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Les quatre fractures numériques : équipement, enseignants, usage par les élèves, par les parents, et la difficulté de les mesurer (Bruno Devauchelle)

1er juin 2016

[... Fracture dans l’équipement
La première de ces fractures concerne d’abord les disparités entre établissements en matière d’équipement. Depuis 1985 et l’arrivée du plan Informatique Pour Tous, les politiques caressent le rêve d’une généralisation des équipements. Le dernier plan numérique n’échappe pas à ce rêve, presque un fantasme. Car la réalité des équipements informatiques (matériels, réseaux, infrastructures, wifi etc.) est beaucoup plus chaotique que des statistiques générales (ratio nombre d’ordinateur/nombre d’élèves) ne le laissent croire et/ou penser. Au cours des six derniers mois nous avons recueillis de nombreux témoignage de cette fracture entre établissements scolaires.

Fracture dans les équipes éducatives
La seconde fracture concerne les équipes éducatives et enseignantes. Les équipes enseignantes ne sont pas homogènes. Et cela est finalement plutôt intéressant quand on considère la valeur éducative de la diversité des personnes et des disciplines. Cependant, comme le livre, les moyens numériques, en se banalisant dans la société, sont appelés à intégrer le cœur des pratiques enseignantes. Cependant l’analyse des pratiques effectives montrent deux choses : d’une part que nombreux sont les enseignants qui n’utilisent que très rarement des moyens numériques et que d’autre part, les pratiques sont elles-mêmes très éloignées les unes des autres et que celles qui amènent les élèves à utiliser l’informatique restent minoritaire (25% dans les collèges connectés et préfigurateurs - source DEPP). Certes les raisons qui l’expliquent peuvent sembler bonnes, il n’en reste pas moins, et les élèves aussi le constatent, la fracture est bien là. D’un niveau à l’autre, d’une classe à l’autre, les variations sont si importantes, dans certains cas, que la rupture d’égalité s’immisce au cœur du quotidien pédagogique et didactique, malgré les recommandations institutionnelles. Loin des discours enflammés et médiatisés des pratiques dites innovantes, la réalité est fort contrastée.

[...] Fracture des usages
La troisième fracture est celle des usages par les élèves. Comme pour la maîtrise du langage oral à l’entrée à l’école maternelle, la maîtrise de l’usage du numérique par les élèves est aussi fortement inégale. En plus de trente années de volontarisme politique, aucune réelle tentative d’égalitarisation dans ce domaine n’a été systématisée. Alors que le B2i indiquait la voie, détracteurs, acteurs et autres décideurs ont renoncé à le mettre en application (alors qu’il était dans la loi depuis 2006 !!!). Lorsque l’on entend des enseignants et éducateurs dire des jeunes, ils sont plus à l’aise que nous, on entend, en écho, d’autres enseignants dire l’inverse, ils n’y connaissent rien. Cette fracture, elle s’exprime déjà là.

Face à l’ordinateur scolaire, les pratiques sociales et familiales n’ont que peu droit de cité. Il est une fracture souterraine qui se situe entre les pratiques des deux espaces de vie des jeunes. D’une part dans la vie quotidienne ils utilisent de façon très variable les moyens numériques à leur disposition (et les statistiques montrent qu’il y a une généralisation d’usage) et d’autre part, dans le monde scolaire on leur demande d’entrer dans des cadres d’usage imposés dans lesquels ils ont parfois du mal à trouver sens. Fort heureusement il y a une régulation horizontale (entre eux) qui vient compenser le déficit de régulation verticale (des parents comme celle des enseignants...).

[...] Fracture parentale
La quatrième fracture est celle des usages par les parents. Beaucoup de parents, en particulier parmi ceux qui ont plus de quarante ans, sont assez distant avec les objets numériques connectés. Certes ils utilisent les smartphones, mais au cœur des usages, il y a de nombreuses différences et en particulier dans certaines activités du type réseau social. L’attention des parents pour le parcours scolaire des enfants évolue au fur et à mesure de l’âge des enfants. L’usage des moyens numériques pour le suivi de la scolarité des enfants est une porte à de nouvelles postures. Cependant cela ne semble pas modifier les choses. La question n’est pas d’abord numérique, mais éducative. Paradoxalement, c’est probablement en matière d’équipement familial qu’il y a le moins de fracture. Par contre la relation au numérique scolaire est très variée et révèle aussi des disparités, mais elles sont peu différentes de celles des époques antérieures. Aux difficultés culturelles face aux livres et à l’écrit se substituent d’autres difficultés assez différentes, mais tout aussi culturelles face aux multimédia interactif connecté.

[...] Ces quatre fractures ne sont pas dissociables les unes des autres. Elles doivent être étudiées en système. Consulter les statistiques d’usage d’un ENT est un des moyens pour observer les disparités comportementales. On peut y suivre l’activité de chacun des acteurs de l’école et ainsi observer ces différences d’usage. Mais pour cela il faudrait analyser ces données.

[...] D’un établissement scolaire à l’autre, et compte tenu de ces disparités, il est nécessaire d’alerter les politiques. Allez au-delà des questions partisanes et conjoncturelles. Réfléchissez vraiment à ce qu’est une politique d’égalitarisation (et non pas d’égalité) de la population face au numérique. Au-delà des coups de pub et autres présences médiatiques, il est temps de se pencher sur ce que peut être, doit être l’engagement du monde scolaire dans le numérique pour parvenir à éviter ces fractures. Face aux livres, un équilibre a été trouvé, mais l’école, fondamentalement inégalitaire, n’a pas su compenser : il ne suffit pas qu’il y ait des livres dans l’école pour qu’on sache lire dehors et qu’on le fasse réellement.
Aujourd’hui le renversement est total : la culture ordinaire est en évolution à cause du numérique, et le monde scolaire ne sait pas comment combler les fractures qui émergent à l’intérieur et à l’extérieur de l’école.

Extrait de cafepedagogique.net du 27.05.16 : Bruno Devauchelle : Les fractures numériques sont aussi scolaires...

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