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Histoire de la prime au mérite : 2 analyses du Café et de Claude Lelièvre

16 juillet 2018

Prime au mérite : Histoire d’une obsession

Sortie apparemment de nulle part le 2 juillet, la prime au mérite destinée aux personnels des réseaux Rep+ a pourtant une longue histoire. Libération a récemment rappelé qu’une éphémère prime des réseaux Eclair, crée en 2011, pouvait déjà être déclinée de façon variable par le chef d’établissement. Mais l’idée d’évaluer le mérite des enseignants pour décider de leur paye est plus ancienne encore rue de Grenelle. Dès 2009, JM Blanquer, directeur de l’enseignement scolaire, y travaille. Cette histoire est aussi celle d’un échec.

Une idée de Sarkozy
C’est Sarkozy qui lance dès 2007 l’idée d’une rémunération des enseignants basée sur les résultats des élèves. Révélée par Education & formations, une revue de la Depp, la lettre de mission de N Sarkozy à Xavier Darcos, en 2007, l’invite à mettre en place un dispositif en ce sens.

"Nous voulons que la rémunération des enseignants corresponde mieux à l’importance de leur rôle pour la nation... Nous souhaitons que le mérite soit reconnu, tant au niveau individuel que collectif. C’est possible tout en étant objectif", écrit N Sarkozy. "Nous souhaitons que vous mettiez en place un dispositif d’évaluation beaucoup plus conséquent de notre système éducatif. Celui-ci devra comprendre quatre volets : une évaluation systématique de tous les élèves tous les ans, afin de repérer immédiatement les élèves en difficulté et de pouvoir les aider ; une évaluation régulière des enseignants sur la base des progrès et des résultats de leurs élèves".

Mise en place par JM Blanquer
En 2009 JM Blanquer arrive rue de Grenelle et devient le directeur de l’enseignement scolaire du ministre Chatel. C’est à lui que revient de mettre en place l’évaluation de fin d’année de Ce1. Ces évaluations sont élaborées par la Dgesco (division de l’enseignement scolaire), et non par la Depp (division des études du ministère). Elles seront obligatoires pour tous les élèves jusqu’à l’alternance politique de 2012. Facultatives en 2013 elles disparaissent en 2014.

JM Blanquer s’implique beaucoup dans la réalisation de cette commande élyséenne au point qu’on parlera "d’évaluations Blanquer". Au point aussi de créer une prime spéciale de 400€ pour les enseignants qui les font passer, soit un cout d’une quarantaine de millions.

Dans ces évaluations on retrouve les deux objectifs de la lettre de mission de N Sarkozy. D’une part évaluer le niveau des élèves. D’autre part avoir une idée du mérite de l’enseignants à travers les résultats de ses élèves. Si l’évaluation avait été généralisée aux 4 niveaux , on aurait pu suivre les progrès des élèves et, en théorie, les lier à des enseignants précisément. Mais dans le discours public cet objectif n’apparait pas, ce qui n’empêche pas des enseignants de manifester des doutes. Le ministère ne parle que d’évaluation des élèves, comme le montre un entretien donné au Café pédagogique en 2009.

L’idée de publication des résultats école par école fait long feu. Mais le mélange d’évaluation bilan et diagnostic est dénoncé chez les enseignants. " Toutefois, subsiste chez les enseignants une défiance quant à la vraie nature de ces évaluations, présentées à la fois comme bilan et comme diagnostic, en insistant tantôt sur un aspect, tantôt sur l’autre, et pouvant servir à contrôler leur valeur professionnelle", explique Education & formations. "Cet usage possible de l’évaluation est ressenti comme d’autant plus injuste qu’il ne repose pas sur les progrès réalisés par les élèves, mais uniquement sur leur niveau à un instant donné, sans prendre en considération leur niveau scolaire à leur arrivée dans la classe ni leurs différences socioéconomiques".

