viennent rarement vers nous. On nous impose d’obtenir du résultat immédiat (surtout avant 2007) mais, à plus long terme, je suis inquiète. Nos résultats seront-ils à hauteur de nos espérances ? Pourrons-nous nous contenter de deux ou trois enfants pour lesquels nous aurons obtenu une paire de lunettes ? » se demande l’institutrice Catherine Lavauzelle, sojaldicienne depuis vingt-cinq ans et coordinatrice de la ZEP.

Ne comptez pas sur elle pour se démoraliser. L’atelier de théâtre qu’elle a lancé avec l’association scolaire Freinésie a pris de l’ampleur en quatre ans d’existence. Les spectacles sont montés de A à Z et représentés en divers festivals. La Région Poitou-Charentes vient de lui décerner le premier prix de l’innovation culturelle (1 500 euros). « Enfin une image positive pour le quartier. Cela fait du bien », commente-t-elle.

Il y a comme ça des flammèches qui peuvent relancer un feu.

Jacky Sanudo

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