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Claire Lommé, formatrice académique, fait le compte rendu d’un colloque international sur l’enseignement des mathématiques (Le Café)

26 juillet 2021

Claire Lommé : Que dit aux enseignants la recherche en maths ?
Comment fait-on évoluer l’enseignement des maths ? Quelle place les enseignants peuvent-ils y tenir face aux chercheurs ? Du 11 au 19 juillet, Claire Lommé a participé au 14e colloque international sur l’enseignement des mathématiques (ICME 14). Alors que peut gagner un enseignant du second degré à participer à un tel événement ? Dans cet article elle partage ses découvertes (nombreuses) mais aussi sa réflexion sur le lien entre recherche et enseignement.

Du 11 au 19 juillet s’est tenu l’ICME14, 14e colloque international sur l’enseignement des mathématiques. Il a eu lieu à Shanghai, un an plus tard que prévu en raison de la pandémie. Et la pandémie, toujours elle, a fait qu’il était possible d’intervenir et de suivre en distanciel. La CFEM (commission française pour l’enseignement des mathématiques) s’est démenée pour inviter des enseignants français à ce colloque tourné vers la recherche. J’ai eu la chance d’en faire partie, et de suivre une semaine de présentations et d’échanges. Maintenant que l’ICME14 est close, qu’en ai-je retenu ?

Confortés dans nos savoirs, reconnus dans nos compétences

Les enseignants se forment en continu, de façon institutionnelle ou par eux-mêmes. Mes lectures m’ont ainsi amenée à travailler sur la déconstruction de figures : un élève qui regarde un dessin le conçoit souvent comme un ensemble de surfaces. Pourtant, la plupart des concepts géométriques visés aux cycles 3 et 4 s’expriment par des relations entre des lignes ou des points (avec des relations d’incidence, d’alignement, le milieu d’un segment, etc.). Il faut donc être en mesure de faire apparaître des sous-figures et des sur-figures.

Alik Palatnik, de l’université de Jérusalem, nous a justement parlé de la difficulté pour les enfants à imaginer des lignes auxiliaires. C’est très important pour réussir certaines tâches : parfois, avec un tracé de plus, les élèves surmontent des obstacles seuls. Voilà donc un savoir d’enseignant, envisagé sous une perspective tout à fait convergente par le chercheur. Mais cela mène à des compétences professionnelles : comment donner aux élèves la capacité à s’autoriser de tracer ou d’imaginer ces éléments invisibles au départ ? Comment inventer, choisir, proposer des coups de pouce efficaces, qui permettent d’apprendre et non de priver l’élève de sa réflexion ? On peut complètement transformer la nature d’une tâche en suggérant de faire apparaître tel ou tel élément auxiliaire sur un dessin, ou en décrivant la figure.

Le chercheur observe et tente de modéliser, là où l’enseignant agit (en réfléchissant bien sûr, mais en temps réel) et seulement ensuite analyse. L’ICME m’a permis de questionner mes pratiques, d’en conforter, mais aussi de les envisager différemment, comme objet d’étude en elles-mêmes.

Des ressources

J’adore la géométrie sphérique. C’est une sorte de passion. J’ai découvert le Hongrois István Lénárt, qui a créé la sphère de Lénárt, un modèle d’enseignement et de recherche pédagogique pour la géométrie sphérique. Et je ne connaissais pas !!!

De façon plus générale, j’ai suivi la présentation « Comprendre le pouvoir de l’enseignement et son rôle dans la (in)justice » de Deborah Loewenberg Ball (Université du Michigan, États-Unis). Le sujet était : comment les chercheurs et les enseignants pourraient, en interagissant, mieux contribuer à une articulation nuancée et explicite de la théorie et de la pratique. La présentation était assez centrée sur les États-Unis, mais transposable et vraiment très intéressante, franche, claire. Un très beau propos, par une personne manifestement extraordinaire et charismatique : Deborah Loewenberg Ball est une star, dans son genre. Elle a expliqué que les élèves interagissent entre eux, avec leur environnement, les enseignants, mais aussi avec une matière scolaire, avec un contenu disciplinaire, un langage, qui modifie aussi les interactions sociales. La dynamique complexe de l’acte d’enseigner ne peut pas reposer sur l’autorité seule. Chaque acte de l’enseignant, chaque geste pédagogique, chaque choix didactique compte et change quelque chose à la façon dont chaque élève vit parmi les autres et l’environnement, et aux interactions. Ce que j’ai particulièrement aimé dans cette intervention, c’est le lien explicite entre le disciplinaire et le développement de l’individu, c’est que le pédagogique ne soit pas que pédagogique, mais aussi lié à la discipline, sans forcément être de la didactique « pure ».

