> VIII- POLITIQUE EDUCATIVE DE LA VILLE > Délinquance, Violences urbaines > Délinquance, Violences urb. (Actions/Situations locales et académiques) > Dans les ZEP d’Argenteuil (95), Saint-Denis (93) et Haute-Pierre (67)

Voir à gauche les mots-clés liés à cet article

Dans les ZEP d’Argenteuil (95), Saint-Denis (93) et Haute-Pierre (67)

18 janvier 2006

Témoignage d’un professeur de lycée à Argenteuil (Val-d’Oise)

Extrait du « Monde » du 18.01.06 : Quand le lycée brûle

Aujourd’hui, 6 janvier, mon lycée a brûlé. Pas en entier, bien sûr, ce qui ferait les gros titres : il se consume lentement. A petit feu. Dans l’air empli de fumée âcre, les regards désolés se croisent : où était-ce cette fois-ci ? Une poubelle du hall ou du réfectoire ? Etait-ce au quatrième étage, comme à la veille des vacances ? Dans le refuge de la salle des professeurs règne une ambiance étrange. Pas un de nous n’a peur de ses élèves ou voit en eux des "voyous". Mais personne n’est étonné, ni ne pousse de hauts cris. Il y a si longtemps que les règles normales n’ont plus cours ici.

Quand le lycée brûle, il est impossible de ne pas y voir le reflet de l’incendie qui, pour avoir trop couvé, consume depuis des mois notre société. On dormait bien dans les centres-villes. Depuis octobre, l’incendie s’est imprimé dans les rétines. Il est devenu notre ordinaire partagé. Mais nous sommes quelques-uns en première ligne. Comment l’expliquer et le combattre ?

Il existe une misère matérielle bien réelle. Dans mon lycée classé en ZEP, il manque : une salle de permanence, une salle d’étude, des surveillants bien formés en nombre suffisant, 30 % d’un poste de conseiller principal d’éducation. Ces délabrements coexistent d’ailleurs avec la modernité éclatante de certains matériels informatiques ou audiovisuels, qui seront bientôt volés - argent public dépensé sans compter. La misère est surtout celle de nos élèves aux parents trop souvent chômeurs ou absents, condamnés à l’illettrisme de masse. Loin de la revendication ou de la pétition, voilà à quoi tient le pauvre vocabulaire de nos incendiaires. Il n’est pas sûr qu’ils y puisent leurs raisons d’agir.

Je les ignore et les devine à la fois, après trois années ici : le goût du défi et du jeu, le plaisir de la destruction quand la construction de soi par le savoir est depuis longtemps impossible. Ce nihilisme m’est devenu familier. Je rêve parfois de faire assister les élites politiques, et plus généralement l’ensemble de la population, à une récréation de 10 h 30 au lycée. Elle ne ressemble plus à celles qu’ils ont connues. Ils y verraient à quelle culture de la brutalité immédiate et de l’irresponsabilité nous avons abandonné nos enfants. Ils y entendraient combien d’insultes et de cris s’y échangent, et la sombre rivalité du racisme et du sexisme.

Ce qui les frapperait surtout, c’est l’immense renoncement des adultes à faire appliquer les règles et à civiliser l’espace public. Quand rien ne va et qu’aucune consigne n’est depuis longtemps respectée, pourquoi être encore celui qui va interdire les cigarettes, faire enlever une casquette, réprimander une bousculade ou une bagarre ? Comme les autres, regard baissé ou épaules haussées, on s’enfuit. Epuisé, un peu honteux et soulagé, sourdement révolté. Désarmé face à cet effondrement civique qui nous dépasse.

Qu’on ne s’y trompe pas : je ne me reconnais aucun lien avec ceux qui à droite ou à gauche dénoncent des "barbares" à réduire par la force ou à extirper du corps social. La réalité est plus prosaïque et nos élèves, bien humains, plus estimables. Cela n’enlève rien à la colère qu’on éprouve lorsqu’ils ne se comportent pas de manière civilisée. Et la civilisation, au sens tout simple d’être capable de vivre avec les autres en société, cela s’apprend. C’est même un travail énorme - au fond, le seul qui vaille la peine.

C’est un travail auquel nous avons collectivement renoncé. En ce sens, les responsabilités sont bien partagées. Ce chaos ordinaire porte notre marque à tous. Il faudra bien un jour poser véritablement la question du culte ou de la représentation permanente des conduites violentes, moqueuses, injurieuses, par l’ensemble des médias et des productions culturelles. Combien sont prêts à admettre que leur propre complaisance devant la violence mise en scène participe de son déchaînement réel ? Et, l’ayant admis, à changer leurs habitudes ? Plus largement, il faudra essayer de remettre en cause la place prise dans nos vies par la consommation, les écrans et les objets, au détriment de la parole humaine qui apaise, enrichit et relie. Nous sommes tous comptables de l’effacement des liens sociaux et de l’appauvrissement de la langue. Nous nous y consumons, rapidement et sûrement.

