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Deux études, relevées dans un dossier du Café pédagogique, dressent un constat plus alarmant des effets de l’assouplissement scolaire

16 février 2012

L’assouplissement de la carte scolaire a aggravé les ségrégations

Par François Jarraud

L’assouplissement de la carte scolaire décidé en 2007 aurait été "une réforme en trompe l’oeil", n’aurait pas "bouleversé le paysage scolaire", affirme Le Monde du 13 février. Est-ce si sûr ? De nouvelles recherches montrent qu’au contraire l’effet est sensible et peut-être irrémédiable.

[...] C’est donc l’étude locale, plus que les chiffres nationaux, qui permet d’observer les effets réels de l’assouplissement là où il est techniquement possible.

C’est ce que confirme une étude inédite de Brigitte Monfroy portant sur les collèges de la ville de Lille. Dans cette ville où les collèges étaient déjà socialement hiérarchisés avant la réforme de 2007, l’assouplissement est devenu une "question très sensible", constate B Monfroy. L’affectation en 6ème est passée dans les seules mains de l’inspection académique grâce à Affelnet (le dispositif informatisé d’affectation) et la communication est réduite au minimum. Le premier effet de la réforme de 2007 a été l’augmentation des demandes d’affectation. Elles sont passées de 11 à 16 % de 2005 à 2009 et le taux d’acceptation a grimpé de 80 à 97%. Autrement dit les parents savent que leur demande sera probablement acceptée, ce qui est possible à Lille car le nombre de collégiens diminue.

[...] Parallèlement, les collèges au recrutement populaire et presque tous labellisés RAR/ECLAIR ont vu leurs effectifs s’effondrer : ils perdent 38% de leurs élèves par rapport à 2001... Cette diminution des effectifs s’accompagne d’une augmentation du poids des enfants d’inactifs (+ 20% pour un collège) pour atteindre jusqu’à 45% des effectifs dans plusieurs établissements. Contrairement aux discours des responsables académiques pour qui les mesures d’assouplissement de 2007 n’ont eu au sein des collèges lillois qu’un impact modéré, traduisant surtout un renforcement de tendances déjà bien présentes au début des années 2000, on doit à l’inverse conclure que les dynamiques urbaines et scolaires, dont la mise en œuvre des mesures d’assouplissement, ont contribué à une forte aggravation des processus de ségrégation scolaire dans les collèges lillois entre 2000 et 2010".

A Saint-Etienne, le sociologue Choukri Ben Ayed a observé des évolutions similaires. "La ville abrite un des collèges les moins attractifs de France. La première année l’inspection académique a été submergée de demandes. La seconde elle a donné moins d’acceptations. Les familles se sont davantage tournées vers le privé au point que cela a créé des difficultés dans les circuits de transports scolaires".

Au niveau national, Choukri Ben Ayed s’étonne que l’on ne fasse davantage écho aux données relatives aux collèges Ambition réussite à la fois plus précises et plus adaptées à l’étude des effets de l’assouplissement scolaire que les données nationales sur l’ensemble des collèges français. Il constate en effet des écarts maximaux des taux d’attractivité des collèges frappés par la réforme : « de + 64% à - 72% ! on a des données sur les collèges Ambition réussite, c’est à dire les établissements les plus en difficulté. Selon C. Ben Ayed, les taux de migrations entre collèges montrent des écarts énormes. "Cela va de +64% à -72%. Donc dire que l’assouplissement a peu d’effets est étonnant ! Certains établissements sont confortés mais d’autres sombrent. Dans certains collèges on a un taux de demandes de dérogation de 60%. Cela veut dire que 60% des futurs sixièmes vont aller ailleurs, ce qui représente dans certains cas jusqu’à 2 classes sur 3. Le collège est privé de tout moyen permettant d’éviter la ségrégation". De fait, 80% des collèges Ambition réussite perdent des élèves.

A qui profite l’assouplissement ? Pour C Ben Ayed, un fait significatif : les demandes de boursiers ne représentent que 9% des demandes. Les premiers demandeurs sont catalogués dans les statistiques officielles comme "autres motifs", c’est à dire ceux qui ne sont ni boursiers ni liés localement à un établissement. L’essentiel vient donc des catégories sociales moyennes et supérieures."
"L’assouplissement a légitimé l’évitement scolaire et finalement renforcé la ségrégation plutôt que démocratisé l’évitement", note-t-il. Brigitte Monfroy note que la perte de mixité sociale dans les collèges lillois est particulièrement pénalisante pour les jeunes d’origine populaire car ce sont ceux qui en ont besoin pour augmenter leurs chances de réussite scolaire. Quels parents profitent de cette évolution ? Certainement pas les milieux populaires, explique B Monfroy, puisque les demandes de dérogation de boursiers sont extrêmement basses à Lille. Les parents n’ont d’information par l’académie que sur la procédure de dérogation. Tout le reste est réservé aux parents initiés...
Le sociologue Sylvain Broccolichi confirme cette analyse par l’observation du devenir des élèves. "On croit aider les jeunes en les autorisant à aller dans un autre collège. Et parfois ces arrivées dans un établissement peuvent être massives. Mais il est fréquent qu’ils y soient mis en mis en échec par l’élévation des exigences et qu’ils s’y sentent « déplacés » au sens fort du terme. Ces collèges tendent à tabler sur un accompagnement pédagogique des familles et ne sont guère outillés pour faire face aux difficultés des élèves : ce sont alors aussi les professeurs qui se sentent démunis dans les cas où l’afflux de boursiers est important. Il faudrait que davantage de travaux objectivent ces effets souvent négatifs des déplacements d’élèves pour cesser de leur prêter des vertus qu’ils n’ont pas. En fait les collèges ne sont pas armés pour les aider. On ne sait pas faire et ça crée des problèmes".

[Pour Choukry Ben Ayed], "L’autre enseignement c’est que la preuve est faite que l’assouplissement est un leurre, techniquement infaisable. Cela désorganise trop le système, dégrade l’école et génère des frustrations dans les familles. C’est infaisable si on refuse de faire table rase de la dimension républicaine de l’Ecole". La politique "d’assouplissement" de la carte scolaire de N. Sarkozy est à mettre dans son bilan. Sera-t-elle un thème de sa campagne ?

Extrait de cafepedagogique.net du 16.02.12 : L’assouplissement de la carte scolaire a aggravé les ségrégations

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