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L’Express fait un tour d’horizon des aides aux lycéens de ZEP

15 octobre 2005

Extrait de « L’Express » du 06.10.05 : Ascenseurs pour l’élite

Comment favoriser l’égalité des chances dans le système scolaire ? Du lycée aux classes prépa, en passant par l’université, les initiatives se multiplient pour « donner plus à ceux qui ont moins »

Dans l’univers frileux des prépas, ils ne courent pas les préaux, les apôtres de l’égalité des chances. Jean-Claude Lafay en est un. Voilà un proviseur qui pourrait très bien se contenter de gouverner son fief élitiste, le lycée parisien Saint-Louis, ex-collège d’Harcourt - 60% d’admis dans les plus grandes écoles - sans s’émouvoir de son taux de boursiers. Justement, non. « Parce que les prépas doivent faciliter la mobilité sociale et démocratiser les élites », Jean-Claude Lafay a décidé de se pencher sur le sort de deux publics notoirement sous-représentés en prépa scientifique : les filles et les boursiers.

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Propulser des jeunes talents en friche

On assiste aujourd’hui à une prise de conscience générale. Ici et là, des initiatives bourgeonnent pour propulser de jeunes talents laissés en friche dans les quartiers relégués, des profils qui tranchent avec ceux des « héritiers », coulés dans le moule dès le berceau. Le 12 septembre, François Goulard, ministre délégué à l’Enseignement supérieur et à la Recherche, et Azouz Begag, ministre délégué à la Promotion de l’égalité des chances, ont lancé aux universités un « appel à projets », doté de 3 millions d’euros. Elles ont jusqu’à la fin de novembre pour y répondre : tutorat, soutien...

« L’idée, c’est aussi d’inclure dans les contrats quadriennaux des universités des objectifs en matière d’égalité des chances : nous donnerons plus de moyens à celles qui auront des politiques spécifiques sur ce sujet », déclare François Goulard à L’Express. « Cet appel est un signal fort, admet Yannick Vallée, patron de la Conférence des présidents d’université (CPU). Mais, avec nos moyens actuels, on ne pourra pas encadrer nos étudiants les plus fragiles. Les difficultés rencontrées à Rouen ou à Grenoble II reflètent une situation plus générale. »

De leur côté, sur le modèle de l’Essec, pionnière en la matière, 57 grandes écoles se lancent, cette rentrée, dans le tutorat : des étudiants accompagneront, dès la seconde, 500 lycéens prometteurs et défavorisés. Histoire de lutter contre la ségrégation sociale, qui, selon la sociologue Marie Duru-Bellat, est « à son apogée dans les plus grandes écoles, qui scolarisent environ 1% d’une classe d’âge ». Le Conseil d’analyse de la société, présidé par Luc Ferry, en appelle à son tour à généraliser les expériences de Sciences po ou de l’Essec, prônant une « approche républicaine de la discrimination positive ».

En fait, la réprobation unanime devant la « discrimination négative » se double d’un pugilat sémantique sur fond de hantises communautaires dès lors que l’on aborde son pendant « positif ». Introduire des quotas - prohibés par la Cour suprême aux Etats-Unis depuis 1978 - ébrécherait l’égalitarisme républicain. Pourtant, l’idée de « donner plus à ceux qui ont moins » a déjà préludé à la naissance, en France, de zones d’éducation prioritaire (ZEP) en 1982 - identifiées par des critères sociaux et scolaires, non de race ou de sexe. Vingt ans plus tard, l’Institut d’études politiques (IEP) de Paris surenchérit en créant pour des lycéens de ZEP un examen spécifique. Sciences po, il est vrai, est très connoté : 17% des étudiants viennent des 2% des familles les plus nanties de France.

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Moins connue mais tout aussi audacieuse, la prépa spé-IEP du lycée Thiers, à Marseille, est parrainée depuis 2002 par l’IEP d’Aix-en-Provence. Et réservée à des élèves issus de lycées classés en ZEP. « C’est de l’intégration positive, qui ne touche pas au concours, explique le proviseur du lycée, Pierre-Jean Bravo. Je souhaiterais tout de même qu’on remplace la note du bac, pénalisante pour ces jeunes, par d’autres épreuves à l’entrée à l’IEP. » L’éclosion n’a pas été facile. « Il fallait donner leur chance aux très bons élèves de ces lycées, créer des conditions d’études privilégiées pour ceux qui en sont privés. Il a fallu convaincre le rectorat et l’expliquer aux parents des bacheliers des autres lycées. » Les cours sont assurés par des professeurs de ces lycées de ZEP et par des enseignants de prépa. Résultat : deux admis en IEP sur une quinzaine de candidatures. « Les autres passent en deuxième année de fac, où ils ont tous réussi. »

La voie alternative : le tutorat

Autant dire que, quand Nassuf Djailani a posé les pieds au lycée Thiers - dont le palmarès a gratifié en célébrités les rues de Marseille et le gotha entrepreneurial - il s’est senti un peu « en décalage ». « Ce n’est pas marqué sur ma face que je suis français, raconte-t-il avec humour. On était deux Noirs chez les "fils de...". Et puis les profs nous ont mélangés avec les autres prépas, pour les colles. Quand ils faisaient des bourdes, on ne les ratait pas. Ça égalisait les rapports ! Et on s’est bien intégrés. » Lui n’a pas eu l’IEP mais l’IUT de journalisme de Bordeaux. Et il vient de décrocher le prix Bayard des jeunes journalistes. Sujet : « Fils de... ».

