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Un professeur à Aulnay, raconte la violence au quotidien

8 novembre 2005

Extrait de « Libération » du 07.11.05 : « Mes élèves de 3e d’insertion savent bien qu’ils sont des parias »

Banlieues. Pascal Odin, professeur dans une ZEP d’Aulnay, raconte la violence au quotidien :

Pascal Odin est professeur d’histoire-géographie et d’éducation civique au collège Debussy à Aulnay- sous-Bois. En début d’année, avec ses collègues, ils avaient exercé leur droit de retrait (1) pour alerter sur la montée de la violence dans leur établissement. En guise de réponse, en juin, leur feuille de salaire a été ponctionnée. Pourtant la situation qu’ils décrivaient étaient prémonitoires des événements d’aujourd’hui

En février, sur quoi vouliez-vous alerter les autorités ?

Notre colère était liée à différents soucis parmi lesquels les actes de violence de certains élèves de l’établissement, actes qui restaient impunis en dépit des dizaines de rapports ou de courriers signalant ces actions. Début février, une collègue s’est fait lyncher dans la cour par une trentaine de gamins. Ça a été la goutte d’eau. Deuxième chose, cela fait des années que l’on dit que la structure de notre établissement ne correspond pas aux normes de sécurité. C’est un établissement de 800 élèves qui date de 1963 et qui a été retapé par tranches. Nous avons des couloirs qui sont de vrais goulets d’étranglement. A chaque interclasse, il y a des émeutes dans les couloirs obligeant les professeurs à intervenir, car en cinq minutes, il y a quatre à cinq cent élèves qui empruntent le même passage d’1,50 m. Ce qui provoque systématiquement des bousculades. Plus aucun matériel en salle de technologie n’est aux normes. Il y a des infiltrations partout. Un jour, je demande à un gamin de me brancher un rétroprojecteur. Il avait la main toute noire, il s’était pris un court jus.
On est aussi l’un des rares collèges de Seine Saint Denis à ne pas avoir de gymnase. Pour aller sur d’autres équipements, les élèves ont trente minutes de marche à pied. Il leur faut traverser des cités. Et compte tenu des rivalités entre bandes, on se retrouve la moitié du temps avec des gamins qui se font alpaguer en chemins.

Le collège est situé au milieu des cités ?

Il est placé au cœur des cités concernées aujourd’hui par les violences actuelles, entre les 3000, les 1000-1000 et le Galion. 90% des élèves y sont d’origine immigrée et nous sommes dans un canton, le quartier nord d’Aulnay-sous-Bois qui affiche 44% de chômage de jeunes, selon les propos même de M. Segura, conseiller général de Seine-Saint-Denis. Voila ce sur quoi la sectorisation de Debussy se fait. L’établissement est l’un de ceux qui a les résultats les plus catastrophiques de Seine-Saint-Denis. Beaucoup de nos élèves vivent dans des familles monoparentales. Avec des mères ou pères débordés qui laissent leurs gamins traîner le soir, parfois jusqu’à deux heures du matin, pour avoir la paix. Quand ils arrivent à l’école, ils n’ont pas fait leur devoir, parfois n’ont même pas de cahier car leurs parents ne les ont pas achetés.
On est dans un environnement de grande pauvreté. Certains élèves arrivent le ventre vide. Un des critères de classement d’établissement en ZEP, c’est le nombre de demi-pensionnaires. Et bien chez nous, on en a un maximum de 50-60 qui mangent à la cantine dont de nombreux professeurs. Car pour beaucoup d’élèves, 1,50 euro par repas c’est encore trop. Moi, je suis professeur principal de la troisième d’insertion, une classe à vocation professionnelle destinée à les orienter vers le travail. Ce sont a priori des élèves plutôt motivés. Mais les seuls stages qu’ils trouvent, c’est dans un taxiphone ou un kebab comme aide-cuistot. On essaie de les orienter vers l’usine PSA. Mais ils ne veulent pas prendre nos stagiaires, même en stage d’observation. Les jeunes savent très bien qu’ils sont des parias. Quand on leur parle de la Marseillaise, c’est pas étonnant qu’ils la sifflent, car ils ne se sentent pas de la même nation. Ils s’identifient à leur quartier, leur cage d’escalier, mais en aucun cas à la nation française. Moi, c’est quelque chose qui me choque, car dans mes cours d’éducation civique, j’ai envie de faire passer un autre message. Nous, on lutte pour qu’ils entrent dans la Cité avec un grand C, mais eux ne sont fidèles qu’à la cité au sens bâtiment et banlieue du terme.
Mais qu’est-ce que vous voulez qu’on leur enseigne les valeurs de la République, alors que les seuls qui réussissent, c’est le footballeur et le dealer. On est aussi quand même, de temps en temps, obligé de justifier l’action de la police dans ces quartiers, mais quand tous les gamins disent : « on m’a arrêté, on m’a foutu des coups, j’étais tout seul, j’ai la haine, de toutes façons les flics c’est des gros cons », c’est difficile de faire passer le message.

Et au niveau des résultats scolaires ?

Les consignes implicites sont d’adapter les cours et les notes à la population du collège. Ces consignes précisent qu’il suffit d’améliorer les notes de contrôle continu en quatrième et troisième pour avoir de meilleurs taux de réussite !. Mais à Debussy, on s’y refuse. Nous, nous avons décidé de les évaluer en fonction des programmes nationaux. Pas question d’acheter la paix sociale avec les notes. Et elles sont catastrophiques. J’ai jamais eu de moyenne classe supérieure à 7/ 20.On ne se rend pas compte. Mais certains élèves ne savent pas écrire, ni même parler. Il y a une dégradation complète et générale du niveau des élèves. On se demande même comment ils pourront remplir des chèques, aller voir des assurances pour leur maison quand ils seront adultes. Même pour se faire comprendre on a du mal.
Un jour je voulais exprimer quelque chose de simple, j’ai du utiliser trois synonymes pour me faire comprendre. Il y a des profs qui ont été formés pour apprendre à enseigner dans des classes non francophones. Mais, dans le collège, cette classe n’a jamais été ouverte. Donc, on nous balance directement en classe des étrangers qui ne parlent pas un mot de français. On est toujours obligé d’adapter nos moyens à la réalité du terrain. Idem pour gérer la violence. Puisqu’on ne nous entend pas.

(...)

Nicole Pénicaut

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