Voir à gauche les mots-clés liés à cet article
Extrait du site « TF1.fr », le 23.12.05 : Paroles de ZEP (2/2)
Suite de notre série de témoignages d’enseignants de ZEP : après la violence, l’impact des émeutes, des profs évoquent leur rôle social, la construction de repères pour les élèves. Ou encore, le fragile équilibre qui sépare une ZEP "calme" d’une ZEP "dure".
"C’est là-bas que je me sens utile"
"J’enseigne depuis dix ans dans un établissement qui cumule tous les labels (ZEP, zone sensible, etc...). C’est un choix volontaire. C’est là-bas que je me sens utile. Notre collège recrute 90,6 % d’élèves en grande difficulté - une proportion qui s’accroît, dans un quartier qui se paupérise.
Les élèves cumulent toutes sortes de problèmes - d’ordre comportemental, de maîtrise de la langue, et les réactions violentes sont souvent leur seule manière d’exprimer leur malaise. On ne peut pas dire qu’ils n’ont pas de repères ; mais ce sont ceux du quartier, avec sa violence, sa misère, et ils entrent en contradiction avec ceux du monde scolaire. C’est déjà beaucoup lorsqu’on arrive à améliorer la capacité des élèves à vivre et travailler ensemble. Du coup, les professeurs travaillent dans un état de tension permanente, même s’il n’y a pas toujours de la violence
Certains disent que le label ZEP stigmatise les établissements concernés. C’est oublier qu’ils se trouvent dans des quartiers qui sont déjà des lieux de stigmatisation. Et nous avons impérativement besoin des moyens qui nous sont alloués !"
Bruno Mer, professeur de français au collège Paul Cézanne, Mantes-la-Jolie (Yvelines)
« Lorsqu’on parle de violence, on finit par oublier le quotidien »
"Ça fait huit ans que je suis au Val-Fourré. Cette année, le collège est entré dans une phase de turbulences. Une salle d’arts plastiques a brûlé ; hier, 30 élèves sont entrés avec un de leur camarade exclu en conseil de discipline et qui venait demander des explications, l’atmosphère a été houleuse... Mais ceci ne doit pas occulter le problème principal : la grande difficulté scolaire. En fonction de l’ancienneté dans les zones sensibles, le regard change.
Lorsqu’on parle de violence, on finit par oublier le quotidien. Une journée typique en ZEP se passe comme dans n’importe quel établissement : vérifier que les élèves ont fait leur travail, appris leur leçon... C’est en ne transigeant pas sur les contenus à transmettre qu’on impose son autorité. Si un élève parle pendant mon cours, je lui demande : "Qui es-tu pour prendre la parole ici ? Tu as lu des ouvrages sur le sujet ? Tu as quelque chose à nous apprendre ?" C’est grâce à ce rapport au savoir que je me suis imposé auprès des élèves, en leur faisant comprendre qu’ils sont là pour apprendre.
La violence, tous les jeunes profs y sont confrontés. C’est vrai, c’est dur de prendre une classe en main, les élèves sont dans une logique de territoire : le nouveau prof, c’est l’étranger, celui qu’on va "tester". Il faut qu’il gagne ses galons. La première année, c’est difficile ; je me souviens d’être rentré chez moi en me demandant à quoi je servais. Puis au bout d’un moment, ils "se lassent", on arrive à nouer une vraie relation. Mais ces rapports se construisent dans la durée. D’où l’importance de la stabilité de l’équipe éducative."
Michel Vialle, professeur d’histoire-géographie au collège George Clemenceau, Mantes-la-Jolie (Yvelines)
"A un ou deux élèves près, l’ambiance change"
"En ce moment, notre école est surveillée la nuit par une société de gardiennage, à cause des dernières violences urbaines. Il y a quatre ans, elle a brûlé, je pense que le maire ne souhaite pas que ça recommence. Pourtant, la violence reste plutôt à l’extérieur. C’est tout un équilibre qui fait que les choses se passent mieux ici qu’ailleurs : l’école a été rénovée, les logements du quartier aussi ; nous avons de bonnes relations avec la majorité des familles, qui s’impliquent, qui sont reconnaissantes pour notre travail ; l’équipe d’enseignants est stable, soudée, elle a bénéficié d’un directeur qui avait beaucoup de dynamisme et de gentillesse...
Le fait d’être classé en ZEP et d’avoir des effectifs réduits joue aussi : la moyenne, c’est 23 élèves par classe. Et on se rend bien compte qu’au-dessus de 20, à un ou deux élèves près, l’ambiance change du tout au tout."
Cécile Pautrel enseigne à l’école primaire Anatole France, Créteil (Val-de-Marne)