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Quelle méthode d’évaluation et de bilan des zep ? : le rapport Insee-crest et la politique de territoire...

Faut-il supprimer les ZEP ? L’ancrage territorial des ZEP est-il un échec ?, par François-Régis Guillaume

25 octobre 2005

Faut-il supprimer les ZEP ?

L’ancrage territorial des ZEP est-il un échec ?

Les quelques moyens supplémentaires attribués aux ZEP ne permettent pas de rattrapage pour leur élèves. Les évaluations et les statistiques existantes n’autorisent pas d’autre conclusion. Elles ne permettent d’évaluer ni les effets de la mobilisation des acteurs autour d’un projet, ni de cibler les territoires en déshérence, raison d’être de l’éducation prioritaire. La ressource rare, ce sont les équipes capables de réussir dans ces territoires.

Cette question iconoclaste se pose paradoxalement au moment où les ZEP deviennent le symbole principal de l’action publique vers les publics défavorisés dans le domaine de l’éducation, alors même que cette action publique paraît s’être vidée de son contenu. Certes, personne ne demande la fin de la politique d’éducation prioritaire. Il est trop difficile de rompre avec un symbole fort qui permet d’adopter une posture sociale. Aussi les débats politiques sur l’éducation, les programmes des partis voient émerger des propositions de réforme de l’éducation prioritaire ignorant les finalités de cette politique. Ces propositions supposent plus ou moins explicitement qu’elle a échoué.

Elles s’appuient sur des études, faites souvent dans la mouvance de l’INSEE, autour du thème de la « fracture » sociale, spatiale ou ethnique et du remède supposé de la discrimination positive (l’éducation prioritaire se trouve ainsi embarquée un peu rapidement dans le débat comme un exemple de discrimination positive à la française sans que l’on éprouve le besoin de rappeler le projet initial d’éducation prioritaire ni de définir la discrimination positive).
De travaux statistiques ne constatant pas de rattrapage des performances ou des cursus des élèves de ZEP par rapport aux autres élèves, on passe à la conclusion, parfois implicite, que les ZEP et leur approche territoriale ont échoué et à la nécessité d’abandonner les démarches fondées sur le territoire pour des politiques fondées sur l’aide aux individus, comme celles des pays anglo-saxons, telles qu’elles ont été analysées dans les travaux de Donzelot (Donzelot, 2003). C’est le cas de l’étude du CREST-INSEE (Benabou et al., 2005). C’est le cas aussi du « Ghetto Français » d’Eric Maurin

Mais les critiques de la politique d’éducation prioritaire qui est effectivement menée viennent aussi d’autres horizons : d’enseignants, de responsables et de coordonnateurs de ZEP, investis sur le terrain. Ils critiquent la dilution de l’éducation prioritaire, son rétrécissement à l’objectif de « donner plus - un peu plus - à ceux qui ont moins » et à des indemnités pour les enseignants, la disparition du pilotage et des exigences qui conditionnent la réussite de l’éducation prioritaire.
Mais les mêmes sont révoltés par la conclusion de l’inutilité des ZEP, parce qu’ils connaissent tous des ZEP qui ont réussi et qu’une telle conclusion nie le travail des acteurs de ces ZEP. Mais peut-on aller plus loin que l’affirmation qu’il y a des ZEP qui réussissent et que la description des conditions de cette réussite, comme dans le rapport Moisan-Simon en 1997 ? (Remarquons au passage que les études de Donzelot citent, elles aussi, des cas de réussite aux USA, mais qu’elles ne montrent pas la réussite globale d’une politique).

Il est donc nécessaire de reprendre la question du bilan des ZEP, d’examiner ce que ces travaux permettent réellement de conclure ainsi que la valeur d’arguments défensifs tels que : « on ne voit pas beaucoup de progrès, mais les ZEP ont empêché une aggravation de la situation. » La première interrogation portera sur les outils qui permettraient de répondre à la question de l’efficacité des ZEP.

I - Comment évaluer l’efficacité de l’éducation prioritaire ?

