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Des lycées en « éducation prioritaire » au Chili

21 mai 2006

Extrait du site « Education & Politiques », le 20.05.06 : La discrimination positive aux lycées, l’expérience chilienne depuis un analyse psychosociale

Communication de Jorge Inzunza-Higueras pour l’atelier 5 "Diversification, gestion sociale des inégalités et lutte contre l’exclusion"

Jorge INZUNZA-HIGUERAS

Psychologue Université du Chili ; membre de l’Equipe de Psychologie et Education de l’Université du Chili (EPE)

Résumé

Cet article décrit une politique de discrimination positive au niveau lycéen dans le système éducatif chilien. Un équipe de psychologues de l’Université du Chili participe en collaboration avec le Ministère de l’Éducation chilien à la mise en place d’une dimension psychosocial de ce programme. Cet équipe repère trois phases interdépendantes dans sa démarche : une reproduction des critères de sélection de part du lycée, une symptomatologie psychosocial spécifique liée aux lycées en difficulté (le stress, la fatigue professionnel, le burn out), et un analyse stratégique développés par les différents acteurs éducatifs. L’équipe de travail de l’université s’engage dans un processus de registre permanent, ce que favorise l’obtention d’une connaissance du terrain.

Les Programmes de Discrimination Positive au Chili
Depuis les années 1980-1990 différents pays de l’Amérique du Sud ont lancés des processus de transformations ou réformes éducatives (Notamment en Argentine, Brésil, Chili, Paraguay et Uruguay). Ces pays ont vécu des transitions démocratiques délicates après des dictatures militaires douloureuses pour chaque peuple national. Le retour de la démocratie a imposé une nécessité évidente : reconstruire le lien social, où l’éducation avait un rôle central. Chaque nation a développé des actions dans les domaines législatif, organisationnel, administratif, programmes scolaires, et pédagogique, en prenant compte du nouveau contexte économique mondialisé.

Les réformes s’installent sous l’impératif de la nécessité suite aux débats politiques plus ou moins complexes selon le pays. Au Chili le consensus politique a donné lieu à une série d’initiatives qui ont fini par être réunies en 1996 sous le nom de Réforme Éducative. Une de ces actions a été le Programme des 900 écoles (1990), destiné aux établissements primaires les plus défavorisés du système éducatif ayant de mauvaises performances aux tests national d’évaluation. Les principaux appuis offerts ont été au niveau technique, pédagogique et matériel -amélioration de l’infrastructure et de l’équipement scolaire. Le but étant d’améliorer les résultats en lecture et en mathématiques, de développer des processus d’apprentissages de qualité, de pouvoir s’appuyer directement sur les inspecteurs du ministère de l’éducation, de responsabiliser les professeurs face aux résultats académiques de leurs élèves, de promouvoir le travail de groupe des professeurs et de motiver le partenariat entre école et communauté local. L’évaluation de ce programme a montré l’existence de deux phases : une avancée importante entre 1990 et 1995, et un arrêt ou un ralentissement des résultats entre 1996 et 2002. La principale explication avancée pour expliquer ce phénomène est l’entrée massive des enfants du milieu défavorisés dans le système éducatif, qui par un phénomène mécanique fait baisser la performance des établissements. Le compromis du consensus national est arriver à étendre la couverture éducative surtout au niveau de l’école maternelle et du lycée, avec une meilleure offre éducative, c’est-à-dire essayer d’installer une éducation de qualité partout.

C’est en 2000 qu’on voit naître au Chili le Programme Lycées pour Tous. Les problèmes envisagés dans le diagnostique fait par le Ministère de Éducation du Chili ont été à l’époque que dans les groupes les plus défavorisés du système éducatif par rapport à la moyenne nationale des lycées : une couverture éducative plus faible, des chiffres plus élevés d’absentéisme et d’abandon dans ces groupes (très marqué au niveau de la quatrième, l’année où les élèves commencent le lycée au Chili). En prenant deux critères fondamentaux : le niveau socio-économique et le niveau académique (donné par les résultats au SIMCE, Système Nationale de Mesure de la Qualité de l’Education (l’épreuve s’applique chaque deux ans à trois niveaux de classes différentes), le programme a choisi 306 lycées en 2000 montant jusqu’à 428 lycées localisés sur tout le territoire national. Lycées pour Tous considère cinq lignes d’action : développement pédagogique, amélioration d’internat, développement psychosocial, appui économique aux élèves (bourses), mise en place de dispositifs qui assurent la qualité de l’éducation dans le contextes défavorisés.

Quelques universités (spécifiquement les filières de psychologie et de travail social) ont été invitées par le Ministère de Éducation chilien à participer à l’élaboration et application d’actions adaptées à chaque lycée sur le domaine psychosocial.

La dimension psychosociale des lycées en difficulté
En 2000 le Ministère de Éducation du Chili choisi une stratégie nouvelle dans le système éducatif chilien, en faisant appel aux universitaires pour l’aider au développement d’une stratégie spécifique dans le domaine psychosocial pour faire face à la réalité des lycées défavorisés,. C’est dans ce contexte-là que l’Équipe de Psychologie et Éducation de l’Université du Chili (EPE) travaille depuis le début du programme. Dans une logique de recherche action, l’EPE a construit en cinq ans une connaissance de terrain riche, en permettant une mise à disposition pour les acteurs du système éducatif d’un regard sur les établissements en difficulté. Donc on situe la praxis sociale au centre d’analyse, pour capturer les significations des actions, leurs effets, en permettant d’arriver à une lecture organisée de l’expérience (Guiso, Alfredo, De la práctica singular al diálogo con lo plural. Aproximaciones a otros tránsitos y sentidos de la sistematización en épocas de globalización , Medellín, Colombia, Funlam, 1998).

