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Journée nationale OZP : 13 mai 2006
Atelier n°1
Tenir compte du rythme personnel des élèves :
la mise en oeuvre des cycles à l’école primaire
Intervenant : Patrick Harnay ,
directeur de l’école Pablo Picasso à Nanterre,
ancien coordonnateur de ZEP
Animateur : François-Régis Guillaume
Dans la recherche de l’excellence pédagogique en ZEP, la mise en œuvre des cycles à l’école primaire est un objectif prioritaire.
Les cycles à l’école Pablo Picasso de Nanterre (92)
La construction de cette école, ouverte en 1990, a été conçue par la municipalité et l’architecte pour faciliter l’innovation pédagogique, le travail en commun et le brassage des élèves (des contre-exemples sont donnés dans l’atelier d’écoles récentes où l’absence de projet a conduit à recloisonner, annulant ainsi les innovations architecturales). Elle a été école d’application jusqu’à cette année.
Depuis 1995 elle fonctionne en cycles avec des classes multi-âges. Ce fonctionnement plus compliqué se justifie s’il permet la mise en œuvre d’une pédagogie différente qui elle-même doit être inventée, appropriée et partagée par l’ensemble des enseignants, ce que le renouvellement important des personnels enseignants ces dernières années a rendu malaisé. Il n’est pas facile de débuter à Picasso, dit son directeur, il faut tout découvrir en même temps.
Les élèves des classes d’un même cycle, par exemple CE2, CM1, CM2, sont dans une même classe. Il y a quatre classes de cycle 2 et six classes de cycle 3. Il y a un maître référent pour l’ensemble de chaque cycle. La classe se renouvelle par tiers chaque année.
Patrick Harnay insiste sur l’intensité du travail en commun nécessaire. Ainsi, chaque semaine, les quatre enseignants de cycle 2 préparent ensemble les leçons de lecture, font le bilan des leçons passées, échangent sur leurs pratiques, établissent leur programmation.
Une cohérence entre les cycles est nécessaire (par exemple que le référentiel des textes travaillés en cycle 2 soit connu des maîtres de cycle 3), ainsi qu’une continuité en amont avec l’école maternelle, située dans les mêmes locaux, et en aval avec le collège (pour que l’autonomie et l’esprit critique des élèves soient acceptés dans celui-ci).
Une pédagogie de projets s’est développée. Un jumelage entre classes de même niveau permet le décloisonnement, l’échanges de services et le brassage des élèves. Et la polyvalence peut être complétée par la spécialisation, en langue par exemple.
Cette école, appuyée par la municipalité, est ouverte sur le quartier : Elle organise des activités communes avec le centre social, des permanences juridiques. Le centre de lecture du quartier y est implanté, le plan d’aide à la lecture est lui aussi soutenu par la municipalité et tous les éducateurs sont amenés à travailler ensemble sur la lecture.
Actuellement des difficultés apparaissent : le problème posé par l’importante instabilité des personnels n’est pas entièrement surmonté. Le soutien institutionnel n’est pas garanti dans la durée. Au départ, l’IUFM envoyait ses étudiants en stage qui ensuite demandaient cette école en connaissance de cause.
Plusieurs témoignages de participants sur le fonctionnement d’autres écoles de ce type corroborent cette description. .
Quelles exigences pour les enseignants ?
Le travail à l’école de Nanterre fait apparaître des contraintes et exigences fortes. Le travail en cycles demande-t-il des enseignants militants ? Certains le pensent. En tout cas, il faut s’impliquer, lire beaucoup, se former. Mais ne s’agit-il pas là de l’exercice normal de ce métier ?
Des enseignantes de la ZEP de Soyaux ( Charente) disent que dans leur région les cycles se sont généralisés, qu’ils fonctionnent avec des enseignants « ordinaires » et qu’il s’agit de vrais cycles, pas d’une juxtaposition de deux ou trois groupes d’âge dans une même classe. L’expérience des écoles rurales avec des classes à plusieurs cours a pu être un point de départ, mais ce stade a été dépassé.
Les cycles, en classes multi-âges ou non, demandent une coordination soutenue. A l’école des Bourseaux (95), deux séances de deux heures de travail en commun sont prévues chaque semaine. Mais des participants insistent : il ne s’agit pas de travail en plus, ce travail en commun se substitue au travail individuel de préparation.
Plusieurs récusent le terme de contrainte ou même d’exigence. En fait, il s’agit de choix professionnel, de savoir-faire, de compétences professionnelles, car il n’est pas facile de travailler efficacement en commun, de s’exposer face à ses collègues. Pour P.Harnay, l’enseignant doit apprendre à accepter, face à ses collègues mais aussi face à ses élèves, d’être celui qui ne sait pas tout, qui sait parfois moins que ses élèves et qui lui aussi commet des erreurs.