Les études telles que celles d’Eric Maurin ou du CREST répondent en fait à une question étroite : « Les moyens - importants, prétendent-ils - attribués aux ZEP sont-ils justifiés par l’augmentation des performances des élèves » ? Ce qui revient à réduire l’éducation prioritaire à une augmentation des moyens, comme le pensent aussi ceux qui réclament le classement en ZEP chaque fois qu’il y a le feu quelque part ! Pour évaluer la politique d’éducation prioritaire, il faut d’abord rappeler les problèmes auxquels elle était censée répondre à sa création par Alain Savary ainsi que la méthode utilisée pour les résoudre.

Le problème : Il existe aujourd’hui, comme hier, des territoires où les performances scolaires sont anormalement basses, où les difficultés sociales se cumulent, où l’exclusion se transmet d’une génération à l’autre et où parfois des ghettos ethniques se forment. Dans ces territoires, le service public est souvent défaillant.
La création des ZEP a été revendiquée comme une des modalités de lutte contre l’échec scolaire lorsque, sur certains territoires, celui-ci devenait massif. Choisir d’intervenir sur un territoire répondait à deux objectifs : d’une part le milieu environnant contribue aux difficultés de l’école et, pour les diminuer, il faut agir sur ce milieu et nouer des partenariats avec tous ceux qui peuvent travailler à sa transformation, d’autre part le fonctionnement ordinaire du service public est impuissant à empêcher que de graves dysfonctionnements ne se concentrent à la périphérie du système de sorte qu’il y a rupture de l’égalité devant ce service, contribuant au sentiment et à la réalité de l’exclusion sociale.

La lutte contre l’échec scolaire, la promotion collective des jeunes des milieux populaires, quel que soit le territoire dans lequel ils habitent, et la diminution de toutes les inégalités sont des missions de long terme que doit retrouver le système éducatif dans son ensemble. La revendication d’une éducation prioritaire n’englobe donc pas l’ensemble de l’école populaire. Un dispositif d’éducation prioritaire a pour objectif de résorber des situations intolérables en peu de temps. Car, si on ne peut, dans des délais brefs, transformer l’environnement, on peut espérer amener les écoles et les collèges de ces territoires à rendre les services que tout élève est en droit d’attendre.

Une méthode :
Le slogan politique de l’éducation prioritaire, « donner plus à ceux qui ont moins », contenait en germe toutes les dérives. Il aurait été moins équivoque de dire : « Dans les territoires où les élèves connaissent le pire de l’Education Nationale, qu’elle leur offre le meilleur », et, si elle ne peut leur donner le meilleur, qu’elle leur donne au moins ce qu’elle sait à peu près bien faire. Car en voulant faire des ZEP « des laboratoires de l’innovation pédagogique », en initiant des partenariats, ce qui était peu dans la tradition de l’éducation nationale, en chargeant des animateurs (il est significatif, qu’à l’occasion d’une relance, le terme de « coordonnateur », à connotation plus administrative, lui ait été substitué) de mobiliser les personnels autour de la conception et de la réalisation de projets, en instaurant une liaison entre écoles et collèges, ce qu’on voulait c’était bien offrir le meilleur du service public.

Les statistiques nationales ne peuvent apporter la réponse.

En évaluant le succès ou l’échec sur la base de ces critères, on voit que toute étude qui se limite à la corrélation entre moyens supplémentaires et évolution de la moyenne des performances reste ainsi à côté du problème posé. En se contentant de cette corrélation (ou en s’appuyant sur les études qui se contentent de cette corrélation), on peut s’attendre à vérifier une fois de plus que quelques moyens supplémentaires n’ont pas d’impact visible. Ce qui doit être évalué ce n’est donc pas l’évolution de toutes les zones étiquetées ZEP, y compris celles qui n’ont pas eu le moindre projet, mais le résultat d’actions menées en rupture avec la routine du service public.
Or actuellement les statistiques nationales ne le permettent pas pour plusieurs raisons :