L’école, partout, semblable et diverse

Un colloque international est évidemment une occasion privilégiée de découvrir les systèmes scolaires ailleurs dans le Monde. Pendant cette semaine, j’ai écouté Jogymol Alex s’interroger sur les connaissances que doit posséder un enseignant en Afrique du Sud, Pamela Vale présenter une expérimentation internationale pour enseigner la fraction comme une mesure, Robyn Jorgensen, de l’université de Canberra en Australie, livrer ses réflexions sur le système australien : quelle place pour les mathématiques dans les apprentissages, quid du langage, de l’explicite, de la différenciation ? Si les problématiques sont différentes d’un pays à l’autre, voire d’une région à l’autre, les interrogations et les moyens convergent souvent avec les nôtres.

Partout on s’interroge particulièrement sur la compétence « modéliser », par exemple : Toshikazu Ikeda (Collège d’éducation, Université nationale de Yokohama, Japon) souligne l’importance d’une relation bien comprise entre les mathématiques et le monde réel. L’activité mathématique amène à identifier des variables, à simplifier la situation, à valider un modèle. Mais le point de vue « du monde réel » est indispensable pour donner du sens et avoir un recul éclairé sur la solution trouvée. Les considérations réalistes et des savoirs extra-mathématiques sont nécessaires. L’interdisciplinarité, le changement de contextes amènent les élèves à engager davantage de compétences, et donnent bien sûr du sens autrement. Il ne s’agit pas d’abandonner les savoirs mathématiques « abstraits », mais d’utiliser la modélisation pour approfondir ces savoirs et leur donner du relief. L’interdisciplinarité et le travail en équipes sont des clefs…

La question du sens des mathématiques est également prégnante : pourquoi faire des maths ? Comment faire comprendre leur intérêt aux élèves ? Marc Moyon, maître de Conférences, Université de Limoges, et Mary Flagg, de l’Université of St. Thomas (Houston, Texas, USA), ont donné des pistes qui passent par l’étude de sources historiques mathématiques, lors d’une journée supplémentaire, mais dans le cadre de l’ICME, sur l’histoire et la pédagogie des mathématiques. Par des exemples concrets et alléchants, ils ont montré qu’on peut améliorer les apprentissages, développer l’activité mathématique, en parlant aussi de notre histoire commune.

Le langage

Dans la continuité de l’enseignement des mathématiques dans le Monde, il y a la question du langage et des langages. C’est une question fréquemment étudiée, même si l’oral prend encore peu de place. Mercy Kazima s’est penchée sur le travail mathématique de l’enseignement dans les classes multilingues, avec le contexte de son pays, le Malawi, pour exemple. Les problématiques linguistiques rendent le travail de l’enseignant malawien particulier, et constituent des obstacles pour les élèves : pour les plus jeunes, les manuels sont écrits en Chichewa. Mais pour les plus âgés, les manuels sont en anglais. Or faire correspondre les mots des langues entre lesquelles ils naviguent est difficile, voire impossible : multiplier se traduit en Chichewa « faire plus », « = » se traduit « deviendra », aucun mot n’existe en Chichewa pour dire « proportionnel ». Mercy Kazima aimerait transformer cet obstacle en ressource, en outillant et en accompagnant les enseignants, pour qu’ils outillent eux-mêmes davantage leurs élèves.

