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Dans le cadre des "24 heures de la Maternelle" dans la Sarthe, création de jeux coopératifs pour développer le langage de la communication à l’école ECLAIR Petit Louvre du Mans

24 juin 2015

Du jeu coopératif vers le langage de communication à l’école ECLAIR Petit Louvre du Mans
"Jouer ensemble pour parler grand" : fédérées dans une recherche-action pluriannuelle autour de ce thème, les écoles sarthoises ont activement participé à la seconde édition des "24 heures de la maternelle" fin novembre 2013.

Cette manifestation, impulsée par M.-H. Oger, inspectrice de l’éducation nationale (IEN) chargée de mission maternelle sous la responsabilité de l’IA-DASEN de la Sarthe, est un moment fort dans un parcours de formation ambitieux (voir annexe) : tous les acteurs de la maternelle se mobilisent dans une réflexion partagée sur le jeu, vecteur d’apprentissages, levier fécond pour travailler le langage. En 2012, la réflexion portait sur l’aménagement spatial des coins-jeux dans la classe et sur les modalités de leur utilisation

Pour cette seconde édition, les équipes enseignantes ont innové en créant des jeux coopératifs : dans le but d’atteindre un objectif commun, les jeunes joueurs sont solidaires, s’entraident, construisent des stratégies d’équipe, ce qui les amène à comprendre et se faire comprendre. Qu’ils gagnent ou perdent, c’est tous ensemble. Les enjeux de communication et de socialisation sont riches dans cette activité ludique où l’enfant s’investit par plaisir.

Quel panel de jeux mettre en place ? Selon quels objectifs ? Comment utiliser le jeu pour permettre à l’élève d’acquérir du vocabulaire et de développer la syntaxe de ses phrases ? Comment, corollairement, lui permettre d’allonger son temps de parole ? Comment observer, évaluer les progrès pour construire ensuite des démarches d’enseignement différenciées ?
Ces questions sont le cœur de la réflexion didactique et pédagogique des enseignants.
En ce sens, les actions innovantes mises en œuvre dans les écoles pour les "24 heures" sont aussi le miroir de la pratique quotidienne. Jeu coopératif et langage, du plaisir à l’apprentissage, partons à la rencontre croisée de professeurs de maternelle qui, pour Échanger, font part de leur expérience. Les éclairages d’Éric Fleura, conseiller pédagogique départemental maternelle 3, jalonnent ce parcours de réflexion.

Vivre le lexique
Pour construire une dynamique dans les apprentissages, certains enseignants font converger le thème périodique travaillé et l’univers des jeux proposés. Il faut alors le plus souvent les créer pour assurer une continuité thématique et didactique. […]

De la compréhension à la parole
Une fois le lexique visé suffisamment travaillé, quel jeu concevoir pour que la coopération crée un espace de parole suffisant pour développer le langage ? À l’école d’application [ECLAIR] Petit Louvre, au Mans, l’équipe a choisi de travailler sur l’eau, en lien avec l’environnement naturel proche de la structure. Un thème unique pour toutes les classes multi-âge, cent quatorze élèves au total.
Les enseignants ont créé des jeux coopératifs que les enfants ont pratiqués plusieurs fois pendant les deux semaines précédant la manifestation. L’un, nécessitant une mise en place délicate à l’échelle de toute une classe, n’avait été expérimenté qu’une seule fois : l’aménagement d’un aquarium dans une salle.

Le jour des "24 heures", les élèves participent au jeu par groupes de huit. La consigne annoncée par l’enseignante est laconique : "Il faut que vous m’aidiez, j’ai un deuxième poisson, il faut lui aménager son aquarium.", explique É. Montessinos. Devant elle, trois tables disposées en triangle occupent la moitié de la salle de classe ; sur la première, un aquarium vide, sur la seconde, une grande bassine remplie d’eau, sur la troisième un récipient qui contient des cailloux. À huit, il va falloir s’organiser pour que le parcours de transport d’eau ne soit pas trop chaotique…

