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Colloque national OZP du 5 décembre 2020 : introduction par Marc Douaire

7 décembre 2020

Introduction au colloque national du 5 décembre 2020

La 21ème journée nationale de l’OZP devait initialement se tenir le 16 mai 2020. Reportée au 10 octobre pour cause de confinement généralisé elle n’a pu, à nouveau se tenir. Convaincus de la nécessité de maintenir des lieux de débats et de réflexion collective, encore plus nécessaires dans cette période, nous avons donc décidé de tenir cette journée sous la forme d’un colloque en visio et remercions vivement toutes celles et ceux qui ont choisi d’y participer.

« Analyser la refondation de l’éducation prioritaire pour mieux répondre aux défis à venir » : tel est l’intitulé choisi pour ce colloque. Pour quelles raisons ?

Petit rappel historique :
L’OZP a été reçue le 20 avril 2018 par le cabinet du ministre JM.Blanquer et a rappelé l’engagement ministériel pris en 2014 de procéder en 2019 à une évaluation des projets de l’ensemble des réseaux ainsi que de la carte de l’éducation prioritaire. Nous n’avons pas été démenti mais cette rencontre fut sans lendemain malgré nos demandes et les décisions ministérielles prises depuis tournent le dos à cet engagement pris en 2014, dans un contexte où se sont succédés pendant plusieurs mois différents rapports qui, sans aucune évaluation de l’existant ni prise en compte de l’expérience des professionnels engagés, ont préconisé des mesures de remise en cause radicales de la politique et de la carte de l’éducation prioritaire ( rapports du Cnesco sur les collèges parisiens, de France Stratégie, du Sénat et plus près de nous le rapport Azéma/Mathiot).
Pourquoi vouloir une évaluation publique de l’éducation prioritaire refondée en y associant ses principaux acteurs ? Le choix est simple : soit se contenter de suivre les échos de la pensée médiatique dominante qui ne cesse d’accabler l’éducation prioritaire tout en méconnaissant à la fois son histoire et les réalités de sa refondation soit se situer sur le terrain de l’enquête et procéder à une évaluation de cette politique. C’est le choix décidé par l’OZP et annoncé en conclusion de la journée nationale de mai 2018 sous la formule : « l’OZP a décidé de prendre ses responsabilités ».

Cette restitution de l’enquête intervient dans une période marquée depuis le mois de mars dernier par des chocs majeurs : la pandémie puis les attentats terroristes d’octobre. Il nous revient d’inscrire dans ce contexte général notre travail collectif concernant l’éducation prioritaire et donc, au-delà l’école et la société.

L’actualité de ces derniers mois a replacé au premier plan les questions des inégalités sociales, des fractures territoriales et de l’efficience des politiques publiques censées y répondre. La situation de confinement et la fermeture des établissements scolaires ont constitué une situation inédite. Dans la précipitation, le ministère de l’Education nationale a déclaré mettre en place la continuité pédagogique numérique. Pour l’ensemble des élèves, la remise en cause de la forme scolaire traditionnelle a été très déstabilisante : remise en cause du lieu- l’école-, du cadrage horaire -l’emploi du temps-, de cet espace/temps regroupant autour de fonctions et de rôles très codifiés des professionnels adultes et des enfants et adolescents apprenants, enfin pour l’ensemble des élèves l’effacement du quotidien vécu avec leurs pairs a constitué une rupture difficile à vivre.
Cette situation nouvelle a mis en évidence le degré d’impréparation de la politique ministérielle pour y répondre mais surtout celle-ci a voulu mettre en place un modèle de continuité pédagogique qui requiert nécessairement plusieurs conditions : un lieu dédié de travail au domicile familial/ un équipement informatique performant/ un tutorat pédagogique quotidien proposant à la fois un cadrage du temps et des activités mais aussi constituant un recours permanent pour les questions pédagogiques et techniques.
L’ensemble de ces conditions requises pour la bonne mise en œuvre de la continuité pédagogique ne s’est pas retrouvé pour beaucoup d’élèves issus des milieux populaires et en particulier pour ceux de l’éducation prioritaire : difficultés d’ordres différents (matériel, familial, psychologiques) mais qui cumulées ont développé un sentiment de traitement inégal voire d’exclusion. Il est évident que ce modèle de continuité pédagogique numérique correspond à un modèle d’élève précis : celui des couches sociales supérieures bénéficiant du cadre de travail et de toutes les aides familiales.