Enseignement des mathématiques et questions de société

L’enseignement des mathématiques a aussi des connexions avec les questions de société qui se posent partout dans le monde : Danny Martin (University of Illinois at Chicago, USA) a posé cette intéressante question : « Is the future of mathematic education black ? » Selon lui, il n’y a pas d’avenir pour l’enseignement des mathématiques aux États-Unis si un enseignement des mathématiques réinventé (et non réformé, ce qui est très différent et fait écho avec la situation de notre pays) ne valorise pas la vie et l’humanité des Noirs, ne contribue pas à leur libération et à leur épanouissement collectifs, et ne s’oppose pas à la suprématie blanche. Sinon, dit-il, l’avenir de l’enseignement des mathématiques continuera à refléter le présent et le passé. Danny Martin a eu ainsi un propos mathématico-politique, évoquant la suprématie blanche, le capitalisme racial, le nationalisme, la xénophobie, le militarisme, le néolibéralisme. Hé non, les maths, ce n’est pas que le théorème de Pythagore… Une autre intervention, de Ravi Subramanian (Mumbai, India), nous a appelés à prendre conscience des liens entre éducation et mouvements politiques et sociaux. Ces mouvements modifiant la population et les individus, il faut les prendre en compte dans la conception des enseignements, dont les enseignements de mathématiques.

Un autre regard sur les chercheurs

Pour ma part, je m’étais inscrite par curiosité, par envie d’apprendre, parce que la CFEM et le distanciel me donnaient une occasion peut-être unique de participer ; je n’avais pas vraiment réfléchi à mes attentes, si ce n’est de progresser en anglais. C’est le cas, d’autant que j’ai aussi pu intervenir dans un groupe de discussion, dans lequel personne, avec tact, n’a souri de mon accent so french…

Je suis assez impressionnée par la diversité de sujets de réflexion autour des maths, à travers du monde. C’est étourdissant de penser au nombre de personnes qui cherchent, partout, sur tant de thèmes différents. Cette diversité m’a beaucoup plu. Je savais que la communauté de recherche sur l’enseignement des mathématiques est vaste, mais là je l’ai observée, écoutée, côtoyée. Elle existe donc différemment pour moi maintenant. Elle me semble beaucoup plus accessible.

Un autre point qui m’a frappée, c’est la convergence de thèmes étudiés entre chercheurs et enseignants. Nous ne nous penchons pas dessus de la même façon, évidemment, mais jamais je ne me suis sentie étrangère aux interrogations et je connaissais les concepts et les références. C’est rassurant, évidemment.

Enseignants et chercheurs : parallèles ou sécantes ?

D’un autre côté je me suis interrogée sur ces questionnements parallèles le plus souvent : j’ai eu beau entendre sans cesse que les chercheurs avaient besoin des enseignants et vice-versa, force est de constater que de façon générale, cette collaboration n’existe pas. Naturellement, on trouvera des cas individuels (dont j’ai la chance de faire partie) de collaborations ou de collectifs qui rendent des collaborations possibles. Mais comme nous n’avons, dans le premier et le second degré, aucun moyen (il nous faudrait du temps !) mis à disposition, tout repose sur notre bénévolat, de notre côté. Or notre métier est très prenant et exigeant, et il n’est pas forcément possible de mettre en place des dispositifs en lien avec des chercheurs. Cela amène à la persistance de deux communautés qui convergent vers les mêmes objectifs (mieux faire réussir les élèves), avec des moyens, des méthodologies et des contraintes différentes, un langage assez différent aussi, une temporalité qui n’a rien à voir. Mais comme ce sont les enseignants du premier et du second degré qui sont devant les élèves, cela amène certains d’entre eux à avoir l’impression que les chercheurs parlent du métier de prof sans l’exercer. Je n’ai pas eu ce sentiment pendant la semaine, mais des collègues m’en ont fait part de leur côté.

Et après ?

A un moment où je m’interroge sur la suite de ma vie professionnelle, ce colloque m’a apporté autant de réponses que de nouvelles questions, terreaux pour de nouvelles évolutions. Mais finalement, comment fait-on évoluer l’éducation, l’enseignement, l’enseignement des mathématiques ? Peut-être bien comme à l’ICME, en permettant aux acteurs d’horizons différents, mais mus par les mêmes motivations, de se rencontrer, d’échanger, de s’écouter, de tisser des liens, en rendant les différents univers éducatifs et mathématiques perméables, en donnant la possibilité de débattre sans juger, d’aller au bout d’un propos sans être interrompu, d’être en désaccord sans être en conflit.

Claire Lommé

ICME 14

Extrait de cafepedagogique.net du 23.07.21

 

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