> III- INEGALITES : Mixité sociale, Pauvreté, Ethnicité, Laïcité... > Inégalités territoriales : la Seine-Saint-Denis > Le mouvement dans les ZEP du 93 (suite)

Voir à gauche les mots-clés liés à cet article

Le mouvement dans les ZEP du 93 (suite)

4 février 2006

Extrait du site de la LCR, le 04.02.06 : Seine-Saint-Denis : enseignants en lutte

Une fois encore, la Seine-Saint-Denis est à la pointe des mobilisations contre la politique du gouvernement en matière d’éducation. Dans le collimateur des enseignants, les récentes réformes proposées par Gilles de Robien.
Jeudi 26 janvier, entre 45 % et 60 % des enseignants de l’école élémentaire et du secondaire de Seine-Saint-Denis manifestaient à Bobigny afin de dénoncer les réformes proposées par Gilles de Robien. Une réussite donc, pour cette journée de grève qui s’annonce comme une des premières actions importantes contre des mesures entérinant les inégalités sociales et mettant un terme à la démocratisation de l’école.
Cette action s’ajoute déjà à des initiatives plus locales puisque des établissements de Seine-Saint-Denis sont occupés de nuit par les enseignants et des parents d’élèves comme les collèges de la ville de Drancy ou le collège Travail de Bagnolet par exemple. Ils se déclarent ainsi en « état d’urgence » face à un gouvernement qui s’apprête, dès la rentrée prochaine, à démanteler l’école publique dans la discrétion la plus totale. Toute la France est donc concernée par ces mesures.

En effet, le ministère de l’Éducation nationale utilise l’actualité récente, comme la « crise des banlieues » ou les multiples agressions d’enseignants de ces dernières semaines, pour mettre en place une école à deux vitesses, la plus économique possible, tout en prétextant venir en aide aux établissements classés ZEP. Ces zones d’éducation prioritaire seraient remplacées par trois nouvelles appellations : les établissements prioritaires (EP) 1, 2 et 3. Cette réforme se fait uniquement par redéploiement des moyens puisque les EP1 appelés « collèges ambitions réussites » devraient récupérer les moyens supprimés aux établissements classés EP3. Enfin, les EP2 conserveront leurs moyens actuels. Seul un établissement ZEP sur cinq deviendra EP1.

Pourtant, les établissements ZEP ne sont pas les seuls concernés par cette réforme. Ainsi, à travers ces mesures, la déréglementation des horaires et des programmes devient légitime, notamment grâce au socle commun. Il s’agit de programmes allégés en contenus et en matières pour les EP1, mettant ainsi un terme aux programmes nationaux et à l’égalité de tous les élèves face à ces programmes. De plus, il est prévu, pour la rentrée prochaine, qu’un départ en retraite sur deux ne soit pas remplacé : 4 500 postes seront supprimés. À cela s’ajoute 4 000 postes liquidés aux concours des enseignants, avec une réduction de 30 % en moyenne et des pics de 50 % dans certaines disciplines comme l’EPS. Les enseignants du primaire en font déjà l’expérience. Cette année, en Seine-Saint-Denis, 200 postes étaient vacants à la rentrée. Conséquence, les classes se sont retrouvées surchargées, les listes complémentaires aux concours ont toutes été utilisées, ce qui pose le problème des remplacements. Dans le nord d’Aulnay-sous-Bois, il a été annoncé que plus aucun remplacement ne sera assuré jusqu’à la fin de l’année et certains enfants n’ont déjà plus cours depuis un mois ! La précarité s’annonce également puisqu’il est prévu d’employer à la place d’enseignants qualifiés du personnel « précaire » qui pourra, à terme, être employé en CDI sans jamais être titularisé.

Natacha Piaget

--------------

Extrait de « L’Humanité » du 03.02.06 : Nuit de dialogue à Saint-Denis

Mardi, une vingtaine de collèges de Seine-Saint-Denis étaient occupés pour protester contre les politiques éducatives.