Au début du jeu, l’enseignante réactive le lexique nécessaire. "De quoi avons-nous besoin ?", lance-t-elle. Les enfants répondent, mais pas tous. À certains, la maîtresse montre des images et, ainsi stimulés, les enfants retrouvent les mots. L’enseignante rectifie la prononciation si elle est erronée.
Il faut ensuite commencer, sans consigne complémentaire. Comment ? Tout d’abord, on imite ! Les enfants, spontanément, se regroupent autour du bac à cailloux… Le coin-dînette à proximité offre une opportunité : un enfant commence à la cuillère, les autres suivent… Mais très vite un autre prend un bol, et puis son camarade va chercher un récipient encore plus grand. On s’active, on se parle, on se bouscule un peu aussi, mais les petits conflits sont vite réglés. Deux leaders improvisés rappellent à l’ordre ceux qui se détournent de l’objectif collectif. Soudain, un enfant demande s’ils peuvent commencer à mettre de l’eau. Oui ! Alors on s’organise, ceux qui restent aux cailloux, ceux qui se chargent d’acheminer l’eau jusqu’à l’aquarium. L’enseignante photographie les enfants en action. L’un d’eux prend un godet et demande, tout surpris : "Ça coule, comment faire ?". S’ensuit un vrai échange avec le professeur qui relance sans cesse la parole pour amener l’enfant à trouver la solution au problème tout en la verbalisant.
Au bout du temps imparti, on est un peu mouillés, mais l’aquarium est prêt, la coopération a porté ses fruits : les échanges, au cœur de l’action, ont bien eu lieu, entre pairs, mais aussi avec l’adulte. “Ce dernier met en œuvre du langage d’accompagnement de l’action que l’enfant est en mesure de comprendre par l’action conjuguée au contexte, aux gestes et aux mimiques de l’adulte”, explique É. Fleurat.

Des mondes imaginaires vecteurs d’apprentissage
Pendant toute la période de ce projet sur l’eau, l’équipe a fait le choix de créer un univers permanent dans la salle de motricité ; les jeux coopératifs installés n’étaient pas rangés. “C’est très stimulant pour les enfants, explique V. Couzon, directrice de l’école. Une fois la porte fermée, ils ne voient plus leur salle de motricité, ils entrent vraiment dans un autre monde”. Ce nouveau paysage est induit par les consignes des jeux.

Par exemple, celui du pont : "Vous devez fabriquer un pont, mais vous n’avez pas le droit d’aller dans la rivière". Celle-ci est symbolisée par des tapis bleus alignés. Les élèves assemblent de gros éléments de formes et couleurs variées. Une fois le pont construit, chacun passe dessus pour savoir s’il est solide. On peut s’aider, se conseiller.
Si le pont est praticable, c’est gagné, l’enseignant propose de passer à la deuxième étape : construire un autre pont, cette fois avec des briques. Nul doute que les enfants voient vraiment l’eau et le pont. Même quand le jeu est terminé, ils ne passent pas dans la zone bleue… "C’est bien simple, témoignent les enseignants amusés, depuis que la salle de motricité s’est transformée en paysage aquatique, aucun enfant ne marche plus sur la zone bleue, même quand on ne joue pas !" […]

Expérimenter avec son corps
Ces jeux inventés par les enseignants en fonction de leurs objectifs pédagogiques sont souvent à taille d’enfant : en maternelle, expérimenter par le corps est nécessaire pour découvrir et comprendre le monde. […]

Faire évoluer le scénario pédagogique
Cette mise en place libère l’enseignante qui peut observer, écouter les échanges : le réinvestissement du vocabulaire de la ville, la construction des phrases, la place de chacun, le jeu de questions-réponses pour élaborer une stratégie. Comment renouveler cette activité pour amener les élèves à enrichir leurs échanges ? En proposant une nouvelle forme du jeu, cette fois à l’échelle de la cour. Durant les "24 heures de la maternelle", les parents ont été mis à contribution ; ils ont fait des propositions étudiées ensuite par les enseignantes. Pour adapter le jeu en format géant, l’utilisation de brouettes, de landaus, de chariots, mais aussi celle du marquage au sol et des installations (toboggan, camion…) sont envisagées. Une manière innovante de reconduire autrement cette activité ludique avec des objectifs de langage à chaque fois un cran plus ambitieux. Il s’agit ici de développer les échanges et donc d’allonger le temps de parole.
"Pour s’approprier les savoirs, il faut changer de contexte et agir selon ses objectifs propres, qui sont ici orientés vers une coopération, explique É. Fleurat. En passant dans la cour, le matériel mis à disposition des élèves sera nécessairement plus volumineux. Or, la manipulation de grands objets nécessite plus de coopération, il faut trouver des solutions. Il s’agit là de réussir à résoudre une situation-problème à plusieurs."

