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Jean-Paul Delahaye et Christian Forestier : "Notre élitisme n’est pas républicain"

30 mai 2016

Jean-Paul Delahaye et Christian Forestier : L’idéal républicain et l’école aujourd’hui

Dans les parties de notre territoire touchées par la pauvreté, notamment les quartiers ghettoïsés ou les zones rurales isolées, les valeurs de la République apparaissent trop souvent aux habitants plus comme des incantations que comme des réalités vécues. Comment entrer sereinement dans les apprentissages quand on est mal logé, qu’on a des difficultés pour se soigner, se nourrir, pour s’habiller, pour payer les fournitures et les équipements, pour participer aux sorties et voyages scolaires ? La situation est d’autant plus préoccupante que la France est l’un des pays dans lesquels l’origine sociale pèse le plus sur les destins scolaires. Si le système éducatif a considérablement évolué depuis quelques décennies, les écarts de réussite et de parcours entre les milieux sociaux n’en demeurent pas moins. Les sortants sans diplôme proviennent plus fréquemment de milieu social défavorisé. 90 % des enfants de cadres ou d’enseignants ont le baccalauréat sans problème 7 ans après leur entrée en 6e. Ce n’est le cas que pour 40 % des enfants d’ouvriers.

"Notre élitisme n’est pas républicain"

Dans tous les pays du monde, quel que soit le niveau de développement, l’école reproduit toujours les inégalités de la société, parfois en les réduisant, parfois en les confortant. Mais, ce qui est mis en évidence par toutes les études, nationales ou/et internationales, c’est qu’en France, aujourd’hui, le déterminisme scolaire à partir des origines sociales, non seulement ne recule pas, mais au contraire s’aggrave.

Le fonctionnement du lycée permet à lui seul de comprendre les ressorts du système. Jusqu’en 1965, il n’existe qu’un baccalauréat général à quatre spécialités donc TOUS les jeunes qui arrivent au lycée se retrouvent forcément dans la voie générale. Mais au moment où la massification est à sa première apogée, en 1965 donc, on crée une seconde voie de baccalauréat, la voie technique qui va devenir technologique. Cette création qui part d’une intention louable a deux conséquences : une bonne, elle permet d’augmenter le nombre de bacheliers par génération, une mauvaise, elle se traduit par une baisse du taux d’accès au baccalauréat général notamment pour les enfants d’origine modeste. Dit autrement, en offrant une alternative aux plus modestes, on peut mieux préserver les plus favorisés. Le même phénomène se reproduit en 1985 avec la création du baccalauréat professionnel. Pour résumer : aux enfants du baby boum qui avaient de bons résultats scolaires, on ne pouvait offrir qu’un baccalauréat général, ce qui a permis à un nombre non négligeable d’enfants de milieux modestes d’atteindre des formations élitistes préalablement réservées aux enfants de la bourgeoisie. On a démocratisé en apparence l’accès au baccalauréat mais on a préservé pour l’élite sociale la voie la plus porteuse.

Les inégalités n’ont donc pas disparu, elles se sont déplacées pour favoriser une sorte de « préservation de l’espèce ». Notre élitisme n’est pas républicain, il est essentiellement social. A ce niveau atteint par les inégalités, il devient absurde et cynique de parler d’égalité des chances, c’est à l’égalité des droits qu’il faut travailler.

Pour un débat politique sur les élites

Comment être crédible s’agissant du « vivre ensemble » si nous ne sommes pas capables de « scolariser ensemble » ? La loi de refondation de 2013 s’est donnée pour objectif la réduction des inégalités en concentrant les moyens dans les territoires les plus fragiles, notamment de l’éducation prioritaire, en réformant l’organisation pédagogique de l’école pour qu’elle ne soit plus seulement l’école du tri et de la sélection mais celle de la réussite de tous, en donnant la priorité à l’école primaire, à la formation des personnels, en construisant enfin une alliance éducative entre tous les partenaires de l’école : parents, collectivités locales, associations.

Mais toutes les lois depuis la libération affichaient un objectif de démocratisation. Et pourtant, le pourcentage d’enfants d’origine modeste dans les plus grandes écoles est aujourd’hui plus faible que dans les années soixante.

Pour que la loi de refondation de 2013 puisse avoir une chance de réussir on doit comprendre que la réponse ne peut être que technique mais aussi et surtout politique. Le processus de sélection qui fonctionne tout au long de la scolarité est en effet d’abord piloté politiquement avant d’être le fruit de procédures réglementées. L’idée que tous les enfants sont capables d’apprendre n’est pas dans l’ADN des français et notamment de leurs élites et parfois de leurs enseignants ; et l’idée qu’il existe une seule voie royale d’accès, ou de maintien dans l’élite, est tout aussi ancrée dans la société française. Tant que le débat ne sera pas porté politiquement, toutes les mesures techniques seront sans effet. La question est donc : comment faire porter politiquement un tel débat par des élites qui n’ont jamais été autant clonées ?

Jean-Paul Delahaye et Christian Forestier
Anciens directeurs des enseignements scolaires au ministère de l’éducation nationale

Extrait de cafepedagogique.net du 30.05.16 : Jean-Paul Delahaye et Christian Forestier : L’idéal républicain et l’école aujourd’hui

 

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