1) - Leur lacune principale : la plupart des statistiques nationales rassemblent en un bloc toutes les catégories « défavorisées » (44% d’une classe d’âge), soit toutes les catégories populaires, alors qu’il faudrait pouvoir isoler les catégories très défavorisées. Les enseignants de ZEP interrogés par la DEP avant la seconde relance des ZEP en 1998 remettaient en cause les catégories avec lesquelles on voulait leur faire décrire la composition sociale de leur classe, se plaignant de ne pouvoir y inclure les chômeurs, RMIstes, etc.
Savoir si et comment on peut réussir dans un contexte très difficile n’est possible que par des études de terrain, justement celles qui font apparaître la réussite de certaines ZEP ou la stagnation ou le naufrage des autres.
Cependant les statistiques nationales peuvent enregistrer la disparition de toute mixité sociale dans certains collèges et fournissent une première approche.

2) - Même si l’on disposait de ces informations plus fines, c’est-à-dire si l’on distinguait ces situations intolérables, le problème ne serait pas simple. En effet, les études tirées des statistiques nationales consistent toujours à comparer les évolutions en moyenne d’un groupe (de zones, de collèges ou d’élèves) à l’évolution d’un groupe de référence. Les performances des ZEP qui réussissent sont annulées par celles qui sombrent. Si on n’oublie pas que les collèges « ordinaires », qui servent de référence, peuvent heureusement eux aussi se mobiliser pour la réussite de leurs élèves et que certains le font, on comprend que les comparaisons entre deux groupes indifférenciés ne peuvent faire apparaître que des variations peu significatives.
Pour conclure à la réussite ou à l’échec des ZEP, il faudrait pouvoir vérifier que le volet qualitatif de l’éducation prioritaire est bien mis en œuvre, démarche qui demande des études de terrain.

3)- Les études de terrain ou certaines enquêtes auprès des enseignants font apparaître que, si l’on voit le plus souvent peu d’effets sur les performances scolaires mesurées, le comportement des élèves ( leur « civisme », l’estime de soi) par contre s’améliorerait. Ce résultat est souvent considéré comme négligeable ; or la perte de l’estime de soi est bien l’un des dégâts les plus graves causés par l’école lorsqu’elle dysfonctionne.

4) - Les évaluations nationales en CM2 et en 6ème et les indicateurs de pilotage (ICOTEP) mis à la disposition des Zones par la DEP sont des outils destinés aux équipes de terrain. Les données qu’elles reçoivent leur permettent de se situer au niveau national ou local, en particulier les exploitations d’échantillons d’évaluations nationales, mais ces données ne prennent leur sens que complétées dans un tableau de bord par des données locales qui, seules, permettent un diagnostic qui sera à la base des projets.

5) - L’argument défensif selon lequel l’éducation prioritaire aurait empêché une aggravation de la situation de ces zones n’est pas très étayé. Car s’il y a des ZEP qui réussissent, il y a aussi des écoles et des collèges qui ont sombré malgré leur classement en ZEP. Ce sont d’ailleurs ces naufrages qui, dans les moyennes, annulent les progrès obtenus par ceux qui réussissent.
L’argument défensif repose sur l’hypothèse que les jeunes qui vivent des situations de rejet et d’exclusion seraient plus nombreux aujourd’hui dans la société sans que cette augmentation ne se soit répercutée dans les statistiques scolaires. Il ne s’agit que d’une hypothèse, et, si elle se confirmait, faudrait-il mettre ce résultat au crédit de l’éducation prioritaire ou de la consolidation générale du système éducatif depuis vingt-cinq ans ?