Aussi, quand le lycée brûle, nous sommes nombreux à ne pas être dupes des solutions fausses du tout-sécuritaire. Et nombreux, en première ligne - pompiers, policiers, magistrats, travailleurs sociaux et de santé, enseignants - à formuler un projet naïf, mais d’une exigence déjà si intense et si ferme : retrouver des règles acceptables, retisser des liens, redonner l’envie de vivre ensemble, en paix.

André Loez

professeur d’histoire-géographie au lycée Georges-Braque d’Argenteuil (Val-d’Oise).

----------------------

Dans une ZEP de Saint-Denis (93)

Extrait de « L’Humanité » du 17.01.06 : « Nos élèves ne sont pas des monstres »

Éducation. La semaine dernière, un surveillant du collège Garcia-Lorca de Saint-Denis (Seine-Saint-Denis) se faisait agresser devant l’établissement. Rencontres.

Cela s’est passé il y a dix jours. Un surveillant frappé, juste à la sortie du collège, par un groupe d’individus. Deux élèves seraient impliqués dans ce qui ressemble à un règlement de comptes. Les commentaires des collègues du surveillant sont sobres et prudents. La grève qu’ils ont menée jeudi et vendredi derniers atteste toutefois de l’inquiétude provoquée par un climat délétère, dont les enfants sont tout autant les acteurs que les victimes.
Le collège Federico-Garcia-Lorca, presque 600 élèves, classé ZEP et ZUS (zone urbaine sensible), au coeur des Francs-Moisins, à Saint-Denis, accède pour la seconde fois à la notoriété médiatique. La première remonte à quelques années, quant un documentaire diffusé sur Arte le montrait comme établissement difficile. « Cette époque était bien plus critique que celle que nous traversons actuellement », assure Léonie Assor, conseillère d’orientation psychologue. Les agressions physiques y étaient plus fréquentes. Celle de ce vendredi 6 janvier, elle, relève de l’exception. Contrairement à ceux du lycée Louis-Blériot d’Étampes, où une enseignante a été poignardée en classe, les personnels de Garcia-Lorca ne se sentent pas particulièrement en danger et n’ont pas fait valoir leur droit de retrait. Mais ils s’inquiètent pour leurs élèves.

Depuis le début de l’année, les incidents se répètent. Quinze conseils de discipline ont dû être convoqués, la plupart pour violences entre élèves ou dégradations graves. L’agressivité verbale est constante, les bagarres chroniques. « Ils sont sans arrêt en train de s’insulter, de se frapper, de se faire tomber par terre », poursuit Léonie. Sans forcément avoir conscience de la brutalité de leurs gestes ni de la portée de leurs propos. Les sentences sexistes, homophobes ou racistes pullulent, sans qu’il faille y voir l’expression d’une quelconque idéologie. « Lorsque l’on en discute avec eux, ils nous expliquent que ce n’est pas grave, que c’est leur façon de parler », poursuit Sylvie Debouset, prof de français. « Pour eux, c’est comme un jeu. Mais ils n’en maîtrisent pas les limites et ça dégénère souvent. »

Vis-à-vis des adultes, les choses ne sont pas plus claires. « Ils ne comprennent pas qu’ils doivent changer de langage une fois en cours », note Émilie Olivier, enseignante de français. « Je fais la guerre aux "Vas-y", illustre encore Aicha, conseillère principale d’éducation (CPE). Les élèves l’utilisent sans comprendre que c’est une formule de tutoiement, inadéquate quand on s’adresse à un adulte. »

Les blessures s’accumulent

Jean-Luc Héraud, principal du collège, estime néanmoins que le respect de l’autorité est souvent contestée. « Certains élèves sont dans une logique de loi du plus fort : ils respectent celui qui semble avoir les dents les plus longues. Dans ce schéma, je suis rarement embêté. Les surveillants sont, eux, les maillons les plus faibles. »
Les choses ne sont pas pires qu’avant, estime toutefois le chef d’établissement. « La seule chose qui se dégrade vraiment, c’est la situation sociale des familles. » Ici, le concept de mixité sociale fait sourire tant il est loin de la réalité. Gros cube au milieu des immeubles, coincé entre les barres grises et de hautes cheminées d’usine, Garcia-Lorca est l’archétype de l’établissement ghetto. Les mômes ont commencé dans la maternelle d’à côté. Leur perspective dépasse difficilement celle du lycée du coin. « Tous se disent : "Paris n’est pas pour moi", même si nous ne sommes qu’à trois kilomètres de la capitale », note Christelle Thevenet, assistante sociale. Insalubrité des locaux, loi de la cité, pauvreté intense des familles qui n’ont pas toujours la force ou les outils pour aider leurs enfants : les blessures s’accumulent. « Ce sont toutes ces choses, violentes pour eux, au quotidien, qui font qu’ils sont si agressifs et que certains, parfois, passent à l’acte. »

