Avant la signature des contrats d’objectifs, les enseignants des écoles en ECLAIR de Soyaux (Charente) envoient une lettre ouverte à la rectrice pour lui faire part de leur déception. Un commentaire de l’OZP et un appel à d’autres témoignages

21 mars 2012

Lettre ouverte à Madame le Recteur de l’Académie de Poitiers,

de la part des enseignants des écoles de Soyaux (16) intégrées au programme ECLAIR.

Madame le Recteur,

Au moment où vous allez honorer de votre présence la cérémonie de signature des contrats d’objectifs ECLAIR, nous, professeurs des écoles de Soyaux, désirons vous faire part de notre profonde déception de devoir contractualiser avec vous dans le cadre d’un document aussi réducteur et donc peu ambitieux , par rapport aux besoins de nos élèves, de notre territoire, de notre société et de notre engagement dans l’Éducation prioritaire sur le quartier du Champ de Manœuvres à Soyaux.

Pendant six mois, chaque enseignant et un grand nombre de partenaires locaux de l’Éducation, dont les parents d’élèves par l’intermédiaire des conseils d ‘école par exemple, ont été sollicités pour nous permettre d’établir un diagnostic et construire un projet global original, aux dimensions pédagogiques et didactiques mais aussi philosophiques et éthiques, au service de la population scolaire concernée.

Remis en juin à notre Directeur départemental des services de l’Education nationale, nous nous sommes appuyés sur ce document pour engager nos équipes dans ces nouvelles dispositions ECLAIR dès la pré-rentrée 2011 lors d’une réunion commune des personnels des premier et second degrés.

En décembre, vous avez souhaité que ce travail soit repris sous une forme commune aux 5 ECLAIR de l’Académie. Nos conseils des maîtres, les professeurs du collège et le comité exécutif, ont donc été sollicités à nouveau pour y apporter d’éventuelles modifications.

En janvier, vous avez rencontré nos pilotes afin de préciser vos exigences pour distinguer projet et contrat. En seulement 6 jours ouvrables, et après une année entière écoulée depuis le diagnostic, nos pilotes ont dû renseigner un document dont les entrées (axes) étaient imposées, dans un souci annoncé de cohérence académique.

Ajouté à cela, il a fallu quantifier le niveau de résultats attendus. Et là naît notre premier effroi : comment peut-on accepter de ne plus chercher à atteindre 100% d’acquisitions du socle commun ?

Comment peut-on accepter d’afficher à la Nation qu’on saura se contenter que seuls les « deux tiers d’une cohorte aux évaluations ou examens nationaux atteignent 50% de réussite », d’autant plus sous prétexte de déterminisme social ?

Bien entendu, par notre professionnalisme, notre engagement de fonctionnaire, nous continuerons à mener une réflexion et des actions sur la construction des savoirs, sur les méthodes et modalités d’interventions pédagogiques et éducatives, sur l’évaluation des acquis et des progrès. Et ce dès la maternelle.

Nous ne saurions nous contenter d’une « transmission de savoirs », intitulé du 1er axe de contractualisation qui nous est imposé, ni nous arrêter sur « les seuls indicateurs chiffrés qui ne permettent pas d’identifier les obstacles aux apprentissages » comme le souligne Anne Armand IGEN dans son texte « des RAR aux ECLAIRS : comment répondre à l’égalité des chances de réussite scolaire ? » in « Administration et Education, décembre 2011.

Nous refusons l’essoufflement de la réflexion pédagogique et didactique au profit de contrats réducteurs qui ne reflètent pas la complexité et l’importance d’un projet de réseau, de la maternelle au collège.

Nous voulons travailler pour une Éducation prioritaire qui ne se résume pas à une quantification systématique et continuelle d’indicateurs de climat scolaire ou de formes parcellaires d’acquisition de savoirs et qui ne prend pas en compte la spécificité du territoire, les réalités familiales et sociales des enfants, quantification dans laquelle le bien-être et l’épanouissement de l’élève n’ont plus de place.

Nous voulons travailler pour une Education prioritaire qui ne nous mette pas en concurrence les uns les autres par l’application opaque d’une prime au mérite, par le recrutement des enseignants par les pairs, par l’instauration de missions nouvelles (préfet des études) sans les moyens de leur application, ni au dépend de compétences acquises.

Nous voulons consacrer notre temps, notre énergie, notre professionnalisme à garantir le développement global de TOUS les individus qui nous sont confiés, en commençant par leur réussite scolaire.

Nous voulons œuvrer dans l’esprit qui nous a permis d’être cités par l’Inspection Générale, comme tant d’autres ZEP/RAR, en tant que « laboratoires d’innovation pédagogique ».

Et pour cela, enseignants, personnels éducatifs, avons besoin d’une stabilisation des moyens, de pilotages à tous niveaux dynamiques et enthousiastes, de ressources nouvelles, de formations pointues, de reconnaissance de notre expertise, quelque soit notre place dans le dispositif (1er et 2nd degré, personnel spécifique ou non, directeurs et adjoints), de retrouver une confiance perdue dans les méandres d’une contractualisation technique, chronophage et injuste.

Nous espérons que cette lettre ouverte vous permettra, Madame le Recteur, de mieux comprendre, de reconnaitre et de prendre en compte ce qui, bien qu’absent du document que vous signerez ce jour, est fondamental pour permettre aux signataires de s’inscrire dans le principe structurant du programme ECLAIR « l’investissement et la stabilité des équipes ».