Reportage au collège Iqbal-Masih

Dehors, il flotte un air de soirée d’été dans une cour de cité, quand les jeux se prolongent au-delà du dîner. Quelques enfants s’amusent avec des chiens badins, sous une guirlande tendue entre deux murs. Des papiers bleus et roses sont pliés à cheval sur un fil. Les pages ne sont plus vierges. Au marqueur, on y a griffonné des slogans. Ou des souhaits : « Sauvons les ZEP »

Dedans, depuis bientôt une heure, des parents, des profs et quelques collégiens discutent. Les enseignants, d’abord, ont pris la parole. À l’instar d’une vingtaine d’autres établissements de ZEP de Seine-Saint-Denis, ce mardi 31 janvier, le collège Iqbal-Masih, 450 élèves, planté au milieu d’une forêt de bureaux de la Plaine-Saint-Denis, au bord de l’autoroute A1, passera une nuit blanche. Pour protester, disent les une et les autres, contre les politiques éducatives. Parmi les mesures visées, l’apprentissage junior, qui promet d’exclure les élèves en difficultés.

« De l’école d’abord. Et de la vie professionnelle, ensuite, quand aucun employeur ne voudra embaucher des jeunes aussi peu qualifiés. » Mais aussi la déperdition des moyens, qui oblige à renoncer aux dispositifs de soutien (aides aux devoirs), comme aux dédoublements de cours. « Pour conserver les langues vivantes, le grec et le latin, nous devons nous en tenir aux horaires planchers dans toutes les disciplines. » Quant à la réforme ZEP, elle n’est pas, loin s’en faut, celle qu’ils espéraient. « Le gouvernement l’a bien ficelée, elle tombe au bon moment, avec des arguments chocs : seuls ceux qui le méritent pourront étudier. »

Les autres seront recasés, ailleurs, dans des établissements ghettos ou hors l’école.

Dans la salle éclairée au néon, les minutes semblent longues avant que quelqu’un se décide à prendre la parole. Une élue municipale, d’abord venue signifier le soutien de la ville. Puis une dame, coiffée d’un foulard rose. « C’est seulement la Seine-Saint-Denis qui est concernée ? » Non, toute la France. Mais le département, où un collège sur deux est classé ZEP, est singulièrement touché. Silence. Parmi la vingtaine de parents présents, beaucoup sont étrangers. Certains ne parlent pas français. La mère d’Ismaïl a la peau brune, une longue natte noire et une mouche de feutre mauve collée sur le front. Elle sourit, mais a du mal à suivre. « Je vais tout lui traduire », explique le jeune élève de 6e. Ce qu’il a saisi se résume en une question. « Je ne comprends pas pourquoi ils menacent le collège. Ce n’est pas bien de supprimer des cours. » Nassera, en 3e, est venue seule. « Parce que ça m’intéressait de savoir. » Ce qu’elle pense de l’apprentissage ? « Je crois que ce n’est pas bon dès quatorze ans.
Il faudrait attendre... dix-huit ans, je pense. Le temps d’apprendre. »

Les langues se font moins timides. L’une, à l’accent ibérique, manifeste de la colère. Contre les grèves. « Toujours les élèves qui payent, j’en ai ras le bol. Il faut trouver autre chose. » Contre un système face auquel elle se sent impuissante. « L’apprentissage, c’est juste pour trouver des manoeuvres, des balayeurs ou autre chose. C’est comme les stages, c’est moins cher. » La dame au foulard rose : « On est inquiets parce que, après, nos enfants ne trouveront plus de travail. » Puis une femme aux boucles blondes.