« Nos élèves ne sont pas des monstres », la phrase revient en boucle dans la bouche de personnels, à la recherche de solutions concrètes. Le besoin de temps arrive en tête des revendications que les profs devaient formuler vendredi soir à l’inspection académique. « Nous exigeons le retour des ATP. » ATP comme aide au travail personnalisé, un temps de soutien scolaire en demi-classe, qu’assuraient les enseignants, il y a encore trois ans. La baisse de la dotation globale horaire (DGH) a provoqué leur abandon. « Ce sont pourtant des moments privilégiés, d’une part parce que peu d’élèves travaillent chez eux. Sans les ATP, les devoirs ne sont pas faits, explique Michel Nebout, prof d’anglais. Surtout, ce sont des moments informels, qui nous permettent de développer avec eux une autre relation. »

Créer un autre rapport à l’adulte

Les besoins de personnels d’encadrement sont également au menu des demandes. Non-gréviste parce qu’il doute de l’efficacité de la stratégie, Nicolas, assistant d’éducation, relève néanmoins : « Notre nombre suffit à limiter les incidents à 3 ou 4 par an. Mais pas à transformer les choses. » Créer un autre rapport à l’adulte, apaiser le climat et même montrer que l’école peut être, pour eux, un outil agréable, implique de ne pas limiter le rôle des surveillants au flicage des récrés. « Nous avons une salle de ping-pong, une salle informatique... Si nous étions plus nombreux, nous pourrions faire des choses super... »

Jean-Luc Héraud ne méconnaît ni cette réalité ni le bien fondé de l’ATP. Mais invoque le principe de réalité. « En tant que ZEP, nous sommes déjà bien dotés. Je doute que nous obtenions plus. » Le principal mise sur les partenariats locaux. « Il ne faut pas que l’école kidnappe tout. Il faut l’ouvrir, travailler avec les éducateurs, les parents. » Beaucoup ici le disent : rien ne pourra véritablement réussir sans eux. Aicha approuve. Mais relève aussi ce paradoxe : « Quoi qu’ils pensent du règlement intérieur, les enfants reconnaissent le collège comme un lieu qui les protège de la loi de la cité. C’est un sanctuaire qu’il ne faut jamais briser. »

Marie-Noëlle Bertrand

--------------------

Incidents dans la ZEP de Haute-Pierre à Strasbourg

Extrait du site « Indymedia », le 18.01.06 : Rafle de collégiens à Strasbourg-Hautepierre (ZEP) suite à une manif

Une manif organisée par des collégiens pour protester contre leurs conditions de vie au collège et le renvoi d’un assistant d’éducation. Quelques vitres brisées puis le calme et enfin les interpellations, les perquisitions et les gardes à vue de 7 jeunes de 13-14 ans pendant 48 heures

Texte de protestation et appel à soutien :

Réaction aux arrestations survenues après le rassemblement devant le collège Truffaut de Hautepierre.
Nous dénonçons avec la plus grande vigueur les arrestations de 7 personnes mineures (âgés de 13 et 14 ans) scolarisées au collège Truffaut de Hautepierre suite au rassemblement d’environ 200 collégiens vendredi après-midi, pour protester contre la rupture du contrat de travail d’un assistant d’éducation à la veille des vacances de Noel et présenter diverses revendications relatives au fonctionnement de l’établissement.

Nous nous étonnons du fait que, lors de ce rassemblement dont plusieurs d’entre nous ont été les témoins, les enseignants et personnels d’encadrement du collège Truffaut se soient totalement enfermés dans l’établissement, se refusant de fait à toute prise de contact directe avec les élèves dont nous avons pourtant pu constater l’envie et le besoin de s’exprimer. Il est indéniable que le mépris affiché devant ce mouvement par la direction de l’établissement est l’une des causes des incidents qui ont l’émaillé. Seuls quelques parents d’élèves avaient sont venus discuter avec les collégiens.
Nous dénonçons la répression policière qui a suivi ces incidents et les arrestations, à la suite de contrôles d’identité de la Brigade anticriminalité (BAC), de plusieurs collégiens au moment même où le rassemblement se dispersait dans le calme puis les arrestations survenues au lendemain de ce rassemblement. Alors que des enfants de 13 ans ont passé au moins 48 h en garde à vue, la violence de cette répression apparaît totalement disproportionnée par rapport aux incidents dont nous avons été les témoins, incidents limités à des bris de glace, des accrochages verbaux réciproques entre des collégiens et le CPE du collège et une voiture que des adultes présents en soutien du rassemblement ont empêché d’être renversée.

(...)

Comité de soutien aux jeunes de Hautepierre.


Répondre à cet article