Soyaux, le 21 mars 2012

Nom des signataires :

Cachet de l’école :

« Travailler dans l’humain est difficile, plein d’imprévus, d’incertitudes et nous implique continuellement. Mais la réalité humaine est complexe, imprévisible, non totalement maîtrisable ; c’est là notre difficulté mais aussi notre intérêt et la noblesse de notre métier. » Jacques Nimier, professeur psychologie clinique à l’université de Reims, ancien directeur de l’IUFM de Reims et de l’IREM, Mars 2012

Copie de cette lettre est adressée aux syndicats enseignants
et à la presse locale et spécialisée

 

Un commentaire de l’OZP

A propos des signatures de contrat d’objectif - nombreuses en ce moment et de cette Lettre ouverte, le bureau de l’OZP tient à rappeler les principes généraux suivants :
 il n’est pas possible d’envisager un projet de réussite scolaire et éducative pour les jeunes les plus éloignés des conditions standard de réussite sans poser ce projet dans le temps .
 cette nécessité d’une inscription dans un temps institutionnel long est nécessaire pour construire la mobilisation de l’ensemble des équipes professionnelles et des partenariats.
 dans un contexte social marqué par le durcissement des inégalités et la difficulté à faire société, l’école publique ne saurait s’exonérer de ses missions en particulier dans les territoires les plus marqués par ces inégalités ; si elle ne relève ce défi, elle perd sa raison d’être
 cette mobilisation de l’école publique doit se faire à tous les échelons du système autour d’un projet fédérateur visant la réussite de l’ensemble des jeunes et se fixant des objectifs intermédiaires crédibles
 ce projet doit se construire à toutes les étapes par la volonté de susciter une intelligence collective des acteurs : diagnostic, priorités retenues, moyens de mise en oeuvre, dispositifs de concertation, accompagnement et formation des personnels, dispositifs d’évaluation...
 c’est dans cet esprit et en respectant ces principes et cette démarche que l’on pourra parler de "contrat" passé entre l’ensemble des parties prenantes du projet. Sinon, il n’ y aura qu’une gesticulation bureaucratique de plus qui non seulement est vaine mais ne produit que des effets négatifs auprès des acteurs .

L’innovation ne se décrète pas ; on peut craindre que , dans un certain nombre d’académies, le passage à marches forcées en Eclair ne fasse que renforcer des pratiques administratives déjà anciennes.

 

Ce mouvement exprime-t-il un malaise isolé ou traduit-il un phénomène général ?
L’OZP invite les acteurs de terrain à faire part de la situation dans leur académie, des réussites mais aussi des difficultés éventuelles, et cela de deux manières :
 soit en déposant un commentaire - qui peut être anonyme - en bas de cet article : cliquer sur la commande « répondre à cet article » (si le texte est relativement long, veiller à laisser des lignes vides entre les paragraphes)
 soit en écrivant directement à [ozp[at]ozp.fr] (discrétion assurée : rien ne sera publié sans votre accord).

 

Lire l’article de charentelibre.fr du 21.03.12 : Les écoles de Soyaux remontées

 

Lire ci-dessous l’annonce de la signature sur le site du rectorat :

Mercredi 21 mars, Martine Daoust et les représentants des 5 réseaux "Ecoles, collèges, lycées pour l’ambition, l’innovation et la réussite" (Eclair) de l’académie, ont signé les contrats d’objectifs 2011-2015 destinés à la mise en place d’actions ciblées pour un meilleur accompagnement et suivi des élèves.

Dépasser les structures pour la réussite des parcours des élèves

Chaque école et établissement qui suit le programme Eclair signe un contrat d’objectifs. Dans l’académie de Poitiers, ces contrats résultent d’une évaluation des actions déjà conduites dans ces réseaux ainsi qu’une identification des besoins des élèves . Dans ce contexte, les équipes des collèges et des écoles s’engagent à travailler en synergie pour mieux assurer la continuité des apprentissages et conduire les élèves à la réussite. Ainsi, des dispositifs de suivi, d’aide, de remédiation ou simplement d’accompagnement sont mis en place, pour une plus grande personnalisation du parcours des élèves.

Un nouveau projet pédagogique autour de 3 axes

  • assurer une transmission réussie du savoir,
  • renforcer le lien entre le pédagogique et l’éducatif
  • assurer un climat scolaire favorable à la réussite scolaire.

5 collèges têtes de réseaux Éclair dans l’académie

  • le collège Michèle Pallet d’Angoulême (16) forme un réseau avec 4 écoles maternelles et 4 écoles élémentaires représentant 989 élèves
  • le collège Romain Rolland de Soyaux (16) forme un réseau avec 4 écoles maternelles et 3 écoles élémentaires représentant 902 élèves
  • le collège Pierre Mendès-France de La Rochelle (17) forme un réseau avec 7 écoles maternelles et 6 écoles élémentaires représentant 2134 élèves
  • le collège Molière de Bouillé-Loretz (79) forme un réseau avec 5 écoles élémentaires représentant 706 élèves
  • le collège George Sand de Châtelleraut (86) forme un réseau avec 1 école maternelle et 2 écoles élémentaires représentant 1028 élèves

Présentation des 5 réseaux

Extrait du site de l’académie de Poitiers du 21.03.2012 : Eclair : signature des contrats d’objectifs des 5 réseaux de l’académie

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