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« Il n’y a pas de modèle absolu »

C’est un choix pragmatique, admet Marie Reynier : « Une politique plus volontariste coûterait très cher en enseignants... » HEC, qui a accru de 45% son budget « bourses » il y a deux ans, envoie le mois prochain ses étudiants, avec ceux d’autres écoles, coacher 20 jeunes de l’académie de Versailles. Supélec commence en janvier 2006, en partenariat avec Centrale. Depuis l’an dernier, l’Insa de Lyon arpente trois lycées de la banlieue pour encourager les jeunes à se présenter, en dispensant les boursiers de droits de candidature - la pompe s’amorce : 11 admis en juillet. Et le dispositif, comme ceux de Sciences po ou de l’Essec, a des effets de levier dans les lycées, où les candidatures se multiplient.

Marie Reynier expérimente, pour sa part, encore une autre stratégie, dite « du diplôme intermédiaire ». « En janvier, nous allons faire passer à des lycéens de ZEP des tests d’aptitude, non académiques. Ils suivront un programme commun à l’Ensam et à l’IUT de Ville-d’Avray (Hauts-de-Seine) pour se préparer au concours de l’école. Avec la garantie de décrocher, en cas d’échec, le DUT, sorte de parachute professionnel. » Elle n’exclut pas non plus de créer une prépa réservée aux lycéens de milieu modeste, dans les murs mêmes de l’Ensam.

Dans La République et sa diversité (Seuil), Patrick Weil, directeur de recherche au CNRS, évoque une autre piste, plus conforme aux canons de la méritocratie : réserver des places en prépa ou en IEP à environ 7% des meilleurs bacheliers de chaque lycée, à l’image de ce qui se pratique au Texas. « Tout le monde aurait sa chance, y compris les élèves exclus des programmes Essec ou Sciences po. Et cela n’empêche pas le tutorat... » Qu’il faut doper le plus tôt possible, sous toutes ses formes, insiste l’inspecteur général Claude Boichot. « SFR, par exemple, a placé des tuteurs auprès de 90 élèves en prépa aux écoles d’ingénieurs. » Dans ses propositions au ministre, Boichot suggérera sans doute aussi de développer les prépas ouvertes aux bacheliers technologiques, au taux élevé de boursiers... D’autant que, chaque année, 2 000 places restent vacantes dans les écoles d’ingénieurs.

Le débat entre les tenants de l’accompagnement de lycéens défavorisés et ceux des concours spécifiques est loin d’être clos. « Il n’y a pas de modèle absolu, observe le ministre François Goulard. Cela dit, je souhaite vivement que se développent des cursus complets allant jusqu’à l’entrée dans l’école, et non pas seulement une aide à passer des concours. » Dans le plus grand secret, certaines grandes écoles planchent justement sur des concours pour publics spécifiques...

Au lycée Edmond-Rostand de Saint-Ouen-l’Aumône (Val- d’Oise), la proviseure Patricia Orsi a choisi, elle, le cumul. Déjà en cheville avec Sciences po, elle vient d’intégrer le programme Essec. « Et pourquoi pas ? » Car la pente est encore raide. Et l’ascenseur bien verrouillé.

Bourses au mérite

Donner un coup de pouce à ceux dont le parcours sans faute est plombé par les origines sociales, en allant au-delà des traditionnelles bourses allouées selon des critères sociaux. C’est le principe des bourses au mérite, instaurées en 1998 pour démocratiser l’accès aux grandes écoles et destinées aux bacheliers titulaires de la mention très bien. Après un effort de 300 bourses supplémentaires consenti par l’Education nationale à la rentrée 2005, 1 100 bacheliers bénéficient aujourd’hui, pour une durée minimale de quatre ans, d’une bourse annuelle de 6 102 euros - soit près du double du montant de la bourse sur critères sociaux, cinquième échelon, qui s’élève à 3 607 euros. Des entreprises s’y mettent aussi, telle la fondation Euris, créée par Jean-Charles Naouri et présidée par Roger Fauroux, qui décerne 50 bourses de 7 630 euros par an à de brillants bacheliers au projet professionnel ambitieux. Une bourse renouvelable une fois si l’étudiant passe en année supérieure, avec de bons résultats et sans changer de filière. D’autres ont choisi d’allouer des bourses au mérite dès le collège, tel le groupe Pinault-Printemps-Redoute, qui a octroyé 30 bourses en 2005 à des élèves boursiers, étudiant en ZEP et ayant au moins 14 de moyenne. La loi Fillon prévoit, quant à elle, de débloquer 4,7 millions d’euros pour financer le développement des bourses attribuées aux élèves boursiers titulaires d’une mention au brevet ou remarqués pour leurs efforts scolaires. Leur nombre devrait avoisiner les 45 300 en 2006-2007, avec un montant revalorisé (+ 25 euros, soit 800 euros à la rentrée 2006).

Delphine Saubaber

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