Pourtant, au fil des semaines, le défi de l’égalité que chacun est en droit d’attendre du service public d’éducation, a été relevé par de nombreuses équipes enseignantes dans le premier et le second degrés. Dès le mois d’avril dernier, l’OZP déclarait que l’ensemble des situations vécues du côté des personnels de l’éducation, du côté des parents et aussi des élèves, l’expertise des initiatives déployées et le bilan général du dispositif officiel de continuité pédagogique numérique devra faire l’objet d’un vrai débat national et local. Cette exigence est toujours d’actualité : il est de la responsabilité du ministre de l’éducation nationale d’organiser à tous les niveaux la préparation d’états généraux de reconstruction permettant de tirer les leçons de cette période sans l’escamoter pour construire un système éducatif démocratique.

L’actualité récente a replacé au premier plan la question des valeurs fondant notre démocratie et par là même les missions de l’école et de ses personnels. L’assassinat inédit, impensable en France d’un enseignant à la suite d’un de ses cours restera un moment de bascule où « faire la classe », acte de transmission et d’émancipation peut vous conduire au lynchage et à la mort. Ici, au nom de l’OZP, je salue la mémoire du professeur Samuel Paty, assassiné pour avoir exercé ses missions. C’est une situation très difficile pour les enseignants : sentiments de colère, de chagrin, de peur et devoir de faire face aux inquiétudes et aux tensions que suscitent chez les élèves à la fois une interminable pandémie et la répétition des massacres islamistes. Il leur faut faire face au quotidien à toutes les idéologies qui luttent contre le pouvoir de la fonction critique, contre les forces d’émancipation individuelle et collective.
Depuis longtemps, la société française demande à ses enseignants de réparer ses insuffisances, ses injustices en les envoyant en première ligne dans des territoires de non-droit, dans des ghettos urbains marqués par la misère, les exclusions et l’extrémisme islamiste. Sont-ils préparés à cela ? sont-ils suffisamment formés pour appréhender individuellement et collectivement ces réalités ? sont-ils accompagnés, soutenus, protégés par l’institution dans ce travail sans fin que constitue aujourd’hui comme hier la transmission des savoirs et l’émancipation fondée sur l’universalisme des valeurs qui fondent une société démocratique.

Questionner, analyser, débattre, confronter des expériences et des idées, faire surgir par ce mouvement collectif de critique et d’élaboration de nouvelles pistes visant l’émancipation de toutes et de tous n’a jamais été autant d’actualité et doit constituer notre ambition de faire société ensemble à partir de nos valeurs de justice sociale, de laïcité et d’égalité des droits.

Escamotage de l’éducation prioritaire
Les annonces faites le 22/11/2020 par la secrétaire d’Etat Nathalie Elimas ne constituent pas une surprise. Malgré la mise en scène d’une pseudo concertation, elles ne font que traduire la volonté de JM.Blanquer d’effacer la politique d’éducation prioritaire engagée il y a quarante ans.

Une argumentation ministérielle bien peu scientifique
Pour Nathalie Elimas, il faut changer de modèle et sortir d’une carte de l’éducation prioritaire jugée trop rigide. La carte Rep+/Rep cristalliserait donc les difficultés de mise en œuvre de cette politique. Pas un mot sur les projets engagés par l’ensemble des réseaux depuis la refondation de l’éducation prioritaire en 2014 ? Pas un mot sur les attributions de moyens et leur concentration sur les dédoublements ? Pas un mot sur les dispositifs de formation des personnels ? Pas un mot sur les expériences de pilotage engagées dans les académies ?...
Rien ne vient fonder les raisons de ce « remodelage », la situation des « écoles orphelines » comme le traitement des effets de seuil trouvant souvent des solutions dans le cadre des politiques décidées par les recteurs.
En réalité, ces annonces ne font que vouloir mettre en œuvre des préconisations du plan Azéma/Mathiot qui se distinguait par sa méconnaissance de l’histoire et des réalités de l’éducation prioritaire. Faute de vouloir mener un travail d’enquête approfondi, public, ouvert aux acteurs de terrain, le ministère s’en tient à quelques lieux communs de la pensée médiatique dominante.

Un changement de philosophie
Vouloir sortir d’une carte de l’éducation prioritaire constitue une rupture profonde. Dès son origine en 1981, cette politique de lutte contre les inégalités ciblait non pas des établissements scolaires mais des territoires marqués par de très fortes inégalités. En 1981 comme en 1990, cette politique fut articulée avec la politique de développement social des quartiers puis avec la politique de la Ville. Elle fut relancée en 2006/2007 à la suite des émeutes de banlieues de novembre 2005. La carte de l’éducation prioritaire actuelle fut élaborée en 2013 à partir d’un travail conjoint entre l’éducation nationale et le ministère de la Ville.
Passer d’une logique de politique territorialisée à une politique d’établissement constitue une rupture profonde dans la philosophie éducative gouvernementale. La lutte contre les inégalités ne relèverait plus d’un projet mobilisant le réseau et ses partenaires (services déconcentrés de l’Etat, collectivités territoriales, associations…) mais d’un contrat passé entre le rectorat et un établissement. La notion de réseau, qui traduit la volonté politique de renforcer la continuité et la cohérence pédagogique et éducative tout au long de la scolarité obligatoire, est abandonnée ipso facto, sans évaluation, sans bilan au profit du vieux modèle libéral de l’établissement autonome, sur le modèle de l’enseignement privé, ouvrant ainsi le chemin au vieux fantasme de la mise en concurrence des établissements entre eux.
Ce changement de philosophie repose aussi sur une volonté d’effacement des mesures de priorisation en faveur des ghettos urbains au profit des territoires ruraux et de l’enseignement privé.