Cycles et classes multi-âges
Les classes multi-âges apparaissent à beaucoup comme l’aboutissement de la logique des cycles. Le multi-âges facilite l’individualisation des parcours des élèves, l’adaptation à des rythmes différents. Le multi-âges ne complique pas la différenciation de la pédagogie, mais il exige une différenciation véritable : les cycles peuvent fonctionner avec des classes par niveau, mais, dans ce cas, il est plus difficile de se situer réellement par rapport au référentiel de fin de cycle et de ne pas durcir les objectifs de fin de CP.
Dans les deux cas, beaucoup plus que dans l’organisation traditionnelle, la maîtrise des techniques d’évaluation (le livret de compétences) est décisive pour réguler le travail ; elle est la clé de la différenciation pédagogique. Un travail en commun est nécessaire pour que les mêmes objectifs et critères soient partagés par l’équipe. Elle est aussi au centre de la communication avec les familles, encore plus nécessaire qu’ailleurs.
Le fonctionnement en multi-âges apparaît plus exigeant quant à l’engagement de l’ensemble de l’équipe dans des pratiques communes, alors que les cycles avec des classes traditionnelles par niveau sont plus compatibles avec un fonctionnement « a minima » et une hétérogénéité des enseignants.
Evaluation du dispositif
L’organisation en cycles ne fait pas apparaître, semble-t-il, de progrès sensibles dans les statistiques des évaluations nationales. Peut-être les échecs graves sont-ils moins nombreux ? Mais les élèves sont plus autonomes, comprennent mieux le travail scolaire, sont plus actifs, plus critiques aussi, ce qui nécessite une coordination avec le collège.
Les dispositifs innovants ne peuvent être évalués seulement à travers les évaluations nationales, aux critères très étroits, il faut prendre en compte également l’autonomie ou l’estime de soi.
Pour une chargée de mission départementale ZEP, les relations entre les enfants d’un groupe multi-âges développent des comportements autonomes et responsables : les plus grands sont valorisés dans leur aide aux petits et le désir de grandir est stimulé chez ceux-ci.
Un statut dérogatoire ?
Dans quatre écoles du Val d’Oise, dont l‘école des Bourseaux, la procédure d’affectation permet de s’assurer que les enseignants acceptent l’organisation de l’école. L’école de Nanterre n’a pas obtenu cette dérogation de sorte que son statut d’école d’application, combiné aux aléas des nominations provisoires, a entraîné une forte instabilité des personnels.
Faut-il adopter un statut dérogatoire avec des postes à profil et courir ainsi le risque de la marginalisation d’un modèle d’école « trop différent" ne pouvant se diffuser ?
Le soutien de l’institution ?
Pour beaucoup de participants, le manque de soutien de l’institution freine l’organisation en cycles. Plusieurs exemples montreraient que l’institution, en particulier l’encadrement moyen, n’aime pas ce qui est différent, et qu’au mieux elle le tolère. Elle est gênée par l’innovation pédagogique, même lorsque celle-ci est préconisée par les instructions officielles qui, comme Patrick Harnay le fait remarquer, permettent de bien travailler.
Pour un IEN, la gestion des personnels par l’IA est décisive non seulement pour la vie de ces structures mais aussi pour le fonctionnement ordinaire de l’école : la multiplication des affectations provisoires et l’instabilité qui en découle peuvent être catastrophiques. La formation devrait préparer à travailler avec des classes à niveaux multiples.
L’architecture des locaux peut être également un facilitateur ou un obstacle à cette organisation. .
Le soutien des familles
Les freins à l’organisation en cycles ne sont pas seulement institutionnels. Il faut également convaincre les familles, comme dans toutes les initiatives minoritaires, qu’on ne fait pas des expériences sur leurs enfants. Comment leur prouver que ça marche, comment mesurer les résultats, sur quels critères ? Dès que des difficultés apparaissent, quelle que soit leur origine, la structure innovante est mise en cause. L’évaluation est au centre des échanges entre l’école et les familles.
Conclusion
Avec du temps, de l’accompagnement et des projets portés par des personnes qui s’engagent, les cycles peuvent fonctionner avec tous les enseignants. Encore faudrait-il que l’institution les soutienne.
Les cycles nécessitent une évolution du métier d’enseignant mais ils sont aussi un moyen de provoquer ou d’accélérer cette évolution.
Compte rendu rédigé par François-Régis Guillaume
Ci-dessous une version PDF à la mise en page plus élaborée.