Les performances des élèves de ZEP d’après les panels d’élèves de la DEP

Les panels de la direction de l’évaluation et de la prospective (DEP) du ministère de l’Education nationale permettent d’opérer la distinction entre très défavorisés et catégories populaires. Leurs élèves sont suivis pendant toute leur scolarité. Pour les élèves entrés en 6ème en 1989 et en 1995, on peut donc analyser leur cursus et leurs performances aux évaluations nationales et comparer les élèves scolarisés en ZEP et hors ZEP.
La richesse des informations de ces panels permet des comparaisons fines et notamment de distinguer la grande difficulté sociale. Les analyses, toutes choses égales par ailleurs (sauf le contexte), permettent de dire qu’entre des élèves de milieu social et familial identique l’écart ne s’est pas creusé, mais qu’il n’a pas diminué. Les élèves de ZEP ont au collège un parcours et une orientation légèrement plus favorables que les élèves hors ZEP, mais ils vont perdre ces avantages après leur entrée au lycée. C’est ce constat qui a été vulgarisé et qui est la source de tous les jugements sur l’éducation prioritaire.
Mais le taux d’un élève sur 30 par collège est insuffisant pour caractériser les collèges et leur environnement et opérer un rapprochement entre les performances, la composition sociale et la politique suivie dans la zone.
On notera aussi que, d’après ces panels, toutes choses égales par ailleurs, les élèves de familles de classe moyenne ou des catégories intermédiaires ne sont pas désavantagés par leur scolarité en ZEP. Cette donnée devrait être plus connue pour maintenir la mixité sociale dans ces collèges.

L’étude du CREST

Pour l’essentiel, l’étude du CREST (INSEE) reprend pour juger de l’efficacité des ZEP les conclusions de ces travaux de la DEP, refaisant souvent les mêmes calculs et arrivant aux mêmes conclusions. Elle présente les mêmes limites. Elle a en outre l’inconvénient de ne concerner que les vagues de création de ZEP de 1982 et de 1989 et 1990, alors que les autres études dressent un bilan des ZEP en 2000.

L’étude apporte cependant deux informations intéressantes :

1) - Elle montre que la décision de classement de collèges en ZEP coïncide avec une augmentation de « l’évitement » de ces collèges par les familles au moment de l’entrée en 6ème. Cet évitement est chiffré à 7 élèves en moins à l’entrée en 6ème provenant des catégories sociales « favorisées » et moyennes, pour un effectif moyen d’environ 160 élèves par collège de ZEP en 6ème ; il se poursuit les années suivantes. Cet évitement contribue ainsi à la diminution constatée de la mixité sociale.
Ces tendances correspondent à ce qui est constaté par les études de la politique de la ville : la population de ces quartiers décroît, la taille des familles aussi (et donc le nombre d’enfants à scolariser) et la mixité sociale diminue par le départ des catégories sociales intermédiaires et des ouvriers qualifiés, que ce soit toute la famille qui quitte le quartier ou que ce soient les enfants seuls qui soient scolarisés hors de la zone. L’Observatoire des ZUS (Zones urbaines sensibles) constate que la population des écoles ou collèges de ZUS est moins mixte que la population de la ZUS et que le phénomène s’accentue au moment du passage de l’école au collège. La question est de savoir si le classement en ZEP amplifie le phénomène ou ne fait que l’enregistrer.
La réponse est d’autant plus difficile que les comparaisons entre ZEP et hors ZEP entre la période 1982-1984 et1992 ou 2000 sont biaisées par le fait que beaucoup de collèges très défavorisés de région parisienne sont entrés tardivement en ZEP.

2) - L’étude fait aussi apparaître que l’attribution de moyens supplémentaires est un processus très lent - au moins pour ce qui s’est passé jusqu’en 1992 : alors que la photographie prise en 2000 faisait apparaître un « avantage » pour les ZEP de deux élèves en moins par classe, le CREST montre que cela s’est fait à un rythme d’environ - 0,2 élève par classe et par an. On peut donc en déduire que, dans un contexte de diminution de la population de ces quartiers, l’augmentation des moyens en ZEP serait due au fait qu’on supprimerait plus difficilement des moyens en ZEP plutôt qu’à une attribution nette de moyens nouveaux.
Puisque au départ les moyens supplémentaires seraient infimes, l’effet de classement en ZEP ne jouerait initialement que sur la seule mobilisation des acteurs. Mais cette mobilisation est-elle fréquente, surtout si ce classement en ZEP n’apparaît que comme une compensation à des conditions de travail difficiles ?

