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"La baisse du niveau" en maths et en lecture/orthographe : - entretien de Ouest-France avec Stanislas Dehaene - article de Luc Cédelle (Le Monde)

9 septembre 2021

ENTRETIEN. Stanislas Dehaene : « Les élèves français ont un énorme problème en maths »
Le neuroscientifique Stanislas Dehaene préside depuis 2018 le Conseil scientifique de l’Éducation nationale. Il milite « vigoureusement » pour que celle-ci évalue scientifiquement les innovations pédagogiques. Pour tenter, notamment, de trouver des solutions aux faibles résultats des élèves français en maths, et aux difficultés rencontrés par d’autres en lecture.

12,3 millions d’écoliers, de collégiens et de lycéens ont effectué leur rentrée scolaire le 2 septembre. Beaucoup de questions se posent après une année chahutée par les confinements à répétition engendrés par l’épidémie de Covid. De quoi donner du grain à moudre aux vingt-cinq membres du Conseil scientifique de l’Éducation nationale, qui vient de publier un état de ses travaux, L’école éclairée par la science (aux éditions Odile Jacob). Entretien avec son président, le neuroscientifique Stanislas Dehaene.

Qu’est-ce que le Conseil scientifique de l’Éducation nationale ?

Il y a quatre ans, Jean-Michel Blanquer a demandé à des scientifiques volontaires d’apporter, à titre gracieux, l’éclairage de la science sur toutes les décisions que le ministère de l’Éducation nationale peut être amené à prendre. Ce sont vingt-cinq scientifiques de toutes disciplines, particulièrement centrées sur le développement de l’enfant, mais aussi des spécialistes en informatique, en mathématiques ou en philosophie.

Votre nomination avait suscité des sarcasmes…

On m’a accusé d’enfoncer des portes ouvertes. Tant mieux si des enseignants ont déjà des pratiques excellentes ! Parce que je suis un neuroscientifique, on m’a aussi accusé de vouloir réduire l’enfant à son cerveau. Ces critiques ont totalement disparu. Les enseignants ont vu que le Conseil scientifique, ça n’était pas ça. Qu’en fait, nous proposions une science de l’éducation plus sérieuse peut être que celle qu’ils ont connue dans leur formation, plus quantitative, et qui leur donne des outils concrets.

Les enquêtes de l’OCDE (Organisation de coopération et de développement

Que nous apprennent ces études ?

Elles nous ont notamment permis de voir que nous avions un énorme problème en mathématiques. Nous sommes aujourd’hui le dernier pays d’Europe et l’avant-dernier des pays de l’OCDE. Nous venons de mener une expérience qui n’est pas encore publiée avec des élèves de sixième : ils devaient placer des nombres sur une ligne entre 0 et 5, y compris avec des décimales, 3,1 ou 1/2. Résultat : moins d’un tiers des élèves ont été capables de placer 1/2, au milieu de 0 et de 1. C’est un problème majeur : ça fait deux ans au minimum qu’ils apprennent les fractions de façon formelle dans le programme et ils n’ont pas la moindre intuition sur ce que veut dire un demi.

Comment expliquer ce retard en mathématiques ?

Nous avons notamment perdu l’idée de la mesure, c’est-à-dire la correspondance entre les nombres et l’espace. Je calcule, non pas parce qu’on me demande de faire une opération dont je ne vois pas l’intérêt, mais parce que je dois comprendre les longueurs dont je vais avoir besoin pour fabriquer une pièce en menuiserie, par exemple. Je pense que ça dépasse le cadre scolaire. En famille, par exemple, nous ne jouons plus assez à des jeux qui enseignent les nombres. Nous préconisons donc d’y revenir.

Vous êtes sévère avec certains manuels de lecture…

Je suis obligé de le dire : un nombre important de manuels de lecture choisis par les enseignants professent toujours des pratiques opposées à ce qui est connu en science de la lecture.

Extrait de ouest-france du 04.09.21

 

Le « niveau scolaire », mais de quoi parle-t-on ?
Pour les spécialistes de l’école, on ne peut mesurer que « des » niveaux, dans certaines disciplines et à certains stades. Si la France n’est pas touchée par une catastrophe cognitive qui la décrocherait des pays comparables, il existe bien des alertes sérieuses.

Histoire d’une notion. Dans les controverses sur l’école, la déploration de la « baisse du niveau » a longtemps été un signe distinctif de la pensée réactionnaire, prompte à l’attribuer à un laisser-aller éducatif hérité de 1968 et dont les effets indéfiniment prolongés auraient abouti à un effondrement. En face, il était de bon ton de moquer cette rhétorique du déclin en rappelant – ce qui est exact – qu’elle remonte au moins à l’Antiquité. La baisse du niveau ? « Une vieille idée de vieux », ironisaient les sociologues Christian Baudelot et Roger Establet, dans un ouvrage au titre provocateur Le niveau monte (Seuil, 1989). Les camps étaient bien délimités. Ils le sont nettement moins aujourd’hui.

D’une part, la problématique s’est affinée. « Le » niveau, cela ne veut pas dire grand-chose : on ne peut mesurer que « des » niveaux, dans certaines disciplines et à certains stades des parcours scolaires. D’autre part, les débats prennent mieux en compte les différences internes aux générations d’élèves : vingt ans plus tard, les mêmes auteurs, sans se déjuger, soulignaient que « les écarts se creusent », l’école ne parvenant pas à compenser les inégalités sociales et culturelles.

[...] Alors, tout va bien ? Certainement pas. Si l’on ne peut pas diagnostiquer une indistincte baisse de niveau qui engloberait tous les champs du savoir, certaines baisses spécifiques sont attestées dans des domaines cruciaux. Ainsi, en mathématiques, les résultats de l’enquête Timms (« Trends in International Mathematics and Science Study »), réalisée en mai 2019 sur un échantillon de 4 186 élèves de CM1 et 3 874 élèves de 4e, classent la France et la Roumanie, au dernier rang des pays de l’Union européenne et à l’avant-dernier rang des pays de l’OCDE, devant le Chili. Pour les CM1, c’est stable depuis la précédente enquête en 2015. En revanche, pour les 4es, qui n’avaient pas été évalués depuis 1995, la chute est spectaculaire, leur score étant désormais celui des 5e d’hier.

Ce type de résultats n’est une surprise pour personne. Selon une étude publiée en novembre 2016 par la direction de l’évaluation, de la prospective et de la performance (DEPP), service statistique de l’éducation nationale, le niveau d’orthographe des élèves français ne cesse de chuter depuis plus d’une trentaine d’années.

Extrait de lemondefr du 08.09.21

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