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Enfants d’immigrés, famille, langage, souffrance... : un livre de Smaïn Laacher sur la réussite scolaire de jeunes de ZEP

16 septembre 2005

Extrait de « Libération » du 16.09.05 : « Ceux qui réussissent paient le prix fort »

Smaïn Laacher, sociologue, retrace le parcours de jeunes qui ont su profiter du système :

Et ceux qui réussissent, comment ont-ils fait ? Cette question qui prend le contre-pied de l’approche habituelle est au coeur du livre que publie le sociologue Smaïn Laacher. L’Institution scolaire et ses miracles (la Dispute, 2005) part d’exemples d’enfants issus de l’immigration pour lesquels l’école a su jouer son rôle d’« ascenseur social ».

La famille semble avoir une fonction primordiale dans la réussite scolaire...

C’est une condition sine qua non ; encore faut-il préciser en quoi. Les jeunes dont j’ai exploré le parcours ont des parents qui ne sont pas entièrement démunis. Ils travaillent ou ont travaillé, ont tissé un lien avec le collectif via les syndicats ou les partis ¬ même sans y appartenir. Ce sont aussi des familles qui vivent sous l’emprise de convictions morales fortes, qui savent que l’école est fondamentale, que c’est tout ce qui reste quand on n’a rien. Ce sont enfin des familles où il existe un récit de l’histoire de la famille. Ces jeunes ne viennent pas de nulle part et le savent.

Et pour ceux qui n’ont pas cette « chance » ?

C’est beaucoup plus dur. Il faut que l’école en particulier et les institutions en général incarnent tous les rôles : le père, la famille, la morale, etc. C’est très long et très dur car plus le parcours scolaire avance, plus son fonctionnement et ses ressorts secrets deviennent obscurs, lointains.

Comment ces jeunes ont-ils pris conscience de la nécessité de se soumettre au moule de l’école ?

Il n’y a pas un instant « déclic », mais une série de rencontres. Tous évoquent des personnes ¬ amis, enseignants, parents ¬ qui constituent un système d’aide et de secours. Mais si on devait formuler une constante je dirais que tous ont compris que la connaissance était une arme qui permet de se sauver, dans tous les sens du terme : de son milieu, de sa condition nationale, de l’endroit où ils habitent.

Ça commence par l’acquisition d’un langage normé...

Oui, c’est le plus important car c’est ce sur quoi on est jugé avant tout. Mais ces jeunes doivent tout réinventer : leur façon de se vêtir, de se tenir à table... Tous ceux que j’ai interviewés présentaient les mêmes caractéristiques : bien habillés, parlant à voix assez basse, tenant des propos nuancés, mesurant leurs gestes... Tout cela n’exprime pas une timidité psychologique mais une timidité sociale. Il faut mesurer les souffrances qu’ils traversent pour affronter toute la violence symbolique qui impose ces changements.

Que doit faire l’école pour les accompagner : d’abord transmettre des savoirs ? D’abord socialiser ?

Je pense que l’école doit, sans ambiguïté, privilégier sa fonction de transmission du savoir, mais sans faire comme si ce savoir se transmettait dans un ciel sans nuages ! N’oubliez pas que ces jeunes n’ont hérité d’aucune culture scolaire, et d’aucune « culture cultivée » ¬ c’est-à-dire de ces pratiques sociales et culturelles qui permettent d’aller loin dans le parcours.

Les réussites que vous décrivez sont pavées de souffrances...

Oui. Et c’est ma conviction profonde : pour les enfants de milieu populaire et issus de l’immigration, la réussite scolaire se paie au prix fort. Car, si l’école ouvre sur le monde, elle bouleverse tous les repères. La réussite se fait contre ce qu’on est, contre son milieu, contre ses copains... C’est aussi pour cela que la réussite reste toujours fragile, résulte toujours de parcours improbables.
La solution ?

Disons que des dispositifs comme celui qui a été mis en place par Sciences po pour aider des élèves de ZEP à accéder à l’excellence, même s’ils ont leurs limites, valent mieux que rien du tout.

Emmanuel Davidenkoff

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