Les moyens supplémentaires sont-ils importants ?

Il n’est pas facile d’estimer précisément les moyens supplémentaires affectés aux ZEP parce qu’il n’y a pas d’enveloppes budgétaires étiquetées ZEP. Récemment, un ministre a pu parler de 15% de moyens en plus. Ce nombre comprend pour plus d’un tiers les primes accordées depuis 1990 aux enseignants en ZEP (mais pas en REP) ; pour 8 à 9 %, il s’agit de dotations horaires plus importantes (dans la mesure où les diminutions de moyens consécutives aux baisses d’effectifs se font plus tardivement). Cette dotation permet soit de diminuer les effectifs par classe de 2 élèves en moyenne (c’est de loin le choix le plus fréquent), soit de réserver des heures à divers usages : travail sur des projets, relations avec des partenaires ou avec les familles, tutorat, etc.
Ce n’est pas négligeable, mais ce n’est pas décisif. Après tout, la diminution des effectifs par classe depuis trente ans est très supérieure à 2 élèves par classe sans que les performances aient connu une forte progression.
Pour relativiser cet avantage, on peut rappeler que le surcoût des ZEP est très inférieur par tête d’élève au surcoût de l’école rurale.

Que souhaitent les acteurs de terrain ? Le rapport Moisan-Simon (1997) montrait que, dans les ZEP « mobilisées », les enseignants demandaient d’abord plus de moyens de travail collectif, de l’accompagnement et la possibilité de « souffler ». Dans les enquêtes de 1998, certes la pression était forte pour diminuer les effectifs d’élèves dans les classes, mais une forte minorité d’enseignants et la moitié des responsables avaient les mêmes demandes.

Ainsi les comparaisons de cursus montrent que les élèves de ZEP ne comblent pas leur retard sur les élèves hors ZEP. Cela démontre qu’une réduction légère de la taille des classes n’apporte pas d’amélioration importante. Quant aux primes, elles contribuent à une stabilisation des personnels, ce qui n’est pas négligeable, mais peut-être pas en rapport avec leur coût.

II - La mobilisation des acteurs

Le volet qualitatif de l’éducation prioritaire peut se résumer en d’une part un pilotage par l’institution, qui a connu de longues éclipses entre les relances, et d’autre part une mobilisation des acteurs autour d’un projet.

Peut on mesurer la mobilisation ?

A-t-on un ordre de grandeur de la proportion de zones où une certaine mobilisation autour de projets a eu lieu ? Les études de la DEP fournissent des éléments de réponse épars. D’abord une constante : lorsque, dans des enquêtes auprès d’échantillons d’enseignants et de chefs d’établissement, on compare leurs réponses selon qu’ils travaillent en ZEP ou hors ZEP, on constate le plus souvent en ZEP des réponses plus polarisées aux extrêmes.
Par exemple, un panel de chefs d’établissements a été interrogé chaque année à partir de 1992 sur la mise en œuvre de nombreux dispositifs innovants ou de soutien aux élèves en difficulté ; en général, les principaux de ZEP étaient de 5 à 10% plus nombreux à mettre en œuvre ces dispositifs et à s’y investir ; à l’inverse, ceux qui adoptaient une attitude attentiste ou négative étaient aussi plus nombreux. De la même manière, les enseignants en ZEP étaient plus nombreux à dire avoir des pratiques professionnelles du type travail en équipe ou travail sur des projets. Ils étaient aussi beaucoup plus nombreux à dire s’impliquer dans la vie de l’établissement et à reconnaître et souhaiter un rôle pédagogique du chef d’établissement. A l’inverse, ils étaient aussi plus nombreux à avoir une vision négative de leur métier.
Dans les enquêtes de 1998, qui ont précédé la seconde relance des ZEP, on a constaté que 20% des ZEP ne donnaient plus aucun signe d’existence véritable (en dehors des primes) : même plus de coordonnateur ou de responsable, plus de réunion du conseil de zone ! A l’opposé, dans 31% des ZEP, une majorité d’enseignants disaient être très impliqués dans la vie de la ZEP.
Ces indications ne peuvent remplacer des études de terrain. Elles donnent cependant des pistes d’interprétation. Une certaine mobilisation collective et des pratiques plus exigeantes sont plus fréquentes en ZEP, mais on les trouve aussi, moins fréquemment certes, hors ZEP. Dans les moyennes statistiques, elles peuvent être annulées par la fréquence plus grande du découragement. Que ces moyennes ne conduisent pas à constater un rattrapage des inégalités s’explique aisément.
On notera au passage qu’on trouve la même structure statistique en lycée professionnel, où de nombreux établissements remettent des élèves sur le chemin de la réussite grâce à la référence aux finalités professionnelles et aux relations avec le milieu professionnel qui donnent un point d’appui à l’investissement personnel et au travail collectif ; mais ces réussites sont masquées par l’échec des lycées en détresse.