On peut distinguer trois phases qui rendent compte de l’évolution de l’intervention :

1) La reproduction des critères de sélection ;

2) La symptomatologie ;

3) L’analyse stratégique et l’echocentrisme.

Le comportement de ces phases se superpose, donc la figure graphique pour la visualiser est la spirale.

  La reproduction des critères de sélection : l’échec scolaire mesuré sur les taux de d’abandon et de redoublement, et sur les résultats académiques, est internalisé par les acteurs éducatifs. La vulnérabilité évaluée comme l’élément à l’origine de cet échec, s’impose en permanence sur la réalité. L’effet Pygmalion renvois toujours la même image de crise, de stigmate bien fondé, sur lequel les acteurs éducatifs ne peuvent pas agir. Même l’équipe externe de travail se trouve enfermée dans cette sorte de clôture institutionnelle, où il vaut mieux continuer à reproduire les conditions de réalité du lycée, sans rompre l’équilibre précaire de cette élaboration.

  La symptomatologie : la reproduction des conditions de faiblesse répercutent sur les mêmes acteurs éducatifs. L’institution en crise génère du stress chez le corps enseignant, souvent dépassé par l’urgence et se croyant isolé avec sa souffrance. L’identité du professeur du lycée en difficulté se construit autour de ce noyau psychique, entre le martyr et le héro. Même l’équipe externe de l’université a vécu des symptômes de « burn out » dans les institutions éducatives ce qui prouve la force et l’ampleur de la crise. C’est justement maintenant que la constatation de ce phénomène nous amène à une nouvelle compréhension de la réalité psychosocial dans ces établissements.

  L’analyse stratégique et l’echocentrisme : l’analyse est le principal outil utilisé par l’équipe externe. L’echocentrisme est une notion émergeante de la pratique, c’est une stratégie qui replace les problèmes de l’institution sur des dispositifs de lecture ouverts par elle même, c’est une vague qui permet d’écouter, d’analyser et de comprendre par les acteurs mêmes, sa propre situation et les conditions associées à sa genèse. L’écho est la propre voix de l’institution, c’est un effet miroir compris dans l’analyse constante de l’expérience vécue.

L’équipe d’intervenants externes a pu dépasser une première étape, lorsqu’elle a su reconnaître la condition de souffrance des acteurs éducatifs. Ensuite l’oeil analytique a été posé sur la gestion et l’institution comme éléments clés pour surmonter cette souffrance, en permettant de repenser la pédagogie et l’apprentissage.
Cette façon de s’approcher de la réalité éducative implique une auto observation et une autoanalyse de l’équipe elle-même. On peut distinguer quatre niveaux analytiques à regarder :

  Le dévoilement : c’est essayer de rendre compte de la réalité sou jacente des lycées. L’accompagnement d’une équipe externe est destiné à rechercher et à réfléchir sur la propre expérience de travail.

  L’opérationnalisation : c’est l’articulation nécessaire de la théorie à la pratique, c’est-à-dire l’élaboration d’action propre à être utilisée sur le terrain

  La formation : c’est la mise en place de thématiques, en envisageant un rapport de co-construction et d’analyse des pratiques.

  La systématisation : c’est le registre historique, c’est être capable de générer un transfert de connaissances

Conclusion

Le Programme Lycées pour Tous a ouvert au Chili une opportunité remarquable pour le développement scientifique du terrain pour l’université comme institution et pour les disciplines liées à l’éducation, notamment la psychologie et le travail social. Bien que les résultats atteints par le Ministère de Éducation chilien soient lents (vitesse propre aux changements culturels), on pense avancer vers une compréhension majeure du phénomène éducatif des lycées prioritaires. Cette connaissance née de la pratique pousse à continuer à travailler dans ces conditions, pas toujours faciles, et avec l’espoir de donner lieu aux principes de justice et de qualité éducative pour tous. Dans cette perspective il apparaît important d’un point de vue psychosocial, le traitement de la difficile condition d’adulte dans ce genre d’établissements : le stress professionnel est un symptôme « normal ». Un second domaine d’intervention psychosociale est la gestion institutionnelle. La dictature militaire a ancré des pratiques de gestion autoritaires où à l’opposée un laisser-faire absolu dans la culture scolaire. La démocratisation du système exige un appui constant et engagé de tous les acteurs de l’État avec les engagements et la cohérence de tous ceux qui font parti des politiques éducatives.

Bibliographie

  Guiso, Alfredo, De la práctica singular al diálogo con lo plural. Aproximaciones a otros tránsitos y sentidos de la sistematización en épocas de globalización, Medellín, Colombia, Funlam, 1998.

  La discrimination positive en France et dans le monde. Actes du colloque international organisé les 5 et 6 mars 2002 à Paris, Paris, France, CNDP, 212 p.

  Pouvoirs, Revue Française d’études constitutionnelles et politiques : Discrimination Positive N°111, France : Seuil, 2004.

  Programme Lycée pour Tous, en ligne sur le site du Ministère de Éducation du Chili.

  Rapports de l’Équipe Psychologie et Éducation de l’Université du Chile (documents internes), Santiago, Chile, 2000-2003.

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