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"Réapprendre à lire. De la querelle des méthodes à l’action pédagogique", par Sandrine Garcia et Anne-Claudine Oller, Le Seuil, 2015 (une sévère critique des a priori universitaires et idéologiques sur l’apprentissage de la lecture)

31 août 2015

Additif du 01.09.15

Sandrine Garcia et Anne-Claudine Olier, Réapprendre à lire. De la querelle des méthodes à l’action pédagogique. Seuil.

Peut-on débattre sereinement des méthodes de lecture ? C’est le pari du livre de Sandrine Garcia et Anne-Claudine Olier, deux sociologues qui secouent les certitudes bien installées. Les auteurs brisent tous les tabous et prennent le risque de relacer une guerre des méthodes dont l’école n’a pas fini de payer le prix. Appuyées sur l’histoire des méthodes d’apprentissage, les auteurs ont aussi expérimenté leur propre méthode auprès d’élèves en difficulté. Leur thèse veut réhabiliter un enseignement explicite de l’apprentissage du déchiffrage.

Les politiques ont-ils tué toute possibilité de faire évoluer les méthodes d’apprentissage de la lecture ? On se souvient de la campagne menée par de Robien pour la méthode syllabique. En jetant le discrédit sur le travail des enseignants elle avait creusé le fossé entre l’école et les parents et au final aggravé les difficultés scolaires. Depuis un consensus officiel s’est fait dans l’institution scolaire. Mais la guerre des méthodes continue sur le plan commercial. Sur le terrain de la recherche les neurosciences prennent une influence croissante.

[...] Condamnant les méthodes enseignées aujourd’hui aux professeurs, elles estiment que les enseignants ont été dépossédés des aspects pratiques de l’apprentissage de la lecture. Cela expliquerait l’importance de l’échec scolaire. Cette situation conduit à médicaliser les difficultés scolaires et à en rejeter l’origine sur l’élève.

Même s’il se démarque des partisans de la méthode syllabique, avec ses critiques de l’institution scolaire, l’ouvrage prend le risque de rouvrir la guerre des méthodes. Pas tendre avec les acteurs de la formation des enseignants du dernier demi siècle, il devrait aussi susciter des réactions dans le monde de la formation.
François Jarraud

 

Entretien avec le Café pédagogique

[...] Vous dites qu’on a "intellectualisé" l’apprentissage de la lecture. C’est à dire ?
Nous avons voulu montrer que quelques acteurs, qui étaient en position favorable dans les années 1970-1980, ont fait un usage instrumental et politique des apports de la linguistique dans le domaine de l’apprentissage de la lecture, quelques formateurs d’école normale en particulier.

Ce que nous appelons intellectualiste est le fait de défendre des conceptions qui « fonctionnent » théoriquement, elles peuvent être défendues logiquement, mais elles ne sont pas mises à l’épreuve du réel. Par exemple, on a dévalorisé la lecture à voix haute, sous prétexte qu’elle ne correspondait à aucune « fonction du langage » (au nom des découvertes linguistiques sur les « fonctions du langage »), alors que la lecture à voix haute est très utile pour l’apprentissage, on a voulu plaquer le modèle du lecteur expert, alors que précisément c’est l’apprentissage qui permet de développer l’expertise, etc. On a excessivement déprécié les étapes et la progressivité, alors qu’elles sont nécessaires, négligé le rôle de l’entraînement pour mettre l’accent sur « de vrais textes », donc inaccessibles techniquement.

Plus récemment, on a prétendu qu’il était nécessaire que l’entrée dans l’écrit se fasse par de vrais textes littéraires (albums jeunesse) qui ne devaient pas être faits pour l’apprentissage de la lecture. Concrètement, comment les élèves, et tout particulièrement ceux qui sont les plus distants de la culture scolaire et qui n’apprennent pas à lire (ou même quelques rudiments de la lecture) chez eux, font-ils pour lire des textes issus de la littérature jeunesse, dont les tournures de phrases sont complexes et dont les mots sont eux-mêmes composés de graphèmes complexes ? C’est un héritage ou une séquelle de cette période de l’histoire : il faut partir de vrais textes qui comprennent déjà tous les éléments auxquels est confronté le lecteur expert. C’est très bien pour noyer les élèves mais est ce le but ?

Une autre accusation c’est qu’on a dépouillé les enseignants de leur savoir Que voulez vous dire ?

On dit plutôt qu’on leur impose trop souvent des choses qui sont de l’ordre de la croyance, de la conviction, de l’impossible à tenir ou de l’inutile. Par exemple, certains inspecteurs vont être attachés à ce que les enseignants fassent des Programmes de Réussite Educative (PPRE) alors que cela peut se faire au détriment du temps passé à aider l’élève et que cela ne garantit absolument rien, l’important étant ce que les enseignants font avec les élèves. On leur demande aussi de différencier la pédagogie, tout en leur reprochant de le faire par un « ajustement à la baisse » des exigences. Mais les élèves ayant un niveau déjà très inégal à l’entrée du CP (et sans doute avant), leur demander de différencier la pédagogie dans le cadre de la classe et sans leur apporter de forces supplémentaires, c’est de fait les placer dans une situation où ils ne peuvent qu’adapter les attentes et le travail de l’élève à son niveau, donc à creuser les inégalités, ce qu’on leur reproche aussi de faire.

[...] Vous présentez une démarche appuyée sur une approche sociologique : c’est à dire des apprentissages différents selon les classes sociales ?