Un échec retentissant
Education & formations, revue de la Deep, signale aussi le rôle qu’a joué cette direction dans le sabordage de ces évaluations. " Une étude interne, réalisée par la DEPP... fait apparaître des distorsions dans les résultats selon que les écoles ont ou non été suivies par les inspecteurs du contrôle qualité, ainsi qu’en fonction des secteurs de scolarisation", raconte Education & formations. " On observe une surestimation des élèves par leurs enseignants, et ce de façon plus particulièrement marquée dans le secteur privé, en l’absence de contrôle des procédures de passation et de correction. Dès la deuxième année d’utilisation, les limites de l’exercice, en termes de comparabilité, sont atteintes : les résultats des élèves de CM2 affichent une forte baisse en mathématiques. Cette baisse est en fait due à la plus grande difficulté du protocole élaboré pour cette deuxième itération, mais elle est interprétée comme une perte de compétence moyenne des élèves de CM2".

Une autre instance dénonce elle aussi le caractère non scientifique de ces évaluations. C’est le Haut Conseil de l’Education. Mis en place par la droite mais indépendant, le HCE parle sans équivoque. Sur les évaluations nationales de CE1, CM2 et 3ème, le HCE pointe des questions de méthode : ces évaluations confondent évaluation du système éducatif et évaluation de sa classe par le maître. En CM2 et 3ème, selon le HCE "la fiabilité des indicateurs n’est pas assurée. La manière dont elles sont renseignées n’est ni contrôlée ni harmonisée". Tout féru de sciences , le directeur de la Dgesco tempête contre ces propos. Mais personne ne prend au sérieux ses évaluations.

Le retour en 2018
En 2011, le ministre Chatel demande à la Depp d’aider la Dgesco à améliorer ces évaluations. Quelques mois plus tard le nouveau gouvernement enterre les évaluations de Ce1 et Cm2. Ainsi disparait la première tentative d’évaluer les professeurs à travers les élèves.

Six ans plus tard, le directeur de l’enseignement scolaire est devenu ministre de l’éducation nationale. Le président de la République a promis des évaluations dans toutes les classes chaque année. Le ministre multiplie les évaluations pour la rentrée 2018. Seul changement. Le lien avec l’évaluation et la rémunération des enseignants n’est plus occulte. La prime au mérite des Rep+ sera versée en fonction des résultats des élèves annonce le ministre le 2 juillet. "la possibilité d’un adossement d’une partie de cette indemnité aux progrès des élèves et à l’accomplissement du projet d’école et d’établissement qui y contribue sera examinée". Et le gouvernement dit qu’il veut généraliser la rémunération au mérite.
François Jarraud

(Voir différents liens en bas de l’article du Café)

Extrait de cafepedagogique.net du 06.07.18 : Prime au mérite : Histoire d’une obsession

 

Les enseignants : mérite, prime et émancipation... Par Claude Lelièvre...
Le ’’mérite’’ et l’’’émancipation’’ sont les deux maîtres-mots du dernier discours présidentiel. Cela mérite une prime : celle de « l’avancement au mérite » ou celle d’ « une prime au mérite » ? Historique d’une émancipation.

Ceux qui sont un peu au fait de la situation et de la position des enseignants (mais sans en connaître vraiment les arcanes) sont souvent étonnés que les professeurs acceptent volontiers dans les faits « l’avancement au mérite » (sous les espèces du « grand choix », du « petit choix » et de « l’ancienneté »), alors même qu’ils se déclarent volontiers hostiles à l’institution d’ « une prime au mérite ».

Cela s’explique sans doute en partie parce qu’il ne s’agit pas le plus souvent des mêmes critères d’attribution (si tant est que ceux-ci existent vraiment sans contestation possible, qu’il s’agisse de « l’avancement au mérite » ou bien d’ « une prime au mérite »...)

Cela s’explique aussi (et sans doute surtout) parce que ce ne sont pas foncièrement les mêmes ’’autorités’’ qui peuvent s’avérer importantes dans les évaluation et les répartitions à faire. Il s’agit plutôt des autorités ’’pédagogiques’’ (relativement ’’lointaines’’) pour l’ « avancement au mérite » ; et plutôt des autorités ’’administratives’’ (relativement ’’proches’’) pour « une prime au mérite ».