Des jeux créés par les élèves
[…]

Parler “grand” pour construire le projet
[…]

Le temps, un allié pour ancrer les apprentissages
Comment passer progressivement du jeu-plaisir où la parole est spontanée et décuplée grâce à la coopération, à un temps de travail du langage formalisé ? De concert, les enseignants expliquent que la répétition des mots comme celle des activités ainsi que le temps qui passe sont leurs alliés. “L’enfant doit avoir le temps de s’approprier le jeu comme un capital, explique É. Fleurat. Pour cela, il faut reconduire l’activité-jeu plusieurs fois, mais en laissant passer un temps suffisant pour que les enfants l’intègrent à leur capital culturel et cognitif. De quelques heures à quelques semaines (chez les plus jeunes), entre les sessions où les enfants jouent pour le plaisir, et celles où ils allient ce plaisir à des apprentissages formels programmés par l’enseignant”.
Le travail sur la langue s’inscrit donc dans cette durée. On ne passe pas directement du jeu à une activité de mémorisation et d’apprentissage en classe ; l’enseignant établit une progression dont l’aboutissement sera un travail formalisé à l’écrit. Dans un premier temps, l’oral est privilégié, le professeur met en place des activités d’expression toujours en lien avec le jeu. Les objectifs d’acquisition du langage sont à chaque fois un peu plus ambitieux : nommer, construire une phrase à structure simple, anticiper et verbaliser une stratégie, par exemple.

Introduire des phases réflexives
[…] Après ce premier temps de réflexion, l’enseignant lance le jeu et, au milieu, ou/et à la fin, peut proposer une nouvelle pause. Il convient de se limiter à une ou deux phases réflexives pour ne pas briser la dynamique du jeu. Leur durée varie selon leur position, avant, pendant ou au terme de celui-ci. L’enseignant questionne les enfants pour leur faire verbaliser la stratégie : a-t-elle fonctionné ? Que fallait-il faire pour gagner ? Ces courts temps d’échange permettent à la fois de vérifier que le vocabulaire est bien ancré, que l’élève est capable d’expliquer le cheminement de sa pensée et de réactiver, de consolider des apprentissages encore fragiles. À d’autres moments, pour amorcer un nouveau dialogue ou une réflexion plus riche, le professeur peut modifier la règle du jeu ou ajouter une contrainte. Le jeu coopératif fait bien partie d’un dispositif pédagogique pensé et construit en continuité qui vise aussi à créer une culture partagée, socle du travail de la langue .