Peut-on fonder une politique sur la mobilisation ?

Certes de nombreuses études ont montré l’existence d’un « effet établissement » qui influerait sur les performances et les comportements, aussi bien d’ailleurs dans un sens positif que dans un sens négatif. Mais il importe cependant de le relativiser. Si l’on trouve effectivement des différences de climat, lequel a des répercussions fortes sur le moral et l’engagement des personnels, si des représentations communes aux personnels d’un établissement peuvent être différentes d’un établissement à l’autre, si l’on voit que les performances réalisées sont parfois très différentes des performances attendues, la situation la plus fréquente est cependant que la plupart des établissements ont, en France, une identité « faible ». C’est aux deux extrêmes du spectre que l’on trouve des identités plus fortes, soit dans des établissements élitistes, soit au contraire dans des contextes difficiles (et quelquefois autour de chefs d’établissements charismatiques).
Les projets forts sont donc très minoritaires, tout comme le nombre d’enseignants qui s’y impliquent ou qui reconnaissent un rôle pédagogique au chef d’établissement. Pour la plupart de ceux qui travaillent « autrement », l’investissement dans le travail avec des collègues se fait avec des collègues choisis (je travaille avec qui je veux et si je veux), et les relations fortes se situent à un niveau très infra-établissement.
De ce constat on pourrait tirer, comme le font de nombreux responsables, la conclusion négative qu’une politique fondée sur la mobilisation autour de projets serait une illusion. On peut aussi plus positivement dire que, dans notre système, la ressource la plus rare ce ne sont pas les moyens budgétaires mais les personnes et les équipes capables de réussir dans des contextes très difficiles. C’est cette ressource-là qu’il faut apporter dans ces zones. La politique de gestion des ressources humaines est donc bien la clé de l’éducation prioritaire.

III- L’ancrage territorial de l’éducation prioritaire

Promotion individuelle et promotion collective ?

L’absence de rattrapage des élèves de ZEP a conduit certains à préconiser d’autres stratégies fondées sur l’aide aux individus plutôt que sur l’aide aux territoires. (On remarquera que le même raisonnement a conduit voici trente ans à substituer l’aide personnalisée au logement à « l’aide à la pierre », et on peut penser que cette politique a accéléré les processus ségrégationnistes dans le logement.)

Le terme d’individualisation peut désigner deux stratégies différentes.
Il peut désigner une aide individuelle, composante d’une action plus globale où l’on peut trouver l’instauration d’un rapport fort avec un adulte comme dans le tutorat, ou des pratiques pédagogiques visant à développer l’autonomie de l’apprenant comme celles qui se sont vulgarisées en formation d’adultes, ou encore les tête-à-tête de l’éducation spécialisée. L’aide individuelle est sans doute encore plus nécessaire en ZEP qu’ailleurs. Ce sont les élèves les plus éloignés de la culture scolaire qui souffrent le plus de la rupture entre l’école et le collège, parce que la relation forte avec un adulte instaurée à l’école peut disparaître au collège, avec sa multiplicité d’enseignants, et que le milieu familial ne peut compenser cette absence de relation. Mais ces pratiques sont encore rares dans le second degré. Pourquoi ne pas les développer à partir des ZEP ?