Le mépris comme méthode de gouvernement
L’histoire de l’éducation prioritaire commencerait donc en 2017 avec la nomination de JMBlanquer au ministère de l’Education nationale. Les années 1981/2017 n’existent pas. La refondation de l’éducation prioritaire engagée en 2014 n’existe pas. Les projets de tous les réseaux Rep+ et Rep engagés alors pour cinq ans ne seront pas évalués malgré les engagements ministériels précédents, ils n’existent pas ce qui signifie notamment que le travail comme l’engagement des équipes de terrain ne sont pas reconnus, ce qui signifie aussi que les avancées dans la lutte contre l’échec scolaire produites par ces réseaux ne seront pas reconnues et réutilisables au bénéfice d’une plus grande démocratisation de l’école.
Il n’est donc pas étonnant que la pseudo concertation menée par Nathalie Elimas débouche aussi rapidement sur les propositions d’escamotage de l’éducation prioritaire chères au ministre idéologue.

Cette journée se propose donc d’articuler les défis scolaires posés quotidiennement par cette situation nouvelle et les enseignements que nous pouvons tirer de l’expérience de la refondation à partir de l’expérience des acteurs de terrain.
Pour engager cette évaluation de l’éducation prioritaire refondée, l’Ozp a constitué un conseil scientifique réunissant des personnalités reconnues pour leurs compétences professionnelles et leur engagement de longue date en faveur de l’éducation prioritaire : Anne Armand, Marc Bablet, Viviane Bouysse, Martine Husson, Françoise Lorcerie , Patrick Picard, Jean-Yves Rochex, Jean-Michel Zakhartchouk et d’autres personnalités dont nous préservons l’anonymat pour raisons professionnelles.
A partir des travaux conduits lors du séminaire du 9 février 2018, le conseil scientifique a construit un document d’auto-évaluation proposé sous le mode d’une enquête collaborative dont une première présentation des résultats s’est effectuée lors de la journée nationale du 18 mai 2019, le travail collectif d’élaboration avec les acteurs de l’éducation prioritaire s’étant poursuivi lors du séminaire du 30 novembre 2019.

Mai 2020 : le rapport d’enquête était réalisé et pouvait être présenté et discuté lors de la journée nationale qui devait se tenir le 16 mai.
L’engagement pris publiquement par l’OZP était tenu. Au nom de l’association, je tiens à remercier très chaleureusement tous les membres du conseil scientifique pour la qualité de ce rapport, leur engagement et la grande tenue des séances de travail.

 

L’enquête porte sur des questions majeures pour la réussite de la refondation de l’éducation prioritaire : l’usage du référentiel de 2014 et le renforcement d’un enseignement exigeant et bienveillant, le climat scolaire, la formation des personnels, le travail collectif dans le réseau, le pilotage à tous les niveaux, la gestion des ressources humaines et des moyens engagés.
L’enquête ne s’apparente pas à une enquête officielle, elle repose sur le volontariat et non sur l’injonction. Elle consiste donc à une auto-évaluation de la mise en œuvre par les équipes de réseau des préconisations de la refondation. Par là même, elle n’est ni une recherche, ni un rapport de l’inspection générale mais constitue une ressource pour mettre en évidence ce qui est aujourd’hui à l’œuvre dans l’éducation prioritaire en identifiant les acquis, les difficultés et les obstacles mais aussi les leviers de transformation.
Le travail de synthèse repose sur 268 réponses provenant de nombreuses académies et traduisant une diversité certaine d’exercices professionnels : direction d’école : 92 /enseignant écoles : 63 / coordonnateur : 41 / personnel de direction : 26/ enseignant collège : 21 / IEN :

Enfin, quelques mots concernant un repère historique particulier. L’OZP a aujourd’hui 30 ans. Depuis 1990, elle poursuit en toute indépendance ses objectifs d’origine. Je tiens à saluer la présence à cette journée de l’un des co-fondateurs de l’association : Alain Bourgarel.

Marc Douaire,
Président de l’OZP

 

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