Et c’est ainsi que l’on retrouve la partition complexe ’’émancipation’’ et ’’ mérite’’. Or, cela a pour le moins autant à voir avec un ’’bonapartisme au petit pied’’ qu’avec des moments aigus’’ libéraux’’ (voire ’’ultralibéraux’’), comme le montre l’historique suivant (assez longuet, mais significatif)

Il faut savoir en effet que dans son œuvre de réorganisation de l’enseignement secondaire, le Premier consul Napoléon Bonaparte a créé en 1802 les ‘’lycées’’ (dominés par la forte autorité du ‘’proviseur’’) qui ont succédé aux ’’écoles centrales’’ issues de la Révolution française (qui – elles - avaient une direction collectives). Il a aussi institué les ‘’inspecteurs généraux’’ (chargés de visiter les lycées tous les ans, afin d’examiner « toutes les parties de l’enseignement et de l’administration », et qui n’avaient alors aucune spécialité disciplinaire particulière). Devenu Napoléon Ier, il a créé en outre, par le décret impérial du 17 mars 1808, les académies et leurs responsables : les recteurs, assistés d’inspecteurs d’académie.

Les professeurs de lycée sont inspectés par les inspecteurs généraux au moins tous les deux ans, souvent tous les ans. Ils reçoivent aussi ‘’la visite’’ du recteur et/ou d’un inspecteur d’académie au moins une fois par an. Tous les ans, les proviseurs (pour les lycées) et les principaux (pour les collèges municipaux) adressent une notice sur chacun de leurs professeurs, qui est complétées par les appréciations successives de l’inspecteur d’académie et du recteur (et qui est envoyée finalement au ministre de l’Instruction publique)

Avec le temps, ’’l’inspection’’ (la ‘’surveillance’’ ?) va être de plus en plus distante dans le temps et l’espace (de plus en plus espacée dans le temps, et de moins en moins le fait des autorités administratives et/ou de ‘’proximité’’). Elle va aussi être de plus en plus ‘’spécialisée (par la discipline et le grade) et de moins en moins ‘’intrusive’’ (les autorités de proximité ne pénétrant plus en principe dans les classes pour ‘’inspection’’, et les inspecteurs ‘’disciplinaires’’ prévenant nettement à l’avance de leur venue).

Au début de la troisième République, la notice (remplie par les Inspecteurs généraux) intitulée « Renseignements confidentiels » cède la place à une fiche « Notes et propositions », avec comme critères : « 1) Conduite, caractère, considération personnelle ;2) Exactitude, zèle dans l’accomplissement des devoirs professionnels ;3) Aptitude pédagogique :a) discipline, autorité sur les élèves, usages des punitions ;b) enseignement : savoir, méthodes, qualités diverses, résultats obtenus » ».

Au début de la troisième République également, dans les années 1880, la visite globale par les inspecteurs généraux cède le pas à une visite essentiellement dans la classe, ce qui amène la spécialisation disciplinaire en trois groupes : lettres, sciences, langues vivantes. Et à partir de la fin du XIXème siècle, le mouvement fédératif des professeurs de lycée dénonce le jugement de membres de l’administration qui ne peuvent être compétents dans d’autres disciplines que la leur. Il lui est donné assez vite raison sous la troisième République.

L’attachement des agrégés à ne pas subir d’inspection de la part de non agrégés explique qu’en 1964 on ait décidé de ne recruter les Inspecteurs pédagogiques régionaux (nouvellement créés) que parmi les agrégés. Enfin, depuis le ministère d’Alain Savary, en 1983, l’inspection ne doit plus être inopinée.

Ce mouvement général ne s’est pas fait sans mal, sans à coups et tout d’un coup. Mais les professeurs tiennent à ces ‘’acquis’’ et ne peuvent que voir d’un très mauvais œil tout ce qui (de loin ou de près) peut leur apparaître comme un retour en arrière et une menace sur leurs ‘’libertés ’’, voire leur ’’émancipation’’.
Claude Lelièvre

https://blogs.mediapart.fr/claude-lelievre/blog/100718/les-enseignants-merite-prime-et-emancipation

Extrait de demain-lecole.over-blog.com du 10.07.18 : Les enseignants : mérite, prime et émancipation... Par Claude Lelièvre..

 

 
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