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Débats sur l’école : « Pour sortir des lieux communs, il ne faut pas s’en tenir aux seuls programmes scolaires »
EXTRAIT
Les questions du pilotage de l’école, de ses finalités et du choix des savoirs enseignés sont trop souvent absents des débats sur l’école, estime, dans une tribune au « Monde », l’ancien inspecteur d’académie Jean-Pierre Véran.
Tribune. A l’approche du débat politique national que suscite chaque campagne présidentielle, on peut souhaiter que celui de 2022 ne rejoue pas la partition de 2017, avec ces slogans adossés à un populisme éducatif jugé porteur : « revenir aux fondamentaux », « renforcer l’autorité » ou encore « sortir du pédagogisme ». Veut-on un exemple de la difficulté à sortir des sentiers tellement rebattus ? En 2017, c’était le candidat de La France insoumise, Jean-Luc Mélenchon, dont on pouvait s’attendre à ce qu’il rue dans les brancards de l’ordre disciplinaire d’une école de la sélection, qui s’engageait à « replacer les disciplines au cœur des apprentissages ».
C’est ainsi, en reprenant à échéances régulières les mêmes querelles historiques, qu’on évite la plupart du temps de poser les questions qui pourraient vraiment permettre aux sujets d’éducation de sortir du silence consensuel dans lequel ils sont soigneusement tenus : celles du pilotage certes, mais aussi des savoirs à enseigner et des finalités de l’école…
(...)
Poser enfin les questions qui comptent
A l’heure où les savoirs sont si ébranlés par les réseaux sociaux et leurs « vérités alternatives », ne devrait-on pas poser aujourd’hui une question capitale : « Quels savoirs enseigner ? »
N’est-il pas étonnant qu’elle ne soit jamais abordée dans le débat public, sinon pour jeter aux orties le socle commun de connaissances de compétences et de culture, qui en 2006 puis en 2013, a tenté d’y apporter un début de réponse méthodique ? Est-il suffisant qu’elle ne soit posée qu’au travers des programmes de disciplines scolaires déjà instituées ? On peut s’étonner que l’absence du droit, de la psychologie ou de la médecine, par exemple, semble aussi « naturelle » au lycée que la présence dès le collège des langues et cultures de l’Antiquité. Suffit-il d’évoquer, comme s’y limite à peu près le débat dès qu’on parle de programmes, l’impact considérable de tout changement d’horaire d’enseignement obligatoire en termes d’effectifs d’enseignants à former, recruter, reconvertir, pour renoncer à la réflexion ?
Doit-on accepter l’hypocrisie qui consiste à rassurer la société ou les familles en prétendant que l’école prend en charge de grands thèmes d’éducation (à l’environnement, à la santé, à la citoyenneté…), alors que justement les horaires des programmes déjà lourds ne leur permettent pas d’être enseignées avec autant d’application que les mathématiques ? On n’a pas manqué, par exemple, après les attentats de 2015 et après l’abominable assassinat d’un professeur en 2020, d’en appeler à l’éducation aux médias et à l’information, qui figure au programme du cycle 4. Mais combien de collégiens bénéficient effectivement d’une telle éducation de la 5e à la 3e ? La question ne sera pas posée !
Derrière celle des savoirs que l’on souhaite enseigner se cache en fait la question de la finalité de notre école. Quand on feint d’y répondre, c’est par un tour de passe-passe sémantique inventé en 2005 et confirmé en 2013 dans l’article L111.1 du code de l’éducation : « Outre la transmission des connaissances, la nation fixe comme mission première à l’école de faire partager aux élèves les valeurs de la République. » Si la « mission première » est de faire partager aux élèves les valeurs de la République, la transmission des connaissances est donc « avant-première »…
(...) A l’heure de tant de doutes sur les savoirs, notre siècle a, plus que jamais, besoin d’école, d’une école qui apprenne à penser et à progresser vers plus de vérité, mais il ne peut s’agir que d’une nouvelle école, libérée du carcan de la forme scolaire héritée du passé. C’est sur le dessin de cette nouvelle école qu’il conviendrait de débattre dès maintenant, pour échapper, en 2022, au ressassement des mêmes clichés et des mêmes impasses.
Jean-Pierre Véran est membre professionnel du laboratoire Bonheurs (Cergy-Paris Université), et coauteur, avec Jean-Louis Durpaire, de Le Bonheur, une révolution pour l’école (Berger-Levrault, 213p., 19 euros)
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