Mixité sociale ici et non mixité sociale là, en Charente

12 septembre 2006

Extrait de « La Charente Libre » du 11.09.06 : Carte scolaire : le leurre de la mixité

Le débat sur la carte scolaire agite le monde politique. En Charente, elle est très loin de permettre la mixité sociale. Avec un nombre d’élèves favorisés variant de 1 à 5.

Faut-il supprimer, oui ou non, la carte scolaire ? Ils ne sont pas du même bord mais les deux favoris aux prochaines élections présidentielles ont tranché dans le même sens. Oui, pour Nicolas Sarkozy, au nom de la liberté de choix. Oui aussi, pour Ségolène Royal, parce que le système d’affectation géographique a montré son inefficacité pour éviter la ghettoïsation des établissements scolaires. Le tollé a été immédiat chez les syndicats enseignants : « C’est un renoncement au principe républicain d’égalité », dénonce José Dupuis (SNES-FSU). « De la part de quelqu’un de gauche, on est choqué », appuie Georges Tritz, au nom des parents d’élèves de la FCPE.

Vu de loin, le problème se pose moins en Charente, compte tenu de son fort caractère rural, que dans les grandes villes, en particulier à Paris. Une famille de Ruffec n’aurait pas idée d’inscrire le petit dernier au collège de Saint-Amant-de-Boixe, sous prétexte qu’il aurait meilleure réputation.

Les collèges des extrêmes à Soyaux

Mais dans le Grand Angoulême ou à Cognac, où la distance n’est pas problématique, la tentation existe. Même si la sectorisation est très loin d’assurer la mixité sociale. A Cognac, le collège Claude-Boucher, à Crouin, accueille deux fois plus d’élèves boursiers que son voisin Elysée-Mousnier. Entre les six collèges d’Angoulême, le pourcentage de ces élèves boursiers varie de 19 à 67 % (voir les cartes sur le site de « la Charente libre »).

La différence entre les deux collèges de Soyaux est encore plus criante puisqu’ils se situent aux deux extrêmes : 67 % de boursiers à Romain-Rolland, dont le recrutement est cantonné aux tours du Champ-de-manœuvre, contre seulement 13 % - le plus faible pourcentage en dehors du privé - au collège Mendes-France, situé à moins de 2 km, mais dont le recrutement s’effectue sur les quartiers aisés de Soyaux et sur les communes résidentielles alentour. Jean-Philippe Rebaud, le principal de Mendès-France, est le premier à le déplorer : « C’est effectivement plus facile chez nous d’organiser un voyage scolaire. Mais il y a aussi un manque, les élèves fonctionnent tous sur le même schéma, en ignorant qu’il y a juste à côté des cultures, des mondes différents », regrette cet ancien principal-ajoint du collège Romain Rolland.

Une surprise, ces grands écarts ? Pas pour l’inspecteur d’Académie Philippe Carrière : « A l’origine, la carte scolaire n’a pas été mise en place avec un objectif de mixité mais pour des raisons techniques, notamment pour déterminer où il fallait ouvrir de nouvelles écoles », explique-t-il, pour éviter la confusion entretenue par le débat politique. Il n’imagine d’ailleurs pas organiser une rentrée sans carte scolaire : « Ce serait impossible à gérer. Jusqu’au dernier moment, on ne saurait pas où affecter les moyens. Il faudrait sans cesse déplacer des enseignants, au gré de la réputation de telle ou telle école », craint-il

Le cocktail gagnant de Pierre-Bodet

Dans un tel contexte, les collèges où se mélangent toutes les classes sociales sont rares. Le collège Pierre-Bodet de Ma Campagne, qui recrute à la fois dans la ZUP et à Puymoyen, fait figure d’exception : « On a 50 % d’élèves issus de familles défavorisées et 40 % de familles très aisées », détaille Jean-Louis Phlipotteau, le principal. Cela n’empêche pas la mayonnaise de prendre : « Je n’ai quasiment pas de demandes de dérogation », se félicite-t-il.