Surtout pas ! Il ne faut pas avoir une lecture réductrice de Bourdieu, qui a été mal compris et suspecté de nourrir une vision déficitariste des classes populaires. Au contraire, à la fin de leur ouvrage, La Reproduction, Bourdieu et Passeron formulent l’idée de la possible mise en œuvre d’une « pédagogie rationnelle », c’est-à-dire efficace pour tous les élèves et qui permette à ceux qui sont les moins dotés en capital culturel et scolaire, de pouvoir combler les inégalités scolaires d’origine sociale (qu’on ne peut nier).
Et justement, c’est l’hypothèse de la possible mise en œuvre d’une pédagogie rationnelle que nous avons souhaité tester et mettre en œuvre. Ce qui varie en effet, c’est le temps d’entraînement : en étant en plus petit groupe pendant les « ateliers lecture », on permet aux élèves rencontrant des difficultés de pouvoir plus s’entraîner (concrètement 15 minutes de lecture par élève, 30 minutes d’encodage). Ce point n’est pas insignifiant, au contraire, il est fondamental puisque ces élèves ne passent pas leur temps à essayer de rattraper un retard impossible à combler puisque dans l’ensemble des dispositifs habituellement mis en œuvre, pendant que les élèves en difficultés sont pris en charge, le reste de la classe poursuit ses apprentissages, apprend de nouvelles choses. Ici, ce n’était pas le cas et nous insistons dessus : tous les élèves travaillaient la même chose (même graphème, même page de manuel), mais le temps de lecture par élève était bien supérieur pour ceux pris en « atelier lecture ».

[...] Mais quelle place donnez vous alors au sens ? Peut on apprendre à lire sans maitriser le sens ?

L’opposition entre déchiffrage et la compréhension fait justement partie de ces croyances héritées des années 1970-80. Ce n’est pas le déchiffrage qui empêche de comprendre, c’est un déchiffrage de mauvaise qualité. Nous accordons au sens toute son importance. La différence, c’est que nous faisons une différence entre les différents usages de la lecture et les différents degré du sens : le sens littéral (qui est tout de même le plus courant dans la vie quotidienne) et la compréhension des inférences. Nous ne disons pas qu’il ne faut pas travailler sur la compréhension du sens littéral et sur la compréhension des inférences. Ce que nous disons, c’est qu’il n’est pas possible d’accéder au sens littéral d’une phrase et plus encore à son sens caché si on ne lit pas correctement et de manière suffisamment fluide. [...]

Votre étude repose sur un échantillon limité. Peut on vraiment en étendre les conclusions ?

Nous n’empêchons personne de faire la même chose sur de plus effectifs, bien au contraire ! Nous donnons toutes les clés, théoriques et pratiques ! La question de l’échantillon est d’ailleurs un faux problème car nous ne nous sommes pas limitées à aller voir une fois 4 classes de CP. Nous y avons consacré de longs temps d’observation participante et d’investigation en faisant passer des tests de fluence afin d’objectiver les résultats. Nous avons également eu le souci de pouvoir mettre en place le dispositif construit dans deux écoles socialement différenciées et de pouvoir les comparer à partir d’écoles « témoin », socialement comparables.

Grâce au dispositif, nous avons pu constater que des élèves de milieu très populaire obtenaient de meilleurs résultats que des élèves plus dotés socialement et dont l’apprentissage de la lecture n’était ni explicite, ni systématique. On peut alors réduire considérablement les inégalités, ce qui est selon nous, le véritable enjeu de l’école de demain.
Propos recueillis par François Jarraud

Sandrine Garcia est professeure de sciences de l’éducation à l’université de Bourgogne et Anne Claudine Oller est maitre de conférences à l’Université Paris Est Créteil.

Extrait de cafepedagogique.net du : Réapprendre à lire avec l’enseignement explicite ?

 

Professeur en sciences de l’éducation, Sandrine Garcia signe, avec Anne-Claudine Oller, Réapprendre à lire. Cette enquête sur l’acquisition de la lecture met en cause les méthodes actuelles, pourtant issues d’une volonté de contrecarrer la reproduction sociale. Cette charge sévère et ­argumentée, donnée par une ­universitaire qui a travaillé avec Pierre Bourdieu, est inattendue – et à méditer.

[...] Nous avons recommandé, pour l’ensemble des élèves, une méthode dite « explicite » d’apprentissage de la lecture grâce à laquelle tous les élèves maîtrisaient les relations entre les graphèmes et les phonèmes (lettres et sons). Tous les éléments permettant le déchiffrage étaient explicitement enseignés.

[...] L’apprentissage de la lecture a été excessivement politisé et repose sur des croyances que l’on ne peut remettre en cause sous prétexte qu’elles ne seraient pas conformes au progressisme politique tel que défini par des acteurs qui s’en ­considèrent comme les dépositaires. On aboutit à ce constat que le progressisme n’est pas toujours associé à ce qui fait progresser les élèves, mais à ce qui a été construit et imposé comme « pédagogiquement de gauche ».

Extrait de lemonde.fr du 27.085 : Ecole primaire. La fabrique des dyslexiques

 

[...] Plus spécialisés, deux universitaires, Sandrine Garcia et Anne-Claudine Oller, révèlent, à partir de deux enquêtes de terrain menées dans deux CP sur l’apprentissage de la lecture, les dérives d’un système scolaire qui tend à « psychologiser » et « médicaliser » l’échec scolaire. Derrière la querelle des méthodes, Réapprendre à lire (Seuil) est, plus largement, une sévère remise en cause de choix pédagogiques compromettant la démocratisation de l’enseignement scolaire.

Extrait de liberation.fr du 25.08.15 : Ecole : la rentrée des essais

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