« Et comment peut-on faire pour aider ? » Signer les pétitions, contacter les autres parents. Peut-être organiser une seconde réunion au retour des vacances. La femme à l’accent espagnol : « Ras le bol aussi que personne ne bouge. Les partis, les parents, doivent s’y mettre. Mais, si vous voulez qu’on comprenne, il faut écrire l’information avec des mots simples. Il y a beaucoup d’étrangers, ici... » Acquiescement des profs. Une chaîne téléphonique ? Aussi. Et puis les SMS, Internet, les nouvelles technologies. « Et faire passer une pétition, avec un coupon-réponse que les parents pourraient coller sur les carnets de liaison », lance un homme à caquette, assis prêt de l’entrée. Idée retenue. Silence. « Et jeudi (aujourd’hui - NDLR), vous serez là ? » « La plupart d’entre nous seront en grève. » Nouveau silence. « Et demain matin (mercredi matin - NDLR) ? » Après la nuit d’occupation ? « Oui, nous serons là. Mais sans doute mal coiffés. »

Marie-Noëlle Bertrand

-------------

Extrait de « Libération » du 03.02.06 : Dans la rue, les enseignants se préparent à la journée du 7

Ils ont pris la tête hier à Paris de la manifestation de la fonction publique

« ZEP en colère, ministère au Kärcher ! » Les enseignants de la Seine-Saint-Denis ont pris la tête de la manifestation des fonctionnaires défilant hier à Paris, à l’appel de six fédérations de la fonction publique (CFDT, CFTC, CGT, FO, FSU et Unsa) et de SUD.

Pour ces enseignants, la priorité n’est pas le pouvoir d’achat et les salaires, revendications retenues pour cette journée syndicale. Non, pour eux, ce sont les « attaques répétées » du gouvernement Villepin. Depuis la grève du jeudi 26 janvier en Seine-Saint-Denis, ces enseignants ont le sentiment d’avoir « lancé un mouvement ». A raison peut-être, leur département faisant office de baromètre du climat scolaire

Apprentissage.

D’après le ministère de l’Education, il y avait hier 28,5 % de grévistes dans le primaire (40 % à 50 % pour les syndicats), et entre 21 % et 29 % de grévistes dans le secondaire (41 % pour les syndicats). « On n’en est qu’au début. Un mouvement, ça se construit », estime un enseignant du collège Jean-Vilar à La Courneuve. Parmi eux, beaucoup de jeunes profs. Ils ont fait leur « apprentissage de grévistes » lors du mouvement social de 2003. « Trois mois de grève, c’était long. Il y a eu les retraits de salaire, la défaite générale... Plutôt rude », poursuit l’enseignant. Cependant, « le contexte est différent aujourd’hui ».

L’échéance de l’élection présidentielle y est pour quelque chose, mais pas seulement : « On a le sentiment d’être mieux compris par l’opinion, et qu’elle y voit plus clair. » Mardi 7 février, les enseignants seront à nouveau dans la rue, pour combattre le contrat première embauche (CPE) aux côtés des étudiants et des lycéens. Beaucoup culpabilisent : « On n’a pas assez soutenu les lycéens contre Fillon l’an passé. »

Les enseignants du collège République, à Bobigny, racontent l’occupation nocturne de leur établissement, la veille de l’examen du CPE par les députés. Afin de décréter « l’état d’urgence contre les propositions du ministère de l’Education nationale ». Ils affirment : « Le 93 construit un mouvement d’opposition. On ne peut pas attendre 2007 en subissant un tel cortège de choix politiques. » Au premier rang : la réforme des ZEP, enclenchée par Gilles de Robien.

Le collège République figure dans la préliste des établissements archiprioritaires établie par le ministère. « Un cadeau empoisonné », disent-ils. Ils attendaient surtout une diminution de leurs horaires de cours pour pouvoir se concerter et bâtir des projets communs, indispensables aux établissements difficiles : « On s’acharne à demander des moyens, on nous répond économies. C’est l’impasse. »

Mention. Le discours gouvernemental sur l’égalité des chances les révulse. « L’important, c’est l’égalité tout court. On retire des moyens à des établissements pour donner à seulement quelques-uns. Ça ne va pas. » Ils citent encore le brevet des collèges : les élèves obtenant une mention « très bien » ou « bien » pourront déroger à la carte scolaire et s’inscrire dans le lycée de leur choix. « Une mesure comme celle-là, c’est l’inverse de la mixité sociale. Ça va contre l’égalité. »

Marie-Joëlle Gros

Répondre à cet article