Évaluer pour aller vers un travail personnalisé
Dans ces temps de langage, encore intégrés au jeu tels que le debriefing, les enseignants utilisent parfois des grilles d’observation en fonction des objectifs d’apprentissage qu’ils ont fixés. Mais affiner ce travail nécessite de mettre en place un temps d’écoute plus long et individualisé : comment faire ? "Après avoir travaillé le langage en situation, cette phase d’ancrage est nécessaire. Pour que ce langage devienne actif, il faut le réutiliser hors du jeu, dans de nouvelles situations porteuses de sens pour les élèves, telles que des projets ou des situations fonctionnelles, rappelle É. Fleurat.
Prévoir ce temps d’évaluation est aussi indispensable pour établir les progrès. Les photographies sont alors l’outil idéal, on est hors du jeu, mais en même temps l’enfant se sent impliqué, concerné puisqu’il est sur les photos avec ses camarades. L’analyse des acquis se fait parfois en tête-à-tête avec l’enseignant. […]
Ce temps d’observation-évaluation peut avoir lieu même quand les enfants sont en groupes. À l’issue du jeu de l’aquarium à l’école Petit Louvre, E. Montessinos a projeté un diaporama des photographies sur un pan de mur dans la classe. Succès immédiat : les enfants s’installent et commentent les photographies. Certains jours, ils demandent même à leur professeur une nouvelle diffusion. L’enseignante peut profiter d’un de ces temps où des petits parleurs, sécurisés, s’expriment, pour évaluer des acquis langagiers nouveaux.
Un passage par l’écrit nécessaire
À un moment, il devient nécessaire de passer par l’écrit et donc par la dictée à l’adulte qui fait partie des premières productions écrites : l’enseignant fait évoluer le langage oral de l’enfant vers des structures plus proches de l’écrit, nommées oral "scriptural". Suite aux "24 heures de la maternelle", V. Couzon a collé les photographies des enfants dans leurs cahiers d’activité respectifs. Les élèves les ont commentées, le professeur a reporté ces paroles sous la forme de légendes. Elle a pu vérifier que le lexique de l’eau et celui des verbes d’action étaient bien réutilisés hors du contexte du jeu.
Pour une évaluation plus globale, l’enseignant peut créer un petit livre plastifié pour chaque élève en prenant pour support une série de photographies. En les regardant, l’enfant raconte. L’enseignant écoute et évalue la progressivité du langage : l’emploi des pronoms personnels, des temps verbaux, des connecteurs, de la syntaxe, du lexique visé. Puis, comme un écho pour accompagner la construction langagière, il reprend ce que dit l’enfant et, si nécessaire, reformule le propos dans sa zone proximale de développement ; c’est cette phrase qui sera reportée à l’écrit. Le livret devient ensuite un outil que l’on consulte en classe régulièrement, que l’on peut aussi emporter à la maison pour le lire avec la famille.
Comment faire progresser les enfants dont l’oral est déjà précis et structuré ? En les invitant à mener une réflexion sur la langue, par exemple à travers la création d’un album numérique. Ce travail nécessite, comme pour le livret, une verbalisation hors du contexte du jeu. Mais il s’accompagne d’une démarche de projet : que fais-je ? pour qui ? pourquoi ? comment ? La correction de la syntaxe, la pertinence du lexique, l’adéquation entre l’image et son commentaire sont ici essentiels. L’enfant s’enregistre, se réécoute, on peut effacer, recommencer ; il faut adapter le langage aux destinataires du livre.
L’élève est dans la vie et non plus dans l’imaginaire du jeu. Il passe du langage de situation au langage de communication selon une approche réflexive. Le livre plastifié ou le diaporama numérique servent aussi de trait d’union avec les familles. Les enfants racontent à leurs parents en s’appuyant sur leur livre. Les adultes sont en mesure de proposer une reformulation à leur enfant en consultant l’écrit qui accompagne la photographie présentée sur la page.
Des postures nouvelles
La mise en place de jeux, notamment coopératifs, crée des espaces et des temps de parole dans lesquels l’enseignant est certes référent/acteur, mais aussi très souvent en retrait, il observe chacun. L’évaluation individualisée est ainsi facilitée, comme la mise en place d’activités adaptées à chaque élève. L’approche pédagogique et didactique du travail de la langue a changé : l’enseignant part de la répétition inhérente au jeu, ou à la comptine, avec des variations, des adaptations progressives, puis des décontextualisations successives qui aboutissent finalement à des formalisations et des transferts.
Dans cette pratique, la coopération apporte une réelle valeur ajoutée : elle induit nécessairement un langage de communication efficace, car il en résulte un feedback immédiat. L’enfant est en mesure de constater l’effet produit par son discours. Du jeu coopératif au langage de communication, au cœur de ces pratiques, les postures de l’élève comme celles du professeur ont évolué. L’enseignant propose, incite, observe, s’adapte à chacun ; des espaces et des temps de parole sont créés et c’est aussi une relation nouvelle et personnalisée qui s’instaure entre l’enseignant et chaque jeune élève.

La réussite du dispositif des "24 heures de la maternelle" est incontestable. Cette action départementale crée une émulation, motive, donne des outils de réflexion et permet une diffusion des expériences accessible à tous les acteurs de l’école. En se prolongeant sur plusieurs années, elle favorise la construction durable de nouvelles postures d’enseignants (voir annexe).
Article rédigé par N. Le Rouge à partir d’échanges avec M. Fleurat, conseiller pédagogique départemental maternelle, Mme Bolival, enseignante à l’école maternelle de Sainte-Sabine, Mmes Hérillard et Brousmiche, enseignantes à l’école de Courcebœufs, M. Fourmy, directeur de l’école de Loué, Mme Couzon, directrice de l’école [ECLAIR] Petit Louvre au Mans et toute l’équipe enseignante, Mme Courtabessis, directrice de l’école Pauline-Kergomard de Champagné et toute l’équipe enseignante, remerciements à Mme Oger, Inspectrice chargée de mission maternelle pour toutes les informations apportées
[…]
Cette démarche progressive de mise en place du jeu coopératif pédagogique a été formalisée par Madame Oger et M. Fleurat dans le parcours de formation proposé sur le site “maternelle72” (accessible librement aux enseignants grâce à leur identifiant et mot de passe de messagerie académique).[…]

Auteur(s) : N. Le Rouge

Extrait du site de l’académie de Nantes du 03.03.2015 : Du jeu coopératif vers le langage de communication

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