Les enfants qui évoluent dans un milieu préservé tirent l’ensemble vers le haut : « Au point que le pourcentage d’élèves issus de familles défavorisées est supérieur à notre taux global de réussite au brevet », assure le principal.

Avec sa casquette de présidente de la Région, Ségolène Royal est venue plusieurs fois au collège Pierre-Bodet. Mais visiblement, cela n’a pas suffi à la convaincre de l’intérêt de la carte scolaire, quand elle est bien découpée.

A Soyaux, les enseignants du primaire sont tentés de faire tomber les barrières géographiques et sociales : « On a entamé avec la mairie une réflexion sur le redécoupage des secteurs. Mais on a du mal à avancer. Les enjeux sont tellement importants », explique Catherine Lavauzelle, la coordinatrice de la ZEP.

Les politiques sont encore plus prudents sur la question : « On posera la question sur la mixité sociale lors du forum sur l’avenir des collèges prévu le 21 octobre », finit par concéder Jean-Pierre Denieul, le vice-président socialiste du conseil général chargé de l’éducation, et supporter de Ségolène Royal. Depuis deux ans, le département peut dessiner à sa guise la carte scolaire. Mais les partisans d’un vrai mélange des populations ne se font guère d’illusion : « Le conseiller général qui touche aux secteurs actuels est sûr d’être battu aux élections suivantes », parie un enseignant.

Armel Le Ny

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Extrait de « L’Expresso » du 12.09.06 : L’Unesco plaide pour la mixité sociale à l’Ecole

On peut avoir l’équité et l’excellence". C’est le message que délivre J. Douglas Willms, en conclusion de l’ouvrage de l’Unesco "Learning Divides".

L’auteur s’appuie sur deux tests internationaux : Pirls, qui analyse les résultats des écoliers de CM1, et Pisa qui concerne ceux des adolescents de 15 ans. Il les interroge pour répondre à 10 questions tournant autour du rapport entre performances et équité des systèmes éducatifs.

Et les réponses sont claires. Oui, le niveau éducatif diffère d’un pays à l’autre. Oui, il y a partout une relation entre catégorie sociale élevée et bonne performance scolaire. "Les écoles à succès sont celles qui aident les élèves de milieu défavorisé. Les pays qui ont les meilleures performances sont ceux qui réussissent non seulement à élever le niveau mais à le rendre plus équitable. Ce qui est vrai au niveau des pays se retrouve à celui des écoles.

Ainsi les enfants de milieu défavorisé qui sont dans des écoles où existe un brassage social ont de meilleurs résultats que ceux qui sont dans des écoles socialement ségrégatives. Et l’auteur montre du doigt les systèmes éducatifs qui sélectionnent précocement comme l’Allemagne, qui vient pourtant d’inspirer à la France l’apprentissage - junior. "Il n’est pas forcément avantageux d’avoir un recrutement socialement homogène".

Chiffres à l’appui, les conclusions de l’étude invitent donc à la mixité sociale à l’Ecole. Mais ce n’est pas tout. Elle insiste sur l’importance du facteur social dans les difficultés scolaires et invite les établissements à avoir une politique spécifique en direction de ces élèves. Une réflexion qui est aux antipodes de l’approche personnalisée de la difficulté scolaire qui se met en place actuellement en France.

La mixité scolaire suffirait-elle à effacer l’échec scolaire ? Pirls et Pisa montrent également l’importance de facteurs pédagogiques propres aux établissements. "Le facteur le plus important pour expliquer la réussite en lecture, c’est l’expérience du maître, le climat qui règne dans la classe et le soutien parental. Dans Pisa c’est le taux d’encadrement, la formation des enseignants, le moral des enseignants et le climat de l’établissement."

Plus de mixité sociale, moins de sélection, davantage de formation et de pédagogie : telle est la recette que propose l’Unesco. L’organisation serait-elle pour la carte scolaire ?

L’étude (en anglais)

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