Voir à gauche les mots-clés liés à cet article
Extrait de « L’Express.fr » du 14.12.05 : Réforme piégée ?
Gilles de Robien veut s’attaquer au fonctionnement des établissements classés "éducation prioritaire". Bernard Toulemonde [Inspecteur général], qui a essayé d’en revoir la carte en 1998, réagit
Nicolas Sarkozy s’est mis en tête de les dézinguer. Dominique de Villepin veut les relancer. Gilles de Robien n’a plus qu’à accélérer le tempo de la réforme des 908 zones d’éducation prioritaire (ZEP). Le ministre a présenté aujourd’hui son plan d’action, opérationnel dès la rentrée 2006. Ses grands principes : renforcer les moyens sur les 200 à 250 collèges les plus difficiles - ZEP ou pas - labélisés « ambition réussite » ; « dézépiser », d’ici à trois ans, un certain nombre d’établissements ; rapatrier en ZEP 1 000 enseignants chevronnés et volontaires pour épauler les jeunes profs, en échange d’une bonification de carrière ; rendre obligatoires, quatre fois par semaine, des études du soir en CE 2, CM 1 et CM 2, avec des professeurs volontaires ou des assistants pédagogiques (3 000 recrutés) ; donner aux élèves méritants des 250 collèges le droit de déroger à la carte scolaire des lycées. Plus ambitieux, supprimer le redoublement dans ces établissements, en misant sur l’aide individualisée...
Brandies comme les effigies d’une intégration républicaine en panne, les ZEP, dispositif de discrimination positive territoriale créé en 1981, sont à réinventer. Une récente étude de l’Insee les a étrillées : trop peu de moyens (1% du budget de l’Education nationale), pas suffisamment de résultats. La dernière fois que l’on a révisé la carte des ZEP, c’était en 1998. Bernard Toulemonde était alors directeur de l’enseignement scolaire. Aujourd’hui, il faut aller plus loin, dit-il.
Premier axe de relance : concentrer l’aide sur les collèges les plus difficiles et réorganiser la carte des ZEP. Qu’en pensez-vous ?
C’est une bonne chose. Cela fait des années que, sur ce sujet, le silence des ministres est total. Depuis 1981, on n’a cessé d’augmenter le nombre des ZEP et le dispositif s’est dilué. Entre les établissements, les inégalités s’accroissent et bon nombre sont en perdition. Ciblons l’aide sur eux. Revoir la carte ? C’est nécessaire. Il faut en extraire certains établissements dont le label ZEP n’est plus justifié - comme en milieu rural. Mais c’est presque impossible ! ZEP = moyens supplémentaires... alors profs et élus locaux s’allient autour du statu quo. Exemple : le redécoupage que nous avons organisé en 1998. Les instructions de départ étaient de ne pas augmenter le nombre des ZEP. Nous avons mis en place des batteries d’indicateurs pour lister les zones à maintenir, supprimer ou créer. Résultat : devant les résistances, on est passé de 558 à 800 ZEP ! Dans le quart du département de la Nièvre, classé « éducation prioritaire », on n’a pas pu en supprimer un seul... A vrai dire, je pense qu’il sera impossible de revoir la carte, sauf courage politique extraordinaire.
Pour mieux encadrer les jeunes profs de ZEP, le ministre prévoit un soutien resserré des corps d’inspection et une amélioration de la formation initiale...
Il faudrait surtout revaloriser leur rémunération ! Ces enseignants touchent, en plus de leur salaire, une aumône annuelle de 1 100 euros. Chaque rentrée, la moitié des jeunes certifiés sont envoyés, sans véritable formation, dans les académies de Créteil et de Versailles. Avec l’idée d’en partir au plus vite. Certains collèges voient 50% des profs déguerpir chaque année et sont touchés par l’absentéisme. Dans l’académie de Créteil, j’avais étudié un collège sur un an : 20% des cours n’avaient pas eu lieu. Je plaide, depuis longtemps, pour régionaliser le recrutement. Autre piste : redistribuer des avantages accordés aux fonctionnaires d’outre-mer. Quand ils partent en Polynésie, leur salaire est doublé et ils touchent une indemnité d’ « éloignement » (un an de salaire, tous les trois ans) !
D’après vous, il faudrait aussi recruter les profs selon leur profil...
La mutation au barème, qui revient à considérer que tous les établissements se valent, est dépassée. Certains sont plus difficiles que d’autres. Il faudrait « profiler » les postes, recruter les enseignants après s’être assuré qu’ils conviennent aux exigences locales. Le dispositif des « affectations à caractère prioritaire justifiant une valorisation » (APV) va dans ce sens. Le ministre veut le renforcer ? Très bien. Mais on pourrait aller plus loin, transposer en ZEP ce qu’on fait en prépa : l’Inspection générale y sélectionne les enseignants... Leur formation est aussi à professionnaliser. Et puis parlons des contenus enseignés. Au lieu de pousser nombre d’élèves vers la sortie, avec l’apprentissage à 14 ans, mieux vaudrait inciter le collège à diversifier ses approches pédagogiques et à y introduire un réel bagage technologique, concret. Car le fossé entre les élèves et la culture scolaire s’élargit de jour en jour
Propos recueillis par Natacha Czerwinski et Delphine Saubaber