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Extrait du « Monde » du 22.11.05 : Le gouvernement hésite sur les moyens à donner aux ZEP
Depuis près de vingt-cinq ans, l’Etat affirme "donner plus à ceux qui ont moins" grâce à la politique des zones d’éducation prioritaires (ZEP). Cette volonté est-elle réellement mise en oeuvre ? Avec l’extension progressive du dispositif, qui touche aujourd’hui plus d’un écolier et collégien sur cinq, la discrimination positive apparaît en réalité assez modeste. Les quelque 600 millions d’euros consacrés chaque année à cette politique sont en effet censés réduire les inégalités subies par 1,7 million d’élèves (400 millions d’euros) et compenser la pénibilité du travail pour plus de 150 000 enseignants (200 millions d’euros).
Face à la crise des banlieues, dans l’idée d’améliorer "l’égalité des chances", le gouvernement, par la voix du premier ministre, Dominique de Villepin, a promis "une réorganisation et une relance" de l’éducation prioritaire. Le ministre de l’éducation nationale, Gilles de Robien, qui avait fait de ce dossier une de ses priorités, n’a, pour l’heure, donné aucune indication précise sur les pistes qu’il comptait suivre. Plusieurs interrogations majeures doivent encore être levées.
Le premier enjeu est budgétaire : dans quelle mesure faut-il accentuer l’effort financier pour l’éducation prioritaire ? Tous les acteurs s’accordent pour juger le financement actuel, qui représente 1 % du budget du ministère de l’éducation, nettement insuffisant. En comparaison avec d’autres politiques, l’investissement pour les ZEP doit être relativisé : il représente seulement 235 euros supplémentaires par élève et par an. Un collégien de ZEP coûte ainsi, pour l’Etat, nettement moins cher qu’un lycéen et près de deux fois moins qu’un élève de classe préparatoire aux grandes écoles.
Autre exemple, l’éducation nationale donne plus aux territoires ruraux : les académies les mieux financées en métropole sont la Corse (4 960 euros par élève en moyenne) et le Limousin (4 740 euros). Celles qui figurent parmi les moins dotées sont à dominante urbaine, là où les ZEP sont plus nombreuses, notamment Rhône-Alpes (3 640 euros), Nord - Pas-de-Calais et Provence-Alpes-Côte d’Azur. Cette différence s’explique par la petite taille des établissements ruraux, proportionnellement plus coûteux. Mais aussi par des économies réalisées dans les ZEP : plus jeunes, les professeurs des établissements prioritaires sont moins bien rémunérés.
Avec ces limites, la politique des ZEP a permis de réduire les effectifs dans les classes : on compte deux élèves de moins en moyenne par classe à l’école primaire et au collège. Cette réduction est toutefois jugée inefficace par les experts. L’économiste Thomas Piketty a ainsi montré que la diminution du nombre d’élèves était pertinente d’un point de vue scolaire à la condition que cette réduction soit importante et ciblée (Le Monde du 6 septembre 2004). Plus récemment, une étude publiée par l’Insee indiquait que les ZEP n’avaient eu aucun impact sur la réussite des élèves, en raison de la faiblesse des moyens déployés.
La situation ne s’est pas améliorée ces trois dernières années. Les gouvernements Raffarin et Villepin ont, en effet, choisi de ne pas épargner les ZEP dans leur recherche d’économies budgétaires. Avec le non renouvellement des « emplois jeunes », remplacés en partie, et la diminution du nombre d’enseignants dans les collèges et lycées, l’Etat a réduit son intervention dans certains quartiers difficiles.
La scolarisation des élèves de 2 ans, censée réduire les inégalités dès le plus jeune âge, a aussi souffert de ces restrictions. La FSU, qui revendique un rattrapage budgétaire, estime que 600 postes d’enseignants ont été perdus, en 2004, dans les ZEP.
La seconde interrogation fondamentale porte sur la carte des ZEP : faut-il arrêter de disperser les moyens sur un grand nombre d’établissements et les concentrer sur les sites les plus difficiles ? Le nombre d’élèves concernés a explosé depuis la création du dispositif. En 1982, on recensait 8 % des écoliers et 10 % des collégiens dans les zones d’éducation prioritaires ; en 2004, 20 % des élèves y étaient scolarisés.
Pour retrouver l’esprit initial de la discrimination positive, l’Observatoire des zones d’éducation prioritaires (OZP), une association professionnelle, plaide ainsi pour le maintien de l’effort budgétaire dans les zones actuelles et un renforcement significatif des aides dans les 5 % d’établissements les plus difficiles. En réponse, Gilles de Robien a annoncé qu’il comptait revoir la carte de l’éducation prioritaire tout en laissant entendre qu’il serait prudent. Les tentatives précédentes se sont en effet heurtées à la résistance d’enseignants qui refusaient de perdre le label ZEP et les 1 100 euros annuels d’indemnités.
Le troisième enjeu est celui de l’affectation des professeurs : comment inciter les enseignants les plus expérimentés à s’engager dans les écoles et collèges difficiles ? Aujourd’hui, dans les ZEP, 25 % des enseignants ont moins de 30 ans, contre 15 % ailleurs.
Les établissements populaires souffrent d’un turn-over des professeurs trop important. Gilles de Robien a annoncé qu’il réfléchissait à un moyen de "donner des bonus de carrière à des professeurs expérimentés" afin qu’ils reviennent "en ZEP épauler leurs jeunes collègues".
Luc Bronner