Les stratégies d’individualisation peuvent aussi consister à repérer, dans un groupe « dominé », les individus les mieux armés pour réussir et leur apporter toutes les formes de soutien qui leur permettront de réussir à l’égal des membres des groupes les plus favorisés (ce sont ces stratégies-là qui alimentent le débat public). Les conventions ZEP-Sciences-po ou le tutorat de lycéens défavorisés par des élèves de Grandes Ecoles en relèvent. La recherche de la parité hommes-femmes utilise aussi des procédés individuels et collectifs.
Il apparaît que, dans le domaine éducatif, ces actions de soutien individuel visent surtout à aider à franchir les barrières ethniques. Le premier jeune des cités à entrer à Polytechnique sera sans doute aussi célèbre que la première fille.
Ces stratégies d’individualisation pour sortir les élèves de leur milieu sont attractives : multiplier les réussites individuelles c’est trouver des « locomotives » pour toute une catégorie. Mais elles évitent difficilement de stigmatiser le milieu ou le quartier d’origine et d’enfoncer encore plus ceux qui y restent. Elles supposent que les interactions en milieu socialement défavorisé sont généralement négatives et qu’il faut quitter ce milieu pour littéralement s’en sortir. C’est ce qui ressort, sous une forme plus littéraire, des travaux d’Azouz Begag dans « Les Dérouilleurs » ou dans « Ecart d’Identité » (Le Seuil, 1990). Mais aussi du « Ghetto Français » d’Eric Maurin, sous une forme statistique.

La recherche de « l’entre soi ».

La recherche de l’entre soi est décrite comme un moteur extrêmement puissant de la ségrégation urbaine. Il y aurait une tendance forte à éviter ceux qui se situent en dessous de soi dans l’échelle sociale et à rechercher le voisinage de ses semblables ou de ceux qui se situent immédiatement au-dessus. Ce mouvement - décrit dans le rapport du Conseil d’Analyse Economique- est initié dans les milieux les plus privilégiés, puis répercuté, à travers les « lois du marché », tout au long de l’échelle sociale.
Non seulement il y aurait une tendance à la constitution de ghettos urbains mais la recherche de la « bonne école » en serait le ressort le plus important. C’est ainsi qu’à propos du volet éducatif des lois « Borloo », il a pu être dit que sa motivation principale était de rendre attractifs écoles et collèges des quartiers à rénover pour que les familles de la classe moyenne et les catégories intermédiaires acceptent de s’y installer.
Mais le plus grave est que, selon E. Maurin, cette recherche de l’entre soi serait justifiée rationnellement, c’est à dire qu’à classe sociale égale on réussirait un meilleur parcours scolaire en intégrant un milieu plus favorisé. Si cela était vérifié, toute politique fondée sur le territoire serait vouée à l’échec. Mais E. Maurin n’avance pas d’argument convaincant dans ce sens, sauf pour les quartiers de relégation où tous les facteurs d’exclusion se cumulent, ceux justement où une politique d’éducation prioritaire est nécessaire.

De son livre, on peut par contre tirer d’autres conclusions importantes. D’abord le processus de ségrégation urbaine serait plus fort qu’on ne le croyait et appellerait donc une réponse plus forte. Ensuite la corrélation statistique entre les cursus et performances scolaires et l’origine sociale, généralement désignée par la seule catégorie socioprofessionnelle des parents, serait plus complexe que la seule influence familiale. On peut la décomposer en trois variables : la famille, la classe ou l’établissement et le milieu environnant. Ce milieu influence l’enfant, sa famille et les enseignants.

Enseigner en milieu difficile

Le poids du milieu est un argument en faveur de l’ancrage territorial et non le contraire. Certes, dans des cas extrêmes, il vaut mieux sortir les élèves de milieux où trop de difficultés se sont concentrées, mais il ne peut s’agir que d’exceptions.

Associer les familles et le milieu environnant à l’action de l’école est encore plus nécessaire en milieu difficile. (Les développements de J. Donzelot sur les actions « d’empowerment » aux Etats-Unis ont ici leur place.)
Une définition large du métier d’enseignant est ici indispensable pour mettre en œuvre une relation forte avec des adultes à travers le tutorat, pour développer le partenariat avec le milieu environnant et travailler avec les collègues à la conception et la mise en œuvre de projet. Un accompagnement dense des enseignants et une prise en compte de ces activités dans le service sont alors indispensables.

Conclusion

En définitive, la seule conclusion qu’autorisent les évaluations existantes est que l’attribution de quelques moyens supplémentaires ne permet pas aux élèves de ZEP, en moyenne et toutes choses égales par ailleurs, de combler même partiellement leur retard. En ajoutant que les élèves d’origine « favorisée » n’ont pas pâti de leur scolarité en ZEP. Les données statistiques disponibles ne permettent pas d’évaluer l’autre volet de l’éducation prioritaire, le plus important pour ses promoteurs : les effets d’une mobilisation autour d’un projet piloté.

Pour l’essentiel, on ne peut que reprendre les conclusions du rapport Moisan-Simon, qui datent de 1997 : il y a des ZEP qui réussissent et ce ne sont pas des exceptions. Les conditions de cette réussite ont bien été identifiées : c’est le volet qualitatif de l’éducation prioritaire.
Les équipes capables de réussir dans des conditions difficiles constituent la ressource rare, c’est pourquoi il convient d’en faire bénéficier les zones les plus difficiles. La gestion des ressources humaines est donc un instrument décisif du pilotage nécessaire.
Il faut rappeler enfin que secourir les zones qui cumulent les difficultés et où le service public est défaillant ne doit pas être confondu avec l’action à mener dans l’école populaire, laquelle reste la mission banale et ordinaire de l’Education nationale .

François-Régis GUILLAUME

FRANCOIS-REGIS GUILLAUME est membre du bureau de l’OZP

REFERENCES BIBLIOGRAPHIQUES

BEGAG A. ET CHAOUITE A., 1990, Ecarts d’identité, Paris, Le Seuil.

BEGAG A. 2002 : Les Dérouilleurs (Ces Français de banlieue qui réussissent.) Mille et une nuits.

BENABOU R., KRAMARZ F. ET PROST C., 2003, « Zones d’éducation prioritaire : quels moyens pour quels résultats ? », Economie et statistique, n° 380.

DONZELOT J. MEVEL C ; ET WYVEKENS A., 2003, Faire société. La politique de la ville aux Etats-Unis et en France, Paris, Le Seuil.

FITOUSSI J-P, MAURICE J., 2004 : « Ségrégation Urbaine et intégration sociale » La Documentation Française _ Rapport au Conseil d’Analyse Economique

MAURIN E., 2004, Le ghetto français. Enquête sur le séparatisme social, Paris, Le Seuil, 2002.

MOISAN C. ET SIMON J., 1997, Les Déterminants de la réussite scolaire en zone d’éducation prioritaire, Paris, La Documentation française.

MINISTERE DE L’EDUCATION NATIONALE, DEP, coordonné par GUILLAUME F-R., 2002 : « L’éducation prioritaire », Education et Formations N° 61

OEUVRARD Françoise, 2004 : « L’éducation prioritaire en France : une évaluation difficile » francoise.oeuvrard@education.gouv.fr

VAN ZANTEN Agnès, 2001 : « L’école de la périphérie. Scolarité et ségrégation en banlieue. » Paris PUF

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extraits du texte à paraître dans l’important numéro de mars 2006 de la revue Diversité "Les ZEP en débat"

Ce numéro sera en vente au centre de ressources Ville Ecole Intégration auprès de Christine Boucher, tél. 01 46 12 87 86 christine.boucher@cndp.fr au prix de 10€ +4€ de frais
d’envoi ou dans les librairies des CRDP des académies.
Mais le site de l’OZP ainsi que la Lettre de l’OZP donneront à temps toutes